A dix mois d’une élection présidentielle et un peu plus des législatives, le cinéma politique mis en scène avec la complicité de la presse, des réseaux sociaux et de notre goût des spectacles d’arènes va s’emparer ad nauseam de l’agora contemporaine. Les citoyens seront-ils au rendez-vous des urnes ? La désillusion face à la comédie du pouvoir et la fatigue des injustices suscitent autant la nostalgie que l’espoir d’une autre politique. La politique, c’était mieux avant ou ça ira mieux demain ; ce n’est jamais à la hauteur aujourd’hui.
Trop souvent, le pouvoir est au service de l’enrichissement des puissants, décrété légal puisque ceux qui gouvernent, à défaut d’avoir le droit pour eux, s’arrogent tous les droits ou légalisent l’iniquité. Pour l’avoir dénoncé, des hommes et des femmes le payèrent de leur vie. L’évangile avec l’histoire de la mort ignominieuse du Baptiste ne l’ignore pas. La démocratie a appris au grand nombre que l’impunité des injustices politiques n’a pas lieu d’être.
Le Premier Testament n’est pas en reste. Qui devra gouverner le peuple de Dieu ? Certes, Dieu lui-même : mais cela n’existe pas. Il a toujours des lieux-tenants et la théocratie est pire que bien des régimes ; non seulement elle ne protège ni de la violence ni des injustices, mais elle sacralise le pouvoir et rend sacrilège toute critique. Nous entendions dimanche dernier le prophète Amos être chassé d’un sanctuaire royal pour avoir dénoncé le mal et ne pas avoir couvert les exactions du roi et de sa cour.
Notre première lecture (Jr 23, 1-6) le dit encore. « Vous, pasteurs, vous laissez périr et vous dispersez les brebis de mon pâturage ‑ oracle du Seigneur ! C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël, contre les pasteurs qui conduisent mon peuple. »
Certes, tout ne se vaut pas. Tourne sur les réseaux sociaux une photo du tyran de Corée du Nord s’amusant avec les happy few du moment de ce que les Français se plaignent de vivre en dictature : le gouvernement venait de généraliser le passe-sanitaire. Il faut raison garder. Que dirons-nous de la violence d’état et de la corruption en maint pays ?
Sont-ils donc tous pourris ? Autrement dit, une politique juste est-elle possible ? Nous-mêmes, dès lors que nous avons une once de pouvoir, qu’en faisons-nous ? La loi du plus fort, nous sommes contre, sauf quand nous nous voyons plus puissants que d’autres…
Platon, traumatisé par la mort de Socrate, ne peut que penser le politique dans le voisinage de l’injustice. Que la société, la meilleure, Athènes ou la France des droits de l’homme, condamne à mort, en justice, l’innocent ou s’organise pour que les plus riches le soient toujours davantage sous prétexte de théorie, cynique, du ruissellement, il y a de quoi désespérer de la politique.
Aristote, que l’on dit plus réaliste, estime que la politique est, compte-tenu de la violence dans la société, violence née de ce que chacun privilégie ses intérêts contre ceux des autres, un art, non du parfait, du juste, mais la transformation de la violence en dialogue. Par la parole, il est possible d’éviter qu’on se casse la gueule, qu’on se fasse la guerre. On ne fera pas que l’homme soit bon, on tâchera d’éviter qu’il en rajoute à son malheur.
Cela n’invite guère à l’optimisme et devrait nous déniaiser. L’homme providentiel, l’homme fort, c’est un mensonge. Si dans dix mois vous votez pour l’homme ou la femme qui vous dit qu’il ou elle a la solution, vous vous duperez vous-mêmes ! Plutôt que de gifler le président de la République ou de menacer d’aller lui casser la figure, plutôt, inversement, de le défendre bec et ongle, ce qui ne parait ni moralement ni honnêtement possible, on apprendra à n’attendre d’un gouvernement qu’une action fort limitée : tempérer la loi de la jungle, perpétuelle négociation où chacun est attendu pour s’engager en faveur de la justice.
C’est dans ce contexte que nous lisons l’évangile de ce jour (Mc 6, 30-34). Le repos que Jésus veut offrir parce que les foules sont comme des brebis sans berger n’est pas l’opium du peuple qui ferait supporter l’horreur et la violence des injustices ni le rêve d’un arrière-monde. La dénonciation marxienne des structures d’oppression est d’autant plus nécessaire que nous n’attendons pas d’elle les prés d’herbe fraiche où reposer (Ps 22). Le repos annoncé par Jésus est un aiguillon, un moteur. L’oxymore et le paradoxe disent la foi. Le repos de Jésus nous incite à rechercher la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes.
En France, je sais pour qui voter aux élections municipales, départementales et régionales, car je connais et vois à l'œuvre les gens du cru.
RépondreSupprimerJadis, il y a très très longtemps, pour les présidentielles des années 70, il était facile de choisir les deux seuls candidats qui disaient la vérité et dont tout le monde, évidemment, se moquait :
- René Dumont avec son verre d'eau, son vélo et l'annonce de la catastrophe écologique. Aurions-nous réalisé, in illo tempore, la moitié de ce qu'il préconisait, nous ne serions pas dans le mur aujourd'hui...
- Charles Piaget, l'ouvrier hautement qualifié de Lip, formé par sa famille, son quartier, le travail manuel de précision, la CFDT, le PSU, l'Action catholique ouvrière. Il fut un temps la vedette mais il ne prenait aucune décision sans en référer aux copines et copains.
L'herbe serait-elle plus verte dans le pré d'à côté ?
Il se trouve que si j'étais Taïwanais de la République de Chine (je ne parle pas de l'ogre insatiable, je parle de la petite île menacée), je voterais pour Madame Tsai Ing-wen.
Au Chili, j'aurais soutenu ou soutiendrais Madame Michelle Bachelet.
En Allemagne, je serais fier de la Mutti, Madame Angela Merkel.
Parce que personne n'est ou n'a la solution, plusieurs options sont effectivement possible, qui ne font pas que le choix est fait d'avance. Plusieurs options sont aussi exclues au nom de la conception de la politique que j'essaie de dire, trop rapidement.
RépondreSupprimerLa pointe de mon texte, même émoussée, voulait être autre, non la désignation d'une solution, ni même un réenchantement de la politique, mais seulement une prise au sérieux de son action, précisément en tenant compte de ses limites, et non en la rêvant puissante.
Oui, je sais, c'est trop long mais illustre bien l'engagement d'un chrétien catholique dans la cité.
RépondreSupprimerJ'ai lu avec intérêt les nécros concernant Roger Fauroux dans Le Monde et La Croix. Outre son action et ses convictions, j'admire son attachement à ses racines géographiques, le fait de n'avoir jamais mis son drapeau dans sa poche sans pour autant assommer les autres avec son étendard ; le fait qu'il ait étudié dans nos modestes établissements publics de province (dont Besançon) avant d'intégrer Normale Sup. La licence de théologie, c'est plutôt bon signe et reçu premier à l'agrégation d'allemand, alors là : chapeau !
Tibi, H M
La mort de Roger Fauroux, industriel, ancien ministre et intellectuel humaniste
Patron de Saint-Gobain, directeur de l’ENA, ministre dans le gouvernement de Michel Rocard, cet intellectuel pragmatique a pesé dans le débat public par ses combats pour réformer l’école et l’Etat. Il est décédé le 16 juillet, à l’âge de 94 ans.
Par Isabelle Chaperon in LE MONDE
Publié le 21 juillet 2021