05/04/2024

Circulez, il n'y a que des pauvres à voir ! (2ème dimanche de Pâques)


Circulez, il n’y a rien à voir, si ce n’est la trace des plaies. Circulez, vous qui cherchez Dieu, il n’y a rien à voir, seulement les plaies et blessures d’une humanité qui n’en peut plus d’agoniser. Il porte les plaies, non pour qu’on le reconnaisse, comme on le dit si souvent, mais parce qu’il est dans son corps « en agonie jusqu’à la fin du monde ».

Circulez, c’est ce que vous faites déjà, à ne jamais vous arrêter pour soulager la misère, pour voir la misère avec le cœur et faire un détour, un rodéo comme on dit en espagnol, de l’autre côté de la route, laissant l’agonisant à son angoisse et à sa fin, à sa faim.

Où Thomas était-il ? Que croyait-il ? Qu’il le verrait de nouveau comme avant, comme si rien ne s’était passé, comme si tout allait très bien ? Il se rêvait chez les anges ‑ n’est-ce pas là que Dieu est censé se trouver ? Il avait déserté la mort à la différence de Dieu. Comment pouvait-il imaginer le trouver ?

Mettre les doigts dans la trace des clous, la main dans la plaie du côté. Rencontrer, non pas parler, disserter, mais essuyer les larmes et la peur, réchauffer et nourrir les pauvres dans nos villes, les migrants, les malades, les blessés, les perdus. La résurrection ne se voit que dans les lieux de mort. Encore faut-il les fréquenter. Ou bien consentir à reconnaître qu’ils sont nôtres aussi. Entre le détenu et nous, quelle différence ? La fraternité n’est pas toujours du côté que l’on pense…

Je l’ai trop mal dit, la semaine dernière. Fréquenter les lieux de mort et entrer en sympathie, en empathie, en fraternité, en amour avec ceux qui y séjournent. La fraternité en ce lieu, en cette minute, ouvre les yeux. Quand un paria ou un agonisant voit un visage fraternel se pencher vers lui, à ses propres yeux, il reprend vie, il est une personne ! Quand on est témoin qu’un frère reprend vie, comment ne pas croire en la résurrection ? Par la vertu de la fraternité, on est témoin de la vie. Alors même qu’autrui ou soi-même crève, c’est la vie qui coule à flot comme source d’eau vive.

Jean ne raconte pas autre chose lorsque le soldat perce le côté de Jésus, côte de l’Adam nouveau ouverte, pour que la vieille humanité renaisse, création nouvelle, la Vivante, pour de vraie, Eve qu’il vaudrait mieux appeler Vivianne ou Zoé. « Ce n’est que lorsque [les disciples d'Emmaüs] témoignent leur charité envers le Christ-pélerin que, tout d’un coup, le Christ se transfigure à leurs yeux et leur devient présent. » (M. Zundel)

Cesser d’être incrédule, ce n’est pas l’assentiment à un dogme, le fait de gober des miracles, des merveilles venimeuses, croire n’importe quoi, des guérisons spectacles. Devenir croyant, c’est considérer l’autre, prendre le temps de l’accompagner, reconnaître la grandeur des relégués, « objet de mépris et rebut de l’humanité ». Non que l’on abandonne Dieu, mais que par la mort de Jésus, le visage de Dieu est à jamais changé, il visite « ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort » pour « conduire leur pas au chemin de la paix ».

Qui oserait réduire la foi à de l’humanisme ? Qui oserait réduire la vie et la mort de Jésus à un humanisme sans Dieu ? Oh certes, on n’y parle plus de Dieu, puisqu’on soulage seulement les frères. Mais que l’on ne s’y trompe pas, c’est là que Dieu se dit.

J’ai eu l’heur de découvrir grâce aux amis virtuels ces quelques lignes d’un évangélique états-unien :

« Jésus nous a répété à maintes reprises que Dieu est différent de nos hypothèses. Nous avons supposé que Dieu était juste et pur d’une manière qui fait qu’il déteste les injustes et les impurs. Mais Jésus nous a dit que Dieu est pur amour, si débordant de bonté qu’il déverse sa compassion sur les purs comme sur les impurs. Non seulement il nous a parlé de la compassion illimitée de Dieu, mais il l’a incarnée chaque jour alors que nous faisions route avec lui. Dans la manière dont il s’est assis à table avec tout le monde, dans la manière dont il n’a jamais eu peur d’être qualifié d’"ami des pécheurs", dans la manière dont il a touché les intouchables et a refusé de condamner même les pécheurs les plus notoires, il a incarné pour nous une vision très différente de ce qu’est Dieu […]

Si Jésus nous montre quelque chose de si radical à propos de Dieu, que nous dit-il sur nous-mêmes, sur les êtres humains et nos institutions sociales et religieuses ? Qu’est-ce que cela signifie lorsque nos dirigeants politiques et nos chefs religieux se réunissent pour se moquer, torturer et tuer le messager de Dieu ? » (Brian D. McLaren, We Make the Road by Walking: A Year-Long Quest for Spiritual Formation, Reorientation, and Activation, New York, 2014)


1 commentaire:

  1. Oh Patrick, je suis là, le souffle coupé… plus rien à dire. Que dire si ce n’est pas pour faire vivre les frères? Et pourtant la fraternité semble un chemin de mort…. Or c’est à la fréquenter que l’on ressuscite comme il est dit dans le texte. Merci pour cette pensée bouleversante au temps de l’urgence.

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