Félix Vallotton, L'église de Souain (1917) |
On m’a demandé ce que je dirais de l’espérance et je suis resté coi. Comment ne pas confondre ce que l’on espère avec ce dont on rêve ? Comment parler de l’espérance sans se bercer d’illusion ?
Alors que nous entrons en avent, la question me revient. Et je trouve une réponse : j’attends la fin, j’espère la fin. Il y en a assez du mal sur cette terre. Il y en a assez du mal que je vois commettre et qui me rend impuissant. Il y en a assez du mal en moi, pas tant celui que je commets, je ne suis pas sûr de le voir sans doute pour l’aimer, que du mal dont je souffre, la fatigue d’être. « Il n’y a plus moyen de vivre ! Nous éclatons, nous faisons la guerre, nous faisons tout mal, nous n’en pouvons plus de rester sur cette vieille écorce. Nous souffrons mortellement ; de la dimension, de l’avenir de la dimension dont nous sommes privés maintenant que nous avons fait à satiété le tour de la terre. (Ces réflexions, je le sais, suffiront à me faire mépriser comme un esprit de quatrième ordre.) » (H. Michaux, Ecuador 1928)
Est-ce à dire que les gens qui vont bien n’espèreraient pas la fin ? Comment peut-on bien aller dans ce monde de fin des temps. Je me réjouis de l’annonce de la fin, cataclysme qui renverse les injustices, terrasse les créations monstrueuses qui nous asphyxient ou nous broient. Depuis que Jésus a marché sur les routes de Palestine, ce sont les temps derniers, les temps où nous sommes. Et j’ai soif que l’on en finisse de ces temps.
Est-ce que j’imagine qu’un autre monde sera meilleur ? L’eschatologie chrétienne ne vise pas tant un monde après le monde. Elle traverse ce monde pour indiquer qu’il n’est pas une fatalité et qu’il est possible, impératif même, qu’un autre monde soit mis en chantier.
Si j’attends un autre monde, ce n’est pas un arrière-monde, la mythologie d’un paradis perdu que l’on retrouverait. Si j’espère, ce n’est pas par haine de ce monde, au contraire, c’est de l’aimer à la folie, d’aimer passionnément ceux que j’y croise. Tous ? Sans doute pas...
Cette semaine, de passage dans une gare, je croise un ancien détenu. Le plus grand des hasards. C’est lui qui me frappe sur l’épaule. Nous nous embrassons. Jamais nous n’avions fait cela en prison. Sa joie de me saluer en homme nouveau, libre. Ma joie d’être sa joie, de le voir connaître quelqu’un, d’avoir un ami, même si ce ne sont que quelques minutes. Quelques minutes pour donner des nouvelles, pour jouir de la vie libre, normale, de l’homme libre, rendu à sa responsabilité et dignité.
Des nuages sur la tête, c’est sûr. Comment ne pas retomber ? Mais dans cette embrassade, c’est le monde nouveau, celui que j’espère, que j’attends. Je ne sais si j’aurais été plus heureux de croiser un de mes frères ou amis. Non que je ne les aime, mais à celui qui ne peut rien rendre est donné d’offrir au centuple, et c’est cela le monde que j’espère.
Mon espérance, c’est que nous soyons nombreux à voir le prochain si lointain tressaillir dans son humanité par la simple insignifiance de notre personne. Que serait notre monde ? Nous ne serions sans doute pas loin de ce que l’on appelle le paradis, profusion de vie, salut, dernier ennemi, la mort, piétinée, détruite.
Les cieux nouveaux comme consolation des affligés. Nous ne sommes pas tous innocents, nous les affligés. Certains, si ! Ceux qui prennent une bombe sur la gueule à Gaza ou en Ukraine, celles qui sont écrasées en Afghanistan, en Iran, et jusque chez nous, victimes de certains de ceux qui sont derrière les barreaux, eux-mêmes affligés. Qu’est la vie d’un enfant gazaoui pour Netanyahou, qu’est la vie d’un migrant dans la mer, qu’est la vie d’un détenu en cellule ? Qu’est notre vie ? Ce qui n’est pas, ta mè onta ‑ la méontologie de 1 Co 1, 28 ‑ pour confondre le monde et sa réussite, et sa beauté. Renversement. Vivre sous les auspices du mè ôn, de l’insignifiant et la profusion surgit, s’insurge, insurrectionnelle, résurrectionnelle. Mè onta. Vivre sous les auspices de ceux qui ne compte pas.
« Consolez, consolez mon peuple, dit le Seigneur. » Il sait bien que dans le peuple il y a des truands. Cela n’en fait pas moins des personnes à consoler. Cieux nouveaux, terre nouvelle. Mon espérance.
Les bras qui prennent en eux pour protéger, pour dire je t’aime, pour poser le regard sans que les yeux ne dévisagent ni ne jugent, empêchés de viser, regardant seulement une nuque, une joue.
Les bras ouverts qui accueillent, voilà mon espérance, ceux de mon Dieu si ce qu’en disent nos images n’est pas contaminé de trop par la mythologie, ceux des amis, même les amis inconnus, frères et sœurs en humanité. Que mes bras ne se referment sur le vide ou, arrivés trop tard sur la roideur d’un cadavre. Que mon corps épuisé trouve la chaleur de bras qui redonnent vie.
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