Dès le premier chapitre des Actes (1, 15-26), les Onze procèdent au remplacement de Judas. Cet épisode de la vie de la communauté des disciples est curieux. Pourquoi fallait-il revenir à douze ? Quel impératif oblige cette décision ? Dans la suite de l’histoire, jamais plus la communauté ne tiendra à ce chiffre. Plus jamais on ne verra un collège de douze personnes dans l’Eglise. Même les Actes, dès le chapitre 6, je crois, n’en parleront plus.
Qui sont les Douze ? Notre petit texte donne quelques critères pour rejoindre les Onze. « Des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous, […] témoins de sa résurrection. »
Il y a donc, outre les Douze, plusieurs personnes, hommes et sans doute aussi femmes, qui n’ont pas quitté Jésus depuis le début, le baptême de Jean. Ils ont sans doute été appelés comme cela est raconté pour certains des Douze seulement. Les Douze, ce ne sont donc pas des gens qui ont vécu quelque chose que personne d’autres n’aurait connu.
Plus haut dans l’œuvre de Luc, on ne sait rien des critères de choix des Douze par Jésus. On apprend seulement que, de jour, Jésus appelle ses disciples et en choisit douze. Suit la liste des noms (Lc 6, 13), qui ne correspond pas à celle de Matthieu et Marc, et que le même Luc donne dans les Actes avec un autre ordre ! On append en Luc peu de choses supplémentaires sur les Douze : ils sont envoyés (9, 1-2), tout comme les autres disciples (10, 1). Enfin, ils sont associés explicitement, et à part, à la montée à Jérusalem (18, 31). Luc n’en dira pas plus.
Douze, c’est une totalité. C’est ce que laisse entendre la référence aux tribus d’Israël (22, 30). La communauté des disciples manifeste en sa totalité le rassemblement d’Israël, impossible sinon par la résurrection. Jésus pleure cette impossibilité : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes... et vous n’avez pas voulu ! » (Lc 13, 34). Pareillement on lit les propos de Jean, eux aussi dans le contexte de la mort de Jésus. Il vaut mieux qu’un seul homme meure, et effectivement Jésus meurt : « non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 50-52).
Jésus est mort. Les Douze se sont dispersés. Il n’y a pas que Judas qui ait trahi, mais tous, à commencer par Pierre. La mort de Jésus est décomposition de son corps, les Douze n’existent plus. Peu à peu, comme les ossements desséchés de la vallée désertique d’Ezéchiel, ils se recomposent. Venu des Quatre vents, l’Esprit leur rend la vie, les réanime. La résurrection de Jésus, c’est le retour à la vie des Douze, eux qui, effrayés (Lc 24, 37), vivaient comme des cadavres, enfermés, ainsi que le racontent les autres évangiles, dans la chambre haute (Ac 1, 13) où l’on dépose les morts (9, 39) comme dans un tombeau.
On comprend l’urgence à reconstituer les Douze au début des Actes ! C’est l’urgence de la vie, du retour à la vie. Il faut dit le texte choisir un douzième. Oui, il faut vivre.
La communauté des Douze ne peut être recomposée qu’une fois, comme il n’y a qu’une résurrection de Jésus, puisqu’elle est la résurrection de Jésus. L’unité restaurée, dont l’évangile de ce jour dit la signification (Jn 17), et la totalité comme vocation de l’humanité portée par la communauté du Ressuscité, plus besoin des Douze. On n’a même plus besoin de continuer d’en parler et ils disparaissent très vite de l’histoire de l’Eglise. Luc les remplace par les apôtres (1 Co 15, 5 montre bien que les Douze et apôtres, ce ne sont pas les mêmes). Dès notre péricope, Luc parle du ministère (Ac 1, 17) et même de ce ministère qu'est l'apostolat (1, 25). C'est une autre histoire.
Après les Douze, c’est à l’humanité, où demeure le corps du Christ comme un ferment, de travailler, par la force du Ressuscité, à son unité.
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