Dimanche passé, le lectionnaire faisait entendre la non-foi de Thomas, à laquelle étaient ajoutés les versets qui suivent, les derniers de l’évangile : « "Heureux ceux qui croient sans avoir vu". Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. »
Et pourtant, il y a encore ce chapitre vingt-et-un. Deux notations l’arriment fermement à ce qui précède : « Après cela » et « c’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples. » Mais comment, d’un seul coup, les disciples que l’on avait quittés à Jérusalem se retrouvent-ils au bord du lac, plus de cent kilomètres à vol d’oiseau ? On n’en compte que sept et non onze ; il n’y a plus d’indication de temps, si précise ailleurs.
Pierre va à la pêche comme pour tuer le temps. Les deux rencontres à Jérusalem n’ont rien changé à sa vie ; retour à la case départ. Enfin, pas vraiment, car Jean ne dit pas qu’il y a des disciples pêcheurs, appelés près du lac, ni ne parle pas des fils de Zébédée sauf ici. Ce chapitre ne cache pas qu’il est un ajout emprunté aux synoptiques. Que manquait-il au texte ?
Rien, car tout est déjà dit. On souligne seulement, on insiste : la tradition dite de Jean n’est pas incompatible avec les autres traditions évangéliques. Le récit de la pêche miraculeuse, que Jean ignore, peut y trouver place. Et l’évangéliste en fait alors une lecture décidément pascale. La fraction du pain, pareillement et… Pierre n’est qu’un piètre pêcheur !
Pierre ne comprend rien. Il faut que Jésus pose trois fois sa question, en changeant de verbe. Pierre n’entend pas la différence entre philein et agapaô, aimer d’amitié, aimer de l’amour même de Dieu. Pierre n’entre pas dans l’économie divine. Il aime Jésus, comme un ami. Il ne semble pouvoir entendre l’amour dont Dieu nous aime.
Pierre va à la pêche quand le Seigneur est ressuscité ! On croit rêver. Le mondain, non le dandy frivole, mais celui qui est tourné vers la terre, préoccupé par le monde, son ventre, sa vie biologique, quand il s’agit de naître d’en-haut, de vivre de l’Esprit. Pierre que l’on fait pasteur. Pas une fois ce mot, ni celui de berger, n’est employé. C’est toujours le verbe : « nourris, pais mes brebis ». Jamais un substantif, un état. Celui qui est chargé de prendre soin ne comprend rien. C’est cela l’Eglise. Les pasteurs sont si peu disciples. Ce peut être de bons bougres, honnêtes, les pieds sur terre. Ils peuvent faire du bien, s’occuper de la logistique. Mais qu’en est-il de leur compréhension de l’agapè, de l’amour de Dieu appelé à être l’amour partagé avec tous ? Et les brebis, trop contentes de bouloter du sacré, elles n’en veulent pas davantage ; il ne faudrait pas être enrôlés par l’agapè !
C’est anachronique de lire chez Jean une critique du cléricalisme. Mais sa critique de l’Eglise de Pierre est précieuse. Ils sont là, ces successeurs d’apôtres, comme on dit improprement, essayant de faire au mieux un job, difficile, impossible. Il y a des pourris et aussi tant de bon types. Mais quelque chose manque. Devrait toujours d’abord être dit que l’on est, comme Pierre, traître. Pêcheur plus qu’Excellence ou « mon Père ». Seulement des pourris sont disciples. Comment ça peut marcher ? C’est l’interrogation de l’évangile de Jean.
Rien de Jésus ne peut être compris en dehors de l’amour, amour de Dieu, qui nous donne de l’aimer en retour et de nous aimer. Ce n’est pas nous qui l’aimons. Nous sommes comme le disciple que Jésus aimait. C’est Jésus qui aime, c’est Jésus qui donne ce que nous sommes, nous ne sommes que ce qu’il fait de nous, ceux qu’il aime.
Le disciple que Jésus aime court plus vite, parvient le premier au tombeau, et croit. Pierre, sans souffle, arrive tard ; il n’est pas dit qu’il croit. Je pense à une histoire grivoise que je résume : Un homme rentre de la pêche, en retard. Il a dû quitter son activité favorite à contrecœur pour rejoindre sa femme. Elle l’attend dans une tenue affriolante. Elle s’offre à lui, lui demande de l’attacher comme son esclave et lui propose de faire ce qu’il veut… Il la plante là, liée et repart aussitôt à la pêche. Le chapitre supplémentaire est aussi lourd que la blague, parce que Pierre, l’Eglise, les disciples sont lourds, ne comprennent pas.
En dehors de l’agapè, de l’amour, il y a sans doute des disciples, très importants, comme Pierre. Mais ils vont à la pêche quand c’est le temps des amours, de la nouveauté.
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