20/01/2024

A propos du célibat des prêtres diocésains (janvier 2024)

 
Gérard Dubois pour L’actualité 26 09 2016

On a longtemps pensé et on dit encore que les prêtres ont tout donné, et ce don total est le plus patent dans le célibat chaste. Je constate qu’en fait, beaucoup ont gardé une bonne part, ayant souvent le loisir de décider ce à quoi ils renoncent. Les parents qui s’occupent de leurs enfants, se lèvent la nuit ou les visitent en prison, les perdent ou ne les comprennent pas, n’ont guère le choix de leurs renoncements. Dans le couple, chacun doit sans cesse renoncer à lui-même pour permettre l’autre, la fidélité et la durée de l’union. Le don s’apprend, il n’est pas fait une fois pour toute, ex opere operato, par la magie de l’engagement au célibat clérical. Il est une tâche, un appel, non un état. On n’a pas tout donné sous prétexte d’être engagé au célibat chaste, ni même qu’on le garde. Le discours sur le don total repérable dans l’abstinence non seulement n’est pas un idéal, c’est un mensonge et, si l’on n’en est pas conscient, une illusion.

A Pierre qui lui demande ce qu’il y aura pour lui et ceux qui ont tout quitté (Mc 10, 28-30), Jésus se paye sa tête et répond par antiphrase. Question insensée de Pierre ! Question insensée parce que dépendant d’une théologie de la rétribution, à l’opposé de celle de Jésus, ce qui causa sa mort, et continue de valoir les assauts du démon dans des cardinaux et évêques qui corrigent les textes signés du Pape comme si ce dernier n’y connaissait rien. Révolution de la miséricorde, mais cela, qui en veut vraiment ? Pierre aura tout, au centuple et, in cauda venenum, les persécutions ! (lol, mdr, voudrait-on ajouter !)

Qui peut dire qu’il a tout donné ? Quelle assurance d’être dans les clous ! Un pharisaïsme d’autant plus impossible à l’heure où tant de hiérarques catholiques ont trahi, directement ou en couvrant des délinquants… sexuels. « Tout m'est dû puisque j’ai tout donné. » Ce n’est jamais dit ainsi bien sûr, mais cela justifie du traitement des clercs aux pires abus. Débarrassés de tout puisqu’ayant tout donné, les prêtres et les évêques s’estiment capables de juger de tout, quelle que soit leur incompétence ; ils (se) distribuent les bons points et dénoncent le péché. Cléricalisme que François combat ! La crise de la pédocriminalité interdit définitivement de dire que, parce qu’on est ordonné, on a tout donné ! Cela doit imprimer un tournant à la théologie, la « spiritualité » et la prédication.

 

Je ne reviens pas sur l’histoire du célibat ecclésiastique, son non-respect assez fréquent hier et aujourd’hui, sous toutes les latitudes, quelle que soit la couleur de la soutane. Si des évêques (nombreux rien que par les affaires rendues publiques) font le contraire de ce à quoi ils lient lors des ordinations, on est en présence d’un système pervers et mortifère Histoire des pesants fardeaux dont parle Jésus (Mt 23, 4). Le non-respect de la chasteté ecclésiastique n’est pas une affaire de manquements personnels : elle est systémique.

Les faits démentent pour une large part la règle qui en conséquence a besoin d’être sans cesse assénée, règle devenue obligation pour les latins que depuis Grégoire VII. Les prêtres-mariés catholiques, soit d’un autre rite, soit qu’ils aient obtenu une dispense (c’est vrai que lorsqu’il s’agit de piquer du monde à une autre confession chrétienne, on est prêt à beaucoup d’exceptions) apprécieront d’apprendre qu’ils n’ont pas autant donné que les célibataires !

En quoi les prêtres mariés ou concubins, en couple avec une femme ou un homme (pourvu que cela ne se sache pas !) n’exercent-ils pas un bon et fructueux ministère. De l’un d’eux, on a découvert la paternité lors de ses funérailles : jusqu’alors, c’était un prêtre estimé dans son ministère. La prise de parole de son fils le fait passer aux oubliettes diocésaines, ainsi qu’un criminel ! Il n’y a pas qu’au royaume de Danemark que les choses sont pourries.

 

Pour dire le sens du célibat ministériel, il convient de renouveler la rhétorique et de répondre en outre à la mise en évidence du lien entre pouvoir, célibat, sexe, cléricalisme et abus tel que par exemple la thèse de Josselin Tricou l’établit. Il n’est pas possible de parler du célibat chaste sans relever le défi que ce genre de recherches lance. Si le célibat est une des clefs du système de pouvoir clérical, comment est-il évangélique ? Et s’il fallait le maintenir, comment échapper aux dérives dont il est responsable ?

 

Beaucoup n’ont accepté le célibat que parce qu’ils pensaient que le ministère presbytéral était suffisamment important pour la mission de l’Eglise. Plusieurs d’entre eux, aujourd’hui, disent que le célibat ecclésiastique est l’une des plus grandes douleurs de leur existence. Ils essayent cependant de n’en former aucun ressentiment envers l’Eglise.

De combien de bons ministres notre Eglise s’est-elle privée à cause de cette règle ecclésiastique ! Combien d’autres a-t-elle gardés, leur permettant de petits arrangements avec une homosexualité refoulée ou non, de mensonges sur leur vie sexuelle dont la vérité éclate parfois… et c’est toujours trop tard.

En apprenant le départ d’un prêtre pour se marier à plus de soixante ans, je m’interroge. N’est-ce pas bête de partir à cet âge ? Je comprends que rencontrer quelqu’un à aimer, quelqu’un avec qui vivre sereinement aimé et aimant, chastement aussi, comme les époux ou comme les amis, puisse remettre en cause le ministère de prêtre, non qu’il ait perdu de son importance, mais que le célibat afférant que l’on maintient comme règle constitue un handicap pour la vie et le ministère.

 

Le presbytérat est une mission dans l’Eglise et le célibat arrive bien tard dans la liste des raisons d’être de cette mission, tant chronologiquement que logiquement. On ne peut en parler sans parler de la mission, des personnes auxquelles les ministres sont envoyés. Il n’y a pas le prêtre, son don, sa joie, le Seigneur. Mais enfin, la Trinité n’a pas besoin de prêtres. Ils ne sont pas non plus prêtre pour eux. C’est quoi, ce petit cœur à cœur avec le bon Dieu ? Une vaste illusion, une trahison de l’évangile, une tromperie adressée aux hommes et femmes de ce temps ? Le commandement de l’amour divin, et c’est révolutionnaire, est le même que celui de l’amour du prochain. Dieu « rabaissé » à hauteur de prochain. Sacrilège aux yeux des religieux qui condamnent Jésus. On en est encore là. Trop de catholiques sont religieux au sens de païens (Ac 17, 22) ; l’évangile est un vernis sur la vieille religion qu’il n’a pas fondamentalement converti, subverti. C’est pour cela que les résistances sont si grandes. Le célibat ecclésiastique est une clef du système religieux dont il faut libérer l’évangile.

Aujourd’hui, plusieurs évêques, et encore dernièrement l’archevêque de Malte, affirment que la mission n’impose pas le célibat ecclésiastique, que celui-ci devrait être un choix ‑ ce qui revient à dire qu’il ne l’est pas ! Cela re(con)duit le célibat à la vie consacrée, témoignage de gratuité, signe prophétique du Royaume, de ce que toute vie grandit par le manque parfois douloureux, d’une forme de sans-pourquoi synonyme de grâce. C’est désormais une évidence : le célibat obligatoire n’est ni théologiquement ni théogalement fondé ! Comment accompagner dès lors ceux qui sont engagés au célibat en dehors de la vie consacrée ? Comment et pourquoi vivre selon une règle si tout en montre les limites ? Il n’y a aucun mal à se marier, écrit Paul, mais la vie de couple est si difficile qu’il en dissuade qui l’écoutait (1 Co 7, 28). Quitte à ne pas tout donner, mieux vaut encore être célibataire !

Prebyterorum ordinis définit très clairement que la sainteté du clergé se puise et se forge dans et par la mission et non dans un état de vie, marqué notamment par le célibat. Abandonner cet acquis conciliaire est très grave. Je préfère sans conteste des prêtres pas très stricts avec le célibat mais véritablement convertis par la mission, découvrant et permettant de découvrir le Christ déjà présent là où il leur est demandé de le servir, des prêtres bons jusqu’à la folie.

 

L’Eglise ne cesse de prier pour les vocations presbytérales. Mais si Dieu répond à la prière, comme beaucoup le pensent, la pénurie ne vient-elle pas de ce que le modèle de prêtre grégorien et tridentin n’est pas celui dont veut le Seigneur aujourd’hui ? Le Seigneur n’appelle plus de prêtre célibataire ! Des évêques tuent l’Eglise en préférant le système clérical à la conversion missionnaire. Ils privent l’Eglise du ministère ordonné (et ce dont il est porteur) que cependant ils n’arrêtent pas de dire indispensable à l’Eglise.

La théologie et la pastorale de la miséricorde, la critique du cléricalisme et du système de pouvoir, la crise de la pédocriminalité, la beauté de la sexualité dont le seul but n’est pas la procréation mais le bonheur des époux, la dignité première du baptême qui interdit de parler du prêtre comme alter Christus à l’exclusion des autres disciples, autant de raisons qui exigent une réévaluation du célibat ecclésiastique. Les intégristes l’ont bien compris : on ne peut tenir les unes sans l’autre. La Conférence des évêques de France reconnaît que nombre de prêtres ne vont pas bien. L’exigence canonique du célibat, si hypocrite, ne peut pas ne pas avoir de rapport avec ce mal-être. Parler du célibat et ne rien dire de tout cela, c’est en rajouter au mal-être.

 

El articulo en castellano.

"El incumplimiento de la castidad eclesiástica no es un asunto de faltas personales: es sistémico"

4 commentaires:

  1. Merci Patrick pour cette détonante réflexion qui met en évidence le fond de la crise du ministère ordonné : l’attachement du système ecclésiastique au célibat comme une forme de maintien du pouvoir clérical et le manque de sincérité à le reconnaître.

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  2. De l'utilité de relire Loic de Kérimel (En finir avec le cléricalisme Seuil) Il faut aussi se souvenir que des femmes (et pas des moindres! ) ont eu une "vocation" sacerdotale (Ste Thérèse d'Avila, de Lisieux, Edith Stein...)

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    1. L'ouvrage de Loïc dit des choses importantes, certes, souvent déjà avancées par Joseph Moingt. Mais dans mon souvenir, il ne dit pas ce qu'il en est du pouvoir, il en faut bien un. Comment régler les litiges quand ce n'est pas les crimes. Comment proposer des chemins, pour aujourd'hui, quand le peuple est si souvent casanier, préfère répéter ce que l'on a toujours fait. "vous n'allez pas nous changez la religion de nos pères !"

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    2. Lévinas parle d'an-archie... je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Il est impossible de réifier l'homme...qui ne répond pas à une relation de pouvoir!

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