15/07/2022

« Drôle de servante, ma fille ! » Lc 10, 28-42 (16ème dimanche du temps)

Dimanche passé, nous avons lu l’épisode évangélique qui précède immédiatement celui de ce jour. La débauche samaritaine de générosité nous avait arrêtés. Qui se fait ainsi le prochain de tous, soignant, sauvant, relevant de la quasi-mort ceux que la vie, comme des brigands, laisse sur le bord du chemin ? Le samaritain, parabole du Dieu qui sauve, comme Jésus au nom programmatique : Dieu sauve.

Impossible de nous limiter alors à choisir notre prochain et, par conséquent d’écarter voire ignorer ceux qui nous sont plus éloignés. On n’est jamais quitte avec la charité. Devant celui qui meurt, comment pourrions-nous rétorquer ; désolé, mais j’ai déjà assez fait aujourd’hui ?

Après la débauche samaritaine, une autre débauche, un autre excès. Et c’est précisément ce qui explique qu’il n’y ait aucune liaison littéraire entre les deux histoires. Elles racontent tellement la même chose, l’excès de charité, la débauche de générosité, que le rédacteur ne voit pas la nécessité d’expliciter le lien entre les deux rencontres, l’une parabolique, l’autre historique, tirant la parabole de la fiction, entraînant l’histoire dans la typologie. La rencontre avec Marthe et Marie (Lc 10, 38-42) n’est pas une anecdote mais, à l’instar de tout le chapitre, elle dresse la fiche de poste du disciple.

Dans les deux récits, tout paraît crédible, et rien ne l’est. Vous imaginez la maîtresse de maison recevoir Jésus et s’enfermer dans sa cuisine, ne profitant pas du Maître un instant ? Vous imaginez Marie, devant Jésus, laisser sa sœur s’occuper de tout, coinçant la bulle sous prétexte d’écouter le Maître ? Vous imaginez Jésus, qui raconte la parabole du Samaritain, renvoyer sèchement ceux qui prennent la tenue de service ?

Dans Le dialogue des Carmélites, Bernanos fait dire celle qui dévisage une religieuse pensant se dissimuler à être en civil, « Drôle de servante, ma fille ! » Ce pourrait être le titre de l’invitation chez Marthe. Marthe, contrairement aux apparences, n’est pas servante. Je l’ai déjà dit, elle est la maîtresse de maison. Le repas ne se passe pas chez Marthe et Marie, mais dans la maison de Marthe. Marthe décide et commande, Marthe juge, fait des reproches et donne des ordres, y compris à Jésus : « Dis à ma sœur de m’aider ! » Drôle de servante.

Prise par les occupations du service, elle ne sert pas, elle gouverne. Ce qu’elle appelle faire le service est l’occasion de gouverner. Ce n’est pas gouverner pour servir, gouverner par le service, c’est servir pour gouverner, servir pour être maître. Nous pourrions voir ici une parabole de tant de situations de gens généreux qui sous prétexte de leur générosité placent les autres à leurs ordres, fût-ce Jésus. Nous avons tous connu cela dans une association. C’est aussi souvent le cas dans l’Eglise…

La servante de notre histoire est à sa place. On ne l’entend pas. Elle n’ouvre pas la bouche. Elle écoute, elle est assise aux pieds, plus esclave que servante, tellement servante qu’elle en devient esclave. Voilà l’excès, voilà la débauche de charité. Marie et le Samaritain, même combat.

Et pour cause, Marie et le Samaritain sont icône ou parabole, témoin ou type de Jésus, le serviteur. Il est le serviteur du Père, qui ne vit que de (se) recevoir du Père, totale écoute. « Son serviteur Jésus » comme disent les Actes.

Tout dans le texte identifie l’action du Samaritain et la contemplation de Marie. « Ce qu’il faut est unique. » Rien dans notre entendement ne reconnaît en Marie la débauche samaritaine de générosité, ne reconnaît dans le Samaritain la débauche ob-éissante‑ sous l’écoute ‑ du service. Jésus dans l’écoute contemplative du Père est salut, tous peuvent trouver en lui leur prochain ; le service de ceux que la vie cabosse est l’alpha et l’oméga du recueillement.

La prière, l’écoute du Maître, est excessive charité qui se retrousse les manches ou n’est pas, depuis que l’amour de Dieu et l’amour des frères sont un. « Ce qu’il faut est unique. »

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