Je lis une présentation amicale du livre de Marie-Jo Thiel, La
grâce la pesanteur, Le célibat obligatoire des prêtres en question, DDB
2024. Je m’empare du propos, non pour commenter ou contester ou acquiescer aux
thèses de l’auteure. Cela viendra si j’en entreprends la lecture. Mais la
présentation que je lis emploie une expression que je conteste fermement et qui
me semble fausser irréparablement la réflexion. Je ne sais pas qui de l’auteure
ou du chroniqueur parle du célibat comme d’« une ‘‘grâce" qui n’est
pas accordée à tous ». Cette manière de parler pour courante qu’elle soit
est plus que problématique. Elle continue de propager la mythologie de la grâce
comme un truc que Dieu donnerait à l’un et pas à l’autre, selon son bon
vouloir, selon un arbitraire. Tiens, à lui je donne ça, à elle non, à lui
certainement pas, mais autre chose ou… la disgrâce.
C’est quoi cette affaire ? Quelle anthropologie
théologique et plus encore quelle vision de Dieu, quelle théologie !
Dieu ne donne à personne ni la grâce du célibat ni quoi que
ce soit. Dire Dieu donne, signifier Dieu se donne lui-même, il est le don et le
donateur et l’acte de donner. (Ainsi dit la préface pascale avec le vocabulaire
sacrificiel de l’épître aux Hébreux : il est l’autel, le prêtre et la
victime.)
Donc si quelqu’un a le don du célibat, c’est comme celui dont
on dit qu’il a le don, le talent d’un artisan, d’une cuisinière, d’une
écoutante. Elle est douée, il est doué, doté(e) si l’on veut. Ne se pose
pas la question de qui l’a doté(e), mais plutôt de la possibilité ou non qu’a
la personne de développer cette disposition.
Le reste relève d’une rhétorique pieuse et surannée qui, bel
exemple, fait que l’annonce chrétienne ne fait pas sens, et pas seulement pour
ceux de "l’extérieur", mais même pour les plus déterminés qui se
pensent disciples. (Ils ne peuvent plus que répéter comme des perroquets le
catéchisme, le brayant plus fort que tous ceux qui interrogent, le brayant d’autant
plus fort qu’ils ne sont plus assurés dans leur foi, confondant le catéchisme
et la foi.) Le reste, donc, est blanc-seing donné à tous ceux qui maintiennent
l’obligation délétère du célibat.
Si l’on veut parler des charismes, il faudra que cela soit
dans le cadre de cette anthropologie théologique. Il est effectivement des gens
divers et leurs différents talents sont une chance pour la communauté humaine
où ils vivent. J’avoue cependant ne pas bien comprendre ce que serait le talent
de célibataire, alors qu’il y a assurément des talents de musiciens, de médecins,
d’enseignant, d’organisateur, d’écoutant (au masculin et au féminin, cela va de
soi). Pour quelles raisons quelqu’un choisit ou subit le célibat, ou croise
telle personne avec qui faire sa vie ? Hasard des choix transformés en
destin. Peut-être même que pour être un bon époux et parent, il faudrait savoir
vivre célibataire, et réciproquement. Depuis l’ère du soupçon, la découverte de
l’inconscient, les conditionnements sociaux-économiques, les précompréhensions
idéologiques, il n’est plus possible de parler des choix de vie dans la
transparence naïve d’un « on était fait pour ça ». C’est toujours
aussi pour répondre à nos failles et combler ou non celles d’autrui que l’on
choisit tel état de vie, tel partenaire. L’amour n’existe pas à l’état pur, il
est toujours aussi une manière de se soigner, de s’ignorer, de s’illusionner. Il
n’est pas que cela, certes. Et il arrive que tout cela puisse rendre heureux ou
malheureux.
Le célibat tout autant que la vie de couple sont pour
beaucoup une pesanteur. Combien désespèrent de trouver un conjoint qui leur
soit accordé, ou constatent qu’ils n’ont guère trouvé leur joie dans l’attelage
qu’il ont formé avec un autre. La grâce et la pesanteur, ce sont celles de ce que
l’humain fait avec l’autre parce qu’"il n’est pas bon que l’homme (l’Adam,
en hébreu, l’humain et non le mâle) soit seul". Et sans doute
choisissons-nous peu cet état, un peu seulement ; il s’impose plutôt. Dans
les cultures et l’histoire, la constitution du couple, comme la destination à un
sacerdoce, est finalement que récemment une histoire de choix. Pendant des
siècles et encore maintenant parfois, la vie religieuse féminine est une
manière d’échapper à la servitude matrimoniale. On comprend qu’il y ait moins
de religieuses en Occident où d’autres manières d’y échapper sont possibles. On
n’est plus "femmes de mauvaises vie" à n’être à aucun homme. On
comprend que beaucoup d’homos puissent choisir d’être prêtre ou religieux. Cela
n’est plus complètement nécessaire dans des sociétés où l’homosexualité, même
contestée, est juridiquement protégée par des droits et l’interdit des discriminations
en raison de l’orientation sexuelle. Le célibat consacré ou disciplinaire ont
été dans l’Eglise pendant des siècles et le sont encore pour certains pays une
possibilité de dire non au mariage pour des femmes comme pour des gays. La
crise des vocations, comme l’on dit, est aussi une affaire de contexte
historique. On n’a plus à échapper au mariage, pour des femmes ou des gays
puisqu’il n’est désormais plus impossible soit de vivre seule, soit de s’unir à
quelqu’un du même sexe. On peut échapper aux impératifs sociaux autrement que
par ce type d’engagements, parce que la contrainte sociale a disparu ou du
moins, s’est fait moins imposante.
Le célibat, consacré ou non, mais choisi, est une forme de
protestation, ou du moins d’affirmation de liberté par rapport à la nature et
la culture. Non, le but de l’humain n’est pas de se reproduire. Oui, l’humain a
le choix contrairement aux animaux, de vivre une sexualité autre que
reproductive.
De façon majoritaire, et la nature humaine et
la société poussent chacun(e) à la vie en couple. Beaucoup disent encore que s’il
n’en était pas ainsi, l’espèce humaine ne se reproduirait pas. C’est l’argument
souvent avancé pour contester les droits des personnes homosexuelles : Si tous
avaient été homos, nous, toi et moi qui bien sûr ne le sommes pas, ne serions
pas là ; preuve que l’homosexualité n’est pas admissible (sic !).
Le célibat apparaît comme une contestation de cet ordre de
nature et de société. Il est une provocation, un pied de nez. J’ajouterais au
même titre que les couples de femmes ou d’hommes homosexuels au risque de
rendre mon discours inacceptable aux oreilles de certains. L'homosexuel oblige à concéder qu'il existe de l'autre à
l'hétérosexualité, pensée comme chiffre de la différence et de
l'altérité. Inconséquence de se faire les champions de l'autre quand on
refuse l'altérité de l'homo.
Le célibat provocation,
pro-vocation appel par devant, c’est tout compte fait traditionnel, au meilleur sens du terme, ou du moins au
sens théologique du terme. Protester au nom du Royaume contre les évidences soi-disant
naturelles et sociales. Non, homme et femme, ensemble, en couple, vous n’êtes
pas la complétude. Non, homme et femme, ensemble, vous n’êtes pas l’accomplissement
de l’humain. (Cela dit, il y en a plein de gens mariés, qui le savent, vu ce qu’ils
en bavent dans le couple, vu que certains couples ne sont pas féconds et prennent
dans la figure ce handicap.) Le célibat, comme la stérilité vient provoquer l’évidence
du couple hétérosexuel. Non, il n’est pas l’idéal de l’accomplissement, il est
d’autres formes d’accomplissement, notamment à travers la stérilité choisie ou
subie, qui ne sont ni supérieures, ni inférieures.
Même dans un couple, idéal, fidèle, pour toute la vie,
heureux, fécond, non concerné trop frontalement par la mort ou le destin « déviant »
de certains de ses enfants, ça manque. Il y a la béance laissée par et pour
Dieu. Le célibat consacré est signe du Royaume, en creux. Il manque celui qui
doit venir. Il manque et l’on reste seul, même dans l’idéal de la famille la
plus heureuse. Ce célibat n’est pas là parce que l’amour de Dieu comblerait, ni
ne ferait de la famille et de l’union des corps un succédané du véritable
amour, divin. Il est à penser non comme un plus, d’un surhomme qui a tout donné
(la preuve, il aurait renoncé au sexe ! faut être obsédé sexuel pour que
renoncer à la génitalité signifie tout donner), mais comme un manque. Il est
douleur, parce qu’il n’est pas bon que l’humain soit seul.
Un argument de convenance, mais rien de plus, peut lier
célibat en vue du Royaume et ministère presbytéral, comme il peut lier célibat
en vue du Royaume et baptême. Cela ne s’impose pas, mais permet de vivre la
dimension prophétique que l’on reconnaît au baptême, comme, même si cela est
très récent à travers les tria munera, au presbytérat. Le problème pour
ce ministère, outre qu’il faudrait vraiment étudier la pertinence des tria
munera à son propos, c’est qu’associé au gouvernement, à l’institutionnel,
on a un peu de mal à voir comment cela est compatible avec la prophétie. C’est
assez rare que prophétique et institutionnel aillent de pair. Je me plais à
penser Jésus comme chassant les vendeurs du temple et contestant comme les
prophètes, les évidences replètes. Ça lui va bien à Jésus d’être célibataire. Il
aurait pu être marié, c’est sûr, et accomplir la même mission. Mais, argument
de convenance, son célibat convient bien à ce que le Royaume indique de
contestation de l’ordre naturel et social. C’est une affaire baptismale. Jésus
est un laïc, il n’a jamais été sacerdote (et le vocabulaire sacerdotal de l’épître
aux Hébreux pour pertinent théologiquement qu’il soit n’a pas prétention à être
historique.)