« Ceci est mon corps ». La théologie et partant la vulgate eucharistique ont pris un certain nombre de fausses routes au cours des siècles, des impasses infernales. Cela ne serait ni étonnant ni grave si nombre de catholiques ne considérait ces dérives comme le cœur de leur foi eucharistique et sacrilège tout ce qui voudrait aider à en sortir, de sorte que la théologie est moins coupable que la pratique, tant la pastorale que la revendication des fidèles.
Parmi ces impasses, celle qui a interprété « Ceci est mon corps » comme une définition de type ontologique. On interroge sur le sens du mot « est ». Comment le pain est-il corps ? Comme si Jésus avait en tête au cours du dernier repas une définition sur les sens du verbe être. Au tournant de l’an mil, on imposa que le pain soit dit être substantiellement le corps du Christ. C’est l’époque où l’on ne comprend plus que c’est l’assemblée qui célèbre l’eucharistie, mais le prêtre, où les clercs ne sont plus ministres parmi la communauté mais en soi, sacerdote. Or, en bonne théologie scripturaire et patristique, le corps du Christ c’est la communauté des disciples, depuis Abel le juste, lequel n’a jamais entendu parler de Jésus, disons la communauté des justes, ceux qui ne boivent pas leur condamnation quand ils partagent la coupe eucharistique (1 Co 11, 29 et 34).
On a voulu que le verbe être signifie une exacte et exclusive coïncidence du pain et du corps, du vin et du sang, omettant qu’on ne peut comprendre une phrase hors de son contexte.
Vous voudrez bien excuser ma comparaison, je la choisis à dessein, autant pour sa pertinence que son impertinence. Quand la prostituée dit « Ceci est mon corps », le client ne réfléchit guère au sens du verbe être ! il entre dans une relation, tarifée, où s’offre celui ou celle qu’il paie. Quand les amants se disent « Ceci est mon corps », ils entrent dans le don que l’on peut espérer le plus chaste, respectueux possible. Le corps en question n’est pas l’anatomie physiologique, mais une métonymie, toute la personne, corps et âme, âme et esprit. Saint Paul sait qu’il existe le corps spirituel (1 Co 15, 44) !
Lorsque Jésus prononce les mots que l’Eglise ne cesse de répéter, il ne disserte pas sur la transsubstantiation, mais il se donne aux disciples. Voilà, ma vie est entre vos mains, dans votre bouche, dans votre estomac. Je me donne à vous comme votre nourriture, vos vivres, mot si bien choisi, où ce que l’on mange se dit avec le verbe de la vie, vivre.
Les mots de Jésus ne sont pas « Ceci est mon corps », mais « Ceci est mon corps pour vous » (1 Co 11, 24). Jésus ne fait pas de métaphysique mais se donne, s’offre, gracieusement, grâce, gracieux comme l’ange au sourire de Reims, gratuitement, sans raison, sans pourquoi.
En grec comme en latin, pain est un substantif masculin. Or le pronom « ceci » est au neutre. Grammaticalement, il ne peut désigner le pain mais ce qu’ils sont en train de vivre, le don que Jésus fait, le partage, leur communion. C’est cela le corps du Christ, la communauté suscitée, constituée, entretenue par le partage, le don gracieux, gratuit, plein de grâce et de vérité. « Vous êtes le corps du Christ, membre chacun pour votre part » (1 Co 12, 27)
Je sais, je pousse un peu. Je ne trouve pas dans la tradition patristique de commentaire sur le décrochage du masculin au pronom neutre. On peut d’ailleurs parfaitement dire : Il donne le pain ; cela nourrit la foule. Un neutre désigne un masculin. Mais dans la tradition patristique, on ne distingue pas le pain de l’assemblée qui s’en nourrit.
« Si vous voulez comprendre ce qu’est le corps du Christ, écoutez l’Apôtre, qui dit aux fidèles : Vous êtes le corps du Christ, et chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps. Donc, si c’est vous qui êtes le corps du Christ et ses membres, c’est votre mystère qui se trouve sur la table du Seigneur, et c’est votre mystère que vous recevez. A cela, que vous êtes, vous répondez : « Amen », et par cette réponse, vous y souscrivez. On vous dit : « Le corps du Christ », et vous répondez « Amen ». Soyez donc membres du corps du Christ, pour que cet Amen soit véridique. » (Augustin, Sermon 272)
Ainsi nous demandons : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit saint en un seul corps. »
Saint Dominique invite les gens à la table du Christ, 1300-1350, Ombrie, enluminure
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