J’avais préparé, alors que Maxime reçoit une nouvelle mission pastorale, une homélie sur ce que l’on attend des prêtres. Nous en avions parlé avec l’EAP. J’avais soumis un texte à relecture parce que je n’étais pas sûr de moi. J’avais retravaillé et étais parvenu à un résultat que je m’apprêtais à vous lire.
Jeudi après-midi, j’ai travaillé l’évangile (Mc 9, 30-37) pour l’éveil à la foi. Il fallait écrire autre chose. Le texte s’est ouvert dans une sorte d’évidence qui obligeait à changer d’homélie. Se vérifiait la parole que nous venons d’entendre : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »
Pensons aux plus petits de l’éveil à la foi. La personne la plus importante au monde pour ceux qui ont quatre ans, n’est-ce pas leurs parents ? Pour ces parents, la personne la plus importante au monde, n’est-ce pas leurs enfants ? Une première leçon s’annonce. Le plus important, le plus grand, dans la relation parents-tout-petits, c’est l’autre. S’interroger dans ce cadre parents-tout-petits sur qui est le plus grand, c’est laisser à l’autre la place du centre.
Et que venons-nous de lire ? « Prenant alors un enfant, Jésus le plaça au milieu d’eux ». La relation parents-tout-petits met l’autre au milieu, comme Jésus. Notons que Jésus, personne importante s’il en est, ne prend pas la place du centre. Jésus, tout désigné pour être le plus grand, déserte le centre. Pour Jésus, c’est toujours l’autre, nous donc, qui est au centre.
Les enfants sont les plus grands non parce qu’ils seraient gentils ou adorables ! Ce n’est pas toujours adorable un enfant, et les enfants le savent bien. Jésus ne met pas les enfants au centre pour les câliner, faire leurs quatre volontés. Jésus les met au centre parce que ce sont ceux que l’on n’écoute pas, du moins à son époque (qui ignore non seulement le culte de l’enfant-roi, mais les droits de l’enfant). Ils sont le type de ceux qui n’ont pas d’importance. Le plus petit est le plus grand, le premier le dernier.
Qui sont ces petits et derniers ? A l’école, ce sont ceux qui n’ont pas beaucoup de copains, ceux qui sont sur la touche, avec qui personne ne veut jouer. Même les enfants vont trouver cela provocateur. Dans notre assemblée, qui sont les plus importants aux yeux de Jésus ? Qui placerait-il au milieu ? Ceux que l'Eglise exclut, les femmes, les homosexuels. Ceux que notre société méprise, considère sans importance. A une semaine de la journée du migrant et du réfugié, pas besoin de faire un dessin ! C’est provocateur !
Parlons à des enfants un peu plus âgés. Le plus important, ce ne sont pas les riches, les savants, les puissants, mais les enfants. Jésus renverse la pyramide de nos critères, puissance, richesse, savoir, influence. Jésus prend un malin plaisir à renverser les évidences parce que si on sait donner de l’importance à ceux qui n’en ont pas, alors tout le monde en aura.
Si l’on regarde avec les yeux des plus petits, on voit le monde de telle sorte que tous ont leur place. Imaginons un instant : que serait notre société si tous y avaient une place ? Ecrire l’histoire, penser la société du point de vue des perdants, du point de vue des exclus, c’est dessiner et organiser le monde d’une manière totalement nouvelle, toujours nouvelle.
Lire l’histoire et la vie sociale de cette façon nouvelle, c’est voir le monde comme Dieu le voit. Apprendre à voir le monde comme Dieu, ce n’est pas chercher à être ou à aimer le plus puissant, y compris le Tout-Puissant, c’est chercher à ce que chacun ait sa place, et tous l’auront si les plus petits l’ont. Et voilà pourquoi il fallait que le Christ souffrit, comme nous le lisions dimanche dernier.
La transformation intellectuelle et sociale à laquelle Jésus invite n’a pas de valeur seulement morale et politique, même si ce ne serait déjà pas rien. Elle a une dimension proprement théologique et même théologale. Elle révèle Dieu, elle permet de le connaître, de l’accueillir.
Nous sommes nombreux à nous demander comment nous pourrions accueillir Dieu, nous sommes nombreux à vouloir accueillir Dieu et cherchons comment cela est possible. Ne nous y trompons pas, ce ne sont pas nos enfants, là, qu’il nous faut accueillir, mais les exclus qu’ils signifient. Au centre de l’évangile de Marc, qui y reviendra d’ailleurs, nous est dit que l’accueil des exclus, des rejetés, est accueil de Jésus et de celui qui l’a envoyé.
Texte initialement prévu
Alors que Maxime rejoint une autre paroisse, alors que nous luis exprimons notre reconnaissance, je voudrais nous interroger sur ce que nous attendons des prêtres, sur ce que nous exigeons d’eux. Au moment de quitter une communauté, les prêtres, comme tous les baptisés, mesurent ce qu’ils ont reçu d’elle.
Ces derniers mois avec la pandémie ont sans doute accru nos velléités à nous plaindre, notre irritabilité. Même rentrant de vacances, nous sommes fatigués par la difficulté de faire des projets, ne serait-ce qu’à l’échelle de quelques mois. Nos relations moins aisées à entretenir et développer sont paradoxalement mises à l’épreuve de notre patience et exigence. Les difficultés d’avant la crise sanitaire n’ont pas disparu et sont parfois plus lourdes à porter. Puissions-nous avoir le souci de mettre de l’huile dans les rouages plutôt que sur le feu. Puissions-nous ne pas nous laisser enfermer par ce que le contexte recouvre de grisaille et demeurer attentifs à ce que nous apporte tout ce que nous vivons ensemble.
Oui, parfois, nous avons du mal à apprécier comme une chance la vie ordinairement partagée. Cela est vrai aussi des relations dans une communauté chrétienne. Lorsque la fatigue nous prend, nous pourrions avoir l’impression qu’un bon prêtre, un bon évêque, un bon paroissien, c’est quelqu’un mort ou parti depuis fort longtemps, qu’une bonne paroisse, c’est celle que nous avons servie il y a longtemps ! C’est bien connu, c’était mieux avant ! C’est bien connu, ceux qui meurent ont été excellents mais… on l’a rarement dit de leur vivant !
Il faut parfois du temps pour s’apprécier, pour s’habituer les uns aux autres. En ce qui concerne les prêtres, il y a de multiples raisons, bonnes ou mauvaises, de rendre la rencontre pas toujours facile : Le remodelage de nos communautés bouscule nos repères. Nous avons appris de l’exercice démocratique à donner notre avis et ne supportons plus que quelqu’un décide sans nous. Nous avons appris de Vatican II que le baptême donnait à tous responsabilité et parole dans l’Eglise. Nous avons été révoltés par les crimes de trop nombreux prêtres. La théologie du sacrement de l’ordre contestée par Vatican II revient en force ; aucune autre théologie ne s’est imposée malgré le travail des spécialistes. Les différents modèles de vie ecclésiale sont exclusifs et clivants.
Il n’y a de salut, il n’y a de vie, dans l’Eglise comme dans le monde, que par l’accueil des autres. L’évangile (Mt 9, 30-37) en invitant à accueillir les enfants ne connaît certes pas notre culte de l’enfant-roi. Les enfants représentent ceux qui n’ont pas de poids, n’ont pas voix aux chapitre. Avec eux, c’est la gratuité, non l’intérêt. C’est pourquoi la manière de les accueillir est révélatrice de notre manière de vivre ensemble. Il n’y a de salut, il n’y a de vie qu’à accueillir chacun comme on accueille un enfant, inconditionnellement.
Nous n’accueillons pas un enfant parce qu’il est bon, ou pour ses compétences. Nous l’accueillons, et c’est tout. C’est à avoir vécu d’être accueillis qu’ils deviennent, comme nous sommes devenus, pouvons-nous espérer, bons.
En nous accueillant les uns les autres comme l’on accueille les enfants, quand vraiment on les accueille, nous pratiquons la gratuité de l’accueil, et cela rend possible de comprendre un petit quelque chose de Dieu et de sa bonté. Accueillir l’autre comme on accueille un enfant n’est pas qu’une question morale, aussi importante soit-elle. C’est une question de société et en ce sens politique. C’est encore une question de vie avec Dieu, une question théologale. A la façon d’accueillir, on accueille Dieu et celui qu’il a envoyé, son fils.
Peut-être cela d’abord, la bonté, que nous attendons des prêtres, que nous pouvons, devons, attendre les uns des autres.
Est-ce sensé de parler ainsi. « Dieu seul est bon. » Attendre la bonté des autres ce n’est pas les attendre au tournant, dès qu’il auront manqué à la bonté ; c’est prodiguer soi-même la bonté, ne serait-ce que pour pardonner les ratés des autres. Attendre la bonté les uns des autres, c’est nous laisser convertir à la bonté de Dieu.
Ce qui fait la bonté d’une personne, c’est grandement son entourage. Nous sommes d’autant meilleurs que nous vivons avec et de la bonté des autres. Attendre des prêtres, à juste titre, qu’ils soient bons, qu’ils accueillent chacun comme doivent être accueillis les enfants, nous engage à la bonté. La bonté de la communauté rend possible celles des prêtres et réciproquement.
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