29/07/2022

Un Dieu démonétisé (18ème dimanche du temps)

Où est le problème avec l’argent ? Ne permet-il pas de soulager, de réjouir, de régaler ? La misère avilit. Elle est un mal ; elle tue. La faim touche une personne sur dix dans le monde, entre 702 et 828 millions de personnes, selon le dernier rapport sur la sécurité alimentaire mondiale publié ce 6 juillet sous l’égide des Nations Unies.

Le problème avec l’argent, c’est de n’être pas partagé, d’être la propriété de quelques uns qui précisément ne soulagent pas, ne régalent pas, ne permettent pas que tous se réjouissent. Et c’est ce que disent les versets de ce jour (Lc 12, 13-21) : « Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même. »

Ce n’est pas grand-chose, ce n’est même peut-être qu’une manière de racheter notre conscience sur le compte de la caisse commune, mais c’est pour cela que l’EAP a décidé que devait être inscrit de façon significative dans le budget paroissial la répartition des richesses. C’est pour cela que notre budget paroissial consacre 10% à la solidarité.

Ces quelques mots pourraient ouvrir une homélie de doctrine sociale, de réflexion morale. Je choisis de réfléchir à ce que signifie la possession, la richesse, du point de vue de la foi. J’essaye quelques pistes de théologie que l’on disait ascétique et mystique.

Il ne s’agit surtout pas d’encourager à la pauvreté de misère, celle qui avilit. Ce serait non seulement criminel, mais une dénaturation de l’évangile. Pourtant, la radicalité de la dépossession n’est pas une option. La radicalité s’apprend, on s’y achemine petit à petit, elle doit être sans cesse renouvelée, quelque soient les déchirements qu’elle exige. Dame Pauvreté est épouse de tout disciple, non du seul François d’Assise.

Nous avons reçu la vie sans rien demander. Certes, ce n’est pas toujours un cadeau. Mais que la vie nous échoie, don ou charge ‑ en latin c’est le même mot, munus, qui dit la munificence et l’office ou la fonction, que l’on entend encore dans le français municipal ‑ c’est sa forme d’être reçue et partagée. Elle ne s’acquiert pas, ne se conserve pas, n’est pas une prise de possession. Contrairement à ce que l’on dit, on ne gagne pas sa vie. « Qui cherchera à épargner sa vie la perdra, et qui la perdra la sauvegardera. » (Lc 17, 33) Prendre la vie, c’est tuer ! La prodigalité marque la vie du début à la fin. Prodigalité et précarité vont de pair comme précarité et prière.

On pourrait au moins faire l’hypothèse que vivre, c’est persévérer dans la forme de la vie, telle qu’apparue pour chacun, échue. On pourrait au moins penser raisonnable que vivre, ce soit persévérer dans l’existence comme reçue. Adulte, alors que l’on se doit de prendre sa vie en main, il nous faut apprendre à vivre comme si nous recevions la vie. C’est la condition pour ne pas « prendre la vie », pour ne pas « perdre sa vie ». Vis comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu. Cependant mets tout en œuvre en ta vie comme si rien ne devait être fait par toi, et tout par Dieu seul. Ainsi devrait-on paraphraser la célèbre maxime de Gábor Hevenesi.

La trajectoire de l’évangile de Luc mène les hommes et les femmes à devenir des fils et filles. Renversement du temps. On ne naît pas fils ou fille, on le devient. Apprendre à être enfants du Père, voilà l’aventure. Avec l’évangile, la nouveauté, la naissance est toujours à-venir, recommencement. Dès le début de l’évangile, Nicodème s’étonne : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? » (Jn 3). C’est de la cendre que naît le feu de Pâques.

Ce renversement est ce que l’on appelle Providence, non pas le coup de pot, hasard hasardement baptisé. Confesser la Providence c’est saisir et vivre sa vie comme reçue, c’est vivre sous le regard du Père. Sa prodigalité nous sauve de la précarité. Quand la richesse encombre nos chemins, on tue à prendre la vie, on tue à confisquer l’héritage ‑ ce qui se reçoit. Partant, Dieu ne fait plus sens ; et si le mot a encore cours, démonétisé, il ne dit plus rien de Dieu ‑ un juge qui devrait trancher nos problèmes ! Apprenant non pas l’autonomie, mais la responsabilité quant à notre vie, nous sommes comme le nouveau-né, à ne cesser de la recevoir. Alors se devine le donateur prodigue. Il appelle à une vie toujours plus belle. « O Père, source de l’amour. »

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