27/04/2022

« Je m’en vais vers mon doute » A propos de vocation

Lu dans Le Monde, un entretien de Michel Bouquet de 2016 (propos recueillis par Annick Cojean) Extrait :
 
Suivre avec ferveur sa vocation fait-il une vie heureuse ?
Non, cela fait une vie de malheur.
 
De malheur ?
Le malheur de savoir que c’est si dur, chaque fois si dur. On risque sa vie à chaque rôle, et si le rôle ne veut pas vous parler, si l’auteur se refuse à vous renseigner, c’est foutu. Et c’est tragique.
 
Mais quand vous réussissez ? Quand votre interprétation sonne parfaitement juste et que le public applaudit acteur et auteur ?
Eh bien on se jette aux pieds de l’auteur et on cire ses chaussures pour qu’elles soient encore plus belles. Il n’y a aucune gloire à tirer. Aucun orgueil.
 
Au moins une certaine satisfaction !
Non. Jamais. Parce que c’est encore à refaire le lendemain. Et le surlendemain. D’ailleurs, je vous quitte parce que je joue ce soir. Je ne peux pas y échapper. Je dois me reposer et puis me préparer.
 
Allons ! Il y a dans votre œil des paillettes de gaîté quand vous parlez de théâtre.
Je suis en effet habité par quelque chose. Mais ne vous méprenez pas. Ce sont bel et bien des devoirs. Ma vie ne m’appartient plus, elle est à mes devoirs. Et je suis toujours dans ce vestibule de la rue de Rivoli, attendant de dire mon poème. Espérant le miracle qui se produit de temps en temps.
 
Soixante-treize ans après votre rencontre avec Escande, vous avez donc toujours la même angoisse ?
Oui. Car c’est l’auteur qui donne le talent. Et c’est lui qu’il faut supplier de parler. Je pressens que mon acolyte Hélène Grimaud partage ce point de vue. La quête est incessante… Il faut cette fois que je vous quitte. Je m’en vais vers mon doute.

Traduction Jean-François Garneau :
-- Does fervently following one's vocation make one happy, as an actor?
-- No! For me, it's been a lifetime of misery.
-- Bad luck?
-- No! Rather the misfortune of knowing that it is so hard to do what we are called to do, every time so hard. You risk your career with each role you take, and if the role doesn't want to talk to you, to inspire you towards greatness, if the author refuses to inform you, it's over. And it is tragic.
-- But when do you succeed? When does your interpretation succeed to ring perfectly true and the public applauds actor and author?
-- Well, we throw ourselves at the author's feet and polish his shoes to make them even more beautiful. There is no glory to be had, for actors. No pride.
-- At least some satisfaction!
-- No. Never. Because it still has to be done the next day. And the day after. Besides, I'm leaving you because I'm playing tonight. I can't escape it. I have to rest and then get ready.
-- Let's go then ! For there are sparkles of gaiety in your eye when you speak of theatre.
-- I am indeed inhabited by something. But do not get me wrong. These remain duties. My life no longer belongs to me, it is my duty. And I'm still in this vestibule in the rue de Rivoli, waiting to say my poem. Hoping for the miracle that happens from time to time.
-- Seventy-three years after your meeting with Escande, do you still have the same anxiety?
-- Yes. Because it is the author who gives the talent. And he is the one to beg to speak. I suspect that my sidekick Hélène Grimaud shares this point of view. The quest is incessant... This time I must leave you. I go to my doubt.

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