Nous avançons peu à peu dans la lecture de l’évangile de Marc. Nous voilà au chapitre 6 sur 16. C’est encore la première moitié de l’évangile. Marc raconte comment l’on se met à parler de Jésus. Beaucoup finissent pas avoir un avis ou du moins ont entendu parler de lui.
Historiquement, je ne saurais dire si l’impression que le pays tout entier s’emplit de la rumeur de Jésus est exacte. Mais littérairement, c’est ce qu’orchestre notre chapitre au gré des différents moments qu’il raconte.
- D’abord, dans sa patrie, Jésus n’est pas accueilli : un prophète n’est pas accueilli chez lui.
- Puis, l’envoi des disciples que nous venons d’entendre participe, sans que ce soit dit expressément, à la diffusion de la rumeur Jésus.
- Et voilà que même Hérode finit par en entendre parler. C’est l’occasion pour Marc de raconter la mort du Baptiste suite à un ignoble pari entre puissants.
- Lorsque les disciples rentrent auprès de Jésus, ils sont suivis à la trace, les gens veulent voir celui dont on parle. C’est alors qu’a lieu la multiplication des pains.
- Une tentative d’aller à l’écart, la seconde, en mer, et Jésus marche sur le lac, occasion ratée pour les disciples d’avancer dans une perception plus fine de celui qui les avait envoyés ; « ils n’avaient pas compris le miracle des pains, leur esprit était bouché ».
- Enfin, la réputation de Jésus devient telle qu’on apporte en foule ‑ Marc n’en fait-il pas un peu beaucoup ? ‑ des malades pour que Jésus les guérisse.
- Les pharisiens qui dès le début de l’évangile, pour les rares fois où ils avaient croisé Jésus s’étaient alliés aux Hérodiens pour l’arrêter, ne commencent, du moins certains d'entre eux, à s’intéresser à Jésus, à entrer dans la rumeur, qu’au chapitre suivant.
A mesure qu’enfle la rumeur Jésus, le désarroi des disciples semble lui aussi grossir. Il sera énorme lors de la passion au point que Jésus leur parle quasiment comme s’ils faisaient cause commune avec ceux qui le supprimeront ; tous l’abandonneront effectivement.
Voilà le cadre dans lequel prend place l’envoi en mission que nous venons de lire. Il s’agit encore d’un texte christologique, si c’est bien la rumeur Jésus qui est racontée. Ce n’est qu’un commencement, une première mission, qui arrive assez tôt dans l’évangile, dans la vie des disciples avec Jésus ; trop, de toute façon, avant la résurrection, qui seule donnera d’être enfin attaché à Jésus, qui est l’expression de l’attachement à Jésus, qui est cet attachement même, duquel, Judas est exclu, et pour cause.
De tout notre chapitre, avec les guérisons qu’il comprend aussi, l’envoi en mission est le seul moment heureux, le seul moment où l’hostilité s’estompe à défaut de disparaître totalement ; il y aura des villes pour ne pas recevoir les disciples.
Jésus n’attend pas que les disciples aient compris qui il est pour les envoyer. La preuve, leur frayeur lors de la marche sur les eaux et leur incompréhension de l’affaire des pains. L’envoi leur donne au contraire de mieux connaître Jésus, puisque « proclamant qu’il fallait se convertir, ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient ». La mission les fait entrer dans l’existence salvatrice de Jésus, les configure à Jésus.
L’annonce de Jésus, l’action en son nom pour libérer les gens du mal, voilà qui permet de pénétrer le mystère de sa personne. C’est que l’on ne peut connaître Jésus qu’en s’engageant avec lui. Rien d’étonnant ; une rumeur ne permet pas de connaitre quelqu’un, elle ne fait qu’éveiller l’attention, pour le meilleur et pour le pire. Paradoxalement, pour être avec Jésus, pour le connaître, il faut partir, être envoyé par lui loin de lui.
Si nous voulons avancer dans la connaissance de Jésus, le voir partager le pain ne semble servir de rien puisque qu’ils ne comprirent pas « le miracle des pains, mais leur esprit était bouché ». Il faut se mettre à sa place, envoyé par lui, rejeté comme tout prophète dans sa patrie, parfois accueilli avec sa force de salut, parfois éconduit au point qu’il faille secouer la poussière de ses pieds pour n’être pas contaminé par l’exclusion.
Tout disciple est missionnaire ‑ comme dit François ‑ ou n’est pas, parce que c’est dans l’envoi et l’annonce que l’on devient disciple, avançant comme Jésus, désarmé, « seulement un bâton », comme les Hébreux à la Pâque ; « pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture ; des sandales, pas de tunique de rechange. »
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