Une histoire de ponctuation. Faut-il entendre : une voix crie dans le désert, préparez les chemins du Seigneur, ou bien, une voix crie : Dans le désert, préparez les chemins du Seigneur ? Le prophète s’époumone-t-il en vain, ou bien le chemin doit-il être préparé dans les lieux hostiles, de mort, de tentation que représente le désert ?
Cela revient un peu au même. N’être pas entendu, prêcher dans le désert est aussi vain que de construire une route au pays de la mort. Dans les deux cas, le prophète invite à une subversion, un geste contre l’évidence des forces en puissance. Oui, on finira bien par entendre, et le cri n’aura pas été vain. Oui, le désert est susceptible d’être lieu de transit parce que la mort n’aura pas le dernier mot.
Ces convictions et cette confiance sont au moins la protestation contre le mal. Et si nous attendons un retour du Seigneur, c’est bien pour exprimer ce refus du mal. Lorsque Zacharie chante son cantique en ouverture de l’évangile de Luc, il reprend cette espérance : l’astre d’en haut vient nous visiter pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas aux chemins de la paix. Pendant l’avent, on ne se prépare pas à la venue de Jésus à Noël, c’est fait une fois pour toute ; on attend la fin du mal et il ne faudrait pas que des enfantillages justifient notre refus de rejeter le mal. Il faut relire Is 58 et Am 8.
Tous ne se sentent peut-être pas concernés. Il y a ceux pour qui la vie est douce et généreuse, heureuse et tendre. Qu’auraient-ils besoin du renversement évangélique des puissants et de l’exaltation tout aussi évangélique des petits ? De ces choyés, il en est qui s’inclinent vers la misère de frères non aussi généreusement dotés et qui font leur le cri de ceux qu’ils veulent soulager, dans le désert de la mort ou le constat d’un appel sans réponse.
Il y a ceux qui sont finalement pas mal dans le mal. On gagne parfois en confort à spolier les autres, à s’enrichir par les trafics, à exploiter les autres, à les tuer. Le mal ne nous est pas toujours détestable, sans quoi, il y a fort à parier que nous ne l’aurions pas commis. Nos vies sont des déserts où les cris résonnent en vain.
Il est dans le Deutéronome un drôle de passage. Vois je mets devant toi la vie ou la mort. Choisis la vie ! Qui donc choisirait la mort ? Avons-nous vraiment besoin d’un dessin ? Choisir de vivre est plus compliqué qu’il y paraît. Il ne s’agit pas de continuer à s’alimenter et respirer, il s’agit de transformer, avec et pour les autres, et dans des institutions le plus justes possibles, ce qui nous échoit de vie en destinée, se faire artisans du bonheur d’autrui, non à sa place, mais à son service, pour autant et quand il en a besoin.
Quelle lumière plus forte que les ténèbres et l’ombre de la mort, lorsque nous avons permis à l’autre d’être à la joie, à l’estime envers lui-même. Cela, nous pouvons nous l’offrir et nous recevons au centuple. L’enfant qui jubile à grandir, le jeune adulte qui s’enthousiasme d’apprendre à mener sa vie sont des exemples de ce que, malgré la noirceur de monde, il est possible de tressaillir de joie. Cela sonne juste, chacun résonne d’être à sa juste place, ceux qui ont peu compter sur les autres autant que ceux qui voient briller dans le regard de l’autre la reconnaissance d’avoir été accompagnés, accueillis, soutenus, soignés.
Ce que l’on observe politiquement avec les replis identitaires est l’exact contraire de ce désert changé en verger verdoyant et fructifiant, de l’épée devenu soc de charrue. Choisis la vie, exhortation divine, dénonce nos évidences indiscutées, propos de comptoir : C’était indiscutablement mieux avant. Il n’y avait pas tant de… et de… et de. Mais comment comparer des époques quand on reconstitue idylliquement le bon vieux-temps. Faut-il avoir une mémoire sélective et coupable pour parler du XXe siècle comme le bon vieux-temps ! Deux guerres mondiales, des guerres coloniales, l’oppression des dictatures de droite ou de gauche, des millions de morts, le capitalisme qui concède dans la douleur le droit des travailleurs. On arrête. Faisons la liste des tyrans qui s’assoient sur les droits de l’homme et s’affranchissent de l’Etat de droit. Je vous l’accorde, la moralité des autres n’est pas forcément meilleure ; combien de ceux qui ont occupé les plus hautes responsabilités ont été condamnés ou usent de tous les recours pour nier l’évidence. Mais ils n’ont jamais voulu renverser l’Etat de droit.
C’est une manière d’exiger les institutions les moins injustes que de crier, fût-ce en vain, de construire une route, fût-ce dans le désert. Choisis la vie, et l’éclat du Seigneur emplira l’univers comme les eaux couvent les mers.
Merci ! Avec vous, nous continuerons là où nous sommes de crier dans le désert pour que chacun ait le choix de la vie !
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