Quel est le pain que Jésus a donné aux foules ? Quel pain nous donne-t-il ? Où donc est aujourd’hui le surplus, la profusion du don ? L’évangile de Jean ne connait pas de miracles, mais seulement des signes. La multiplication des pains (Jn 6, 1-15), comme le montre la première lecture (2 R 4, 42-44) est la reprise d’une thématique ancienne. La geste d’Elisée, l’homme qui ressuscite les morts, l’homme qui reçoit l’indigence de la veuve et la transforme en abondance, aide à approcher l’identité de Jésus.
Quel est ce pain dont Jésus nous nourrit ? Lui-même, comme le dira explicitement la suite du chapitre 6 de Jean que nous lirons les prochaines semaines. « Je suis le pain vivant descendu du ciel. »
Quel est ce pain ? La réponse obvie, c’est l’eucharistie. Mais cela ne tient pas vraiment au ventre et l’abondance ne saute pas aux yeux ! Exégétiquement, cela ne tient pas. Il faut attendre la fin de l’évangile et la passion pour le dernier repas de Jésus, celui qu’après la résurrection de Jésus, les disciples ont, selon le commandement du Seigneur, transformé en mémorial de sa mort et de sa résurrection.
Faudra-t-il dire que le pain de la multiplication, c’est celui de la parole ? On serait sans doute plus proche de ce que Jésus a vécu, plus proche aussi de notre expérience. La parole se multiplie à être partagée. La parole multipliée ce n’est pas les Ecritures mais les Ecritures expliquées par Jésus. Et ainsi, elles sont mangeables. Sinon il y a en elles beaucoup de poison de haine et de violence. Dans la lecture des Ecritures advient la parole de Dieu pour peu que nous laissions Jésus, avec les frères et l’Esprit, nous ouvrir le texte. Décidément, le fondamentalisme n’a pas sa place dans l’Eglise, car il ne nourrit pas, il abrutit.
Il convient alors de conserver précieusement la parole vive arrachée par le partage à la lettre qui fait mourir. Conserver la parole en son cœur pour que rien ne se perde des échanges, ceux qui font vivre. On est rassasié et les jours suivants, les restent à profusion continueront de nous nourrir.
« Veillez à retenir les paroles de l’Ecriture de peur qu’elles ne s’échappent et ne soient perdues. […] Je veux vous encourager par un exemple tiré de notre pratique religieuse. […] Vous qui avez coutume de participer aux divins mystères, vous savez de quelle manière, après avoir reçu le corps du Seigneur, vous le gardez en toute précaution et vénération de peur qu’il n’en tombe une parcelle, de peur qu’une part de l’offrande consacrée ne se perde. Vous vous croiriez coupables, et avec raison, si par votre négligence, quelque chose s’en perdait. Si vous prenez tant de précaution pour conserver son corps – et vous faites bien ‑, comment croire que c’est un moindre crime de négliger la parole de Dieu que de négliger son corps ? » (Origène, Homélies sur l’Exode XIII, 3 vers 235)
Est-ce à dire que je choisis dans la lecture de notre évangile d’opposer le pain eucharistique et celui de la parole ? C’est le piège, particulièrement depuis la polémique avec les protestants au XVIe siècle. Le pain eucharistique, le pain sacramentel c’est la parole de Dieu pour qu’on puisse la manger. Ce ne sont pas deux pains différents, dont l’un serait plus noble, plus sacré que l’autre. C’est le même pain, pour les oreilles. Mais comme un pain dans les oreilles, ce n’est pas terrible, on le mange. C’est la même parole, pour la bouche et le ventre, comme nourriture. Mais comme une parole dans le ventre, ce n’est pas terrible, on l’écoute. Contrairement aux premières expressions du Concile Vatican II et aux mauvaises traductions, nous lisons : « ’L’Eglise [...] ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table tant de la Parole de Dieu que du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles. » (DV 21)
« Il y est dit [qu’à Emmaüs les disciples] reconnurent le Christ à la fraction du pain. Qu’est-ce que la fraction du pain sinon l’explication de l’Ecriture ? Car c’est là que le Seigneur est reconnu. » (Durand de Mende, + 1296)
Que ce temps d’été nous donne de dévorer les paroles de Jésus, de nous en repaître. Ainsi, nous comprendrons combien et comment il nous nourrit, nous fait vivre. A le suivre dans son explication des Ecritures, notre vie est restaurée.
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