Rester dans l’Eglise.
La question se pose pour plusieurs catholiques, non qu’ils doutent de la vérité évangélique, mais qu’ils désespèrent de l’institution ecclésiale et souffrent de ses refus d’entendre leurs appels. On pourra parler de violence institutionnelle qui prend ici la forme d’un mépris du peuple de Dieu, et aussi de l’évangile. L’institution, et beaucoup de ceux qui confortent ou entraînent son fonctionnement autocentré, à bien des égards, sont infidèles à l’évangile, refusent de s’y rendre, et même le trahissent. Quelques-uns, en majorité les évêques, tiennent pour rien les avis différents des leurs, au nom de la tradition ou de la doctrine qui pourtant, au long des siècles, n’a cessé de se transformer. (Newman parlait de développement du dogme) En sociologie, on remarquerait la résistance à ce que les responsabilités et pouvoir soient partagés, alors même que la tradition ne cesse d’innover quand cela arrange ceux qui gouvernent : l’infaillibilité pontificale et la disparition des laïcs des synodes ou conciles par exemple sont des nouveautés. (Les plus tradis sont les plus novateurs, les moins traditionnels.)
La célébration de l’eucharistie est un des lieux où se manifeste hautement, parce que sacramentellement, l’appartenance ecclésiale (Elle n’en n’est ni le marqueur principal ni l’acte exclusif). Personnellement, je continue de pratiquer l’eucharistie, parce que j’ai appris à prier ainsi. Une forme d’habitus me tient par la messe à la régularité de la prière. N’importe pas de présider ou de concélébrer, si l’on est prêtre, mais de partager la parole comme un pain avec les frères et sœurs. Il m’est cependant de plus en plus insupportable par la faute du clergé de fréquenter ce rassemblement, tant, souvent, l’égo des célébrants se répand sans retenue ni chasteté aucune, tant la théologie sous-jacente des homélies et monitions est non seulement indigente mais fausse, tant le soi-disant respect des rubriques s’écarte d’un art de célébrer.
Je continue à appartenir à l’institution ecclésiale parce que cela m’offre la fraternité de personnes dont la vie est vraiment évangélique, non pas un groupe dans lequel je suis à l’aise, mes amis ou une communauté jusqu’au communautarisme mais, tout ce qu’ils font et sont au nom du Christ, chapeau ! Et je suis pris dans leur sainteté, leur marche sur son chemin. La première fois que j’ai vécu cela, j’avais vingt-six ans. Des religieuses du quartier m’avaient invité pour faire connaissance. Ce qu’elles faisaient, j’en étais incapable et je le découvrais comme déterminant pour l’évangile. Pas sûr que leur sensibilité me convenait, mais ce n’était pas le sujet. Je pris conscience que, heureusement, je pouvais bénéficier d’être de l’Eglise qu’elles constituaient par tout ce qu’elles étaient et faisaient.
Je continue à appartenir, parce que cette appartenance, qui si souvent empêche l’évangile et la mission, la rend aussi possible. Je pense à ce que l’institution me permet avec les migrants et les détenus, et nombre de personnes que la bien-pensance ecclésiale rebute voire exclue. C’est un fait social, non exclusif mais bien réel, l’appartenance catho rend possible de s’approcher, non à titre personnel, y compris par la grosse machine institutionnelle et ses possibilités financières, sociales, etc. N’importe pas que l’on sache que c’est à cause de l’évangile quand bien même cela voudrait l’être.
Avoir des amis dans l’Eglise, je ne suis pas certain que cela aide à maintenir l’appartenance. Les amis sont finalement peu nombreux parmi ceux qui organisent la pastorale, l’action de l’Eglise. Trop souvent, la pastorale des disciples missionnaires ou des structures va à l’encontre de ce que je veux vivre, voire à détricote ce que je veux vivre. La position de surplomb des clercs, et du catho de base, qui jugent avec condescendance mais aucune magnanimité la vie des gens pas comme eux est un répulsif. Les soi-disant ou auto-proclamés influenceurs cathos dans l’immense majorité des cas, ne disent rien de ce que je crois et démontrent à chaque mot combien il y a urgence à ne pas appartenir à une phalange aussi dangereuse qu’antiévangélique, l’évangile plein la bouche
La pourriture institutionnelle n’a pas de quoi laisser espérer la bonne institution. C’est précisément de se croire bonne qui fait que l’institution est aussi insupportable que nocive et agressive. Il ne s’agit pas de désirer une autre Eglise, elle sera aussi ratée que l’actuelle, voire pire. Il s’agit de placer en cette institution comme en toutes des dispositifs qui limitent la putréfaction mortifère.
La pourriture institutionnelle n’est pas le propre de l’Eglise, mais ce qui en elle la rend encore plus insupportable, c’est sa prétention à la vérité, c’est de justifier ses bassesses par l’évangile, bien si précieux au cœur de nombre de personnes, qu’elles se reconnaissent ou non, appartenir à l’Eglise. Et pour nombre de clercs, c’est un calvaire, une torture. On s’étonnera qu’ils n’aillent pas bien. Partir, c’est abandonner ce que l’on croit juste avec et pour les frères et sœurs humains. Rester, c’est être solidaire de ce que l’on juge contraire à ce qui est juste avec et pour les frères et sœurs.
On pourra citer Michel de Certeau, Comme des nomades, 1975 « Il s’agit moins de savoir comment vivre une appartenance que d’apprendre à vivre en dépassant l’appartenance. C’est précisément ce qu’indique la différence entre le ‘lieu’ et le ‘chemin’. »
Vivre en dépassant l’appartenance ne signifie pas quitter l’appartenance. On appartient toujours à des institutions, celle-là ou d’autres. Il faut monter une stratégie pour que l’appartenance soit chemin. Ce n’est pas chemin contre lieu, mais lieu comme chemin. Certeau a davantage privilégié le chemin sur le lieu. Mais le chemin demeure un lieu ou le lieu est un chemin, contrairement à ce que fige l’institution. Ce que beaucoup vivent c’est que le lieu est un chemin, d’où la souffrance de rester quand tout se fige, s’immobilise, arrêt sur image d’une tradition aussi anhistorique que fantasmée. Avec l’appartenance va l’identité ; avec le chemin la pratique de la différence.
Le chemin est un lieu et l’on n’existe pas sans les autres, y compris institutionnellement. Reste à marcher sans se soucier de l’effacement institutionnel, mieux, en y œuvrant, parce que Christ est aussi toujours ailleurs, et que c’est notre joie de le découvrir en route, en d’autres lieux et chemins.
Avec Certeau, Bellet encore : « Rien de plus dangereux que de dire par quoi les hommes vont enfin devenir un et tous libres, puisque toute force de servitude aura disparu. C’est le chemin le plus court de l’oppression absolue : puisqu’elle s’appuie (paraît-il) sur la liberté et la justice, sur l’amour et la joie commune. » (L’Epreuve, 1988)
C’est ce que je dis aujourd’hui. Je ne sais si demain, je saurai ou pourrai tenir le même discours.
Pour un christianisme sans religion, titrait Bruno Mori (ed Karthala). Comment annoncer Dieu dans un monde sans Dieu disait Bonhoeffer, qui l'a payé de sa vie ? Et si on relisait Loisy ? Et si on lisait Seewald ? Et si on pouvait vivre, aussi, avec tous ceux qui se retrouvent dans une Eglise qui rassure. Mais rassurer, c'est contribuer au pire, concluait Girard (Achever Clausewitz 2011) Nous sommes bien au début du christianisme. Et si la fin annoncé des "vocations" était une bonne nouvelle: la réussite de la mission des témoins d'hier, confirmant l'intuition de Gaucher, religion chrétienne comme religion de la fin des religions.
RépondreSupprimerJamais Bonhoeffer n'a pensé un évangile sans institution, sans Eglise. Et c'est de cela qu'il s'agit. Le reste, la dernière citation, celle de Bellet, lui règle son compte.
RépondreSupprimer« nous allons au-devant d’une époque totalement irréligieuse ; tels qu’ils sont, les hommes ne peuvent tout simplement plus être religieux…toute notre révélation et notre théologie chrétienne, vieille de 1900 ans, repose sur « l’a-priori religieux » des hommes… que signifie cette situation sur le christianisme…Qu’est-ce qu’un christianisme sans religion ? » « Comment parler de Dieu « laïquement » ? Bonhoeffer D Résistance et soumission Labor et Fides 1973 p 288... pour la précision bibiographique ! Merci pour les remarques pertinentes. Effectivement le théologien allemand n'exclut pas du tout l'Eglise, mais se pose la question du langage, et l'institution est interpellée, c'est le moins qu'on puisse dire.
RépondreSupprimerA Saint-Polycarpe les confessionnaux remplis des matelas des jeunes migrants qui y dorment tous les soirs et une eucharistie au milieu de ces installations de fortune dans le décor improbable des splendeurs délabrées d'une église puissance ... après tout l'institution c'est aujourd'hui cela. On se demande pourquoi rester et finalement ce n'est pas tellement que l'on reste mais plutôt que l'on vit et qu'on existe pour ces moments avec d'autres qui ne partagent probablement pas vraiment tout ce que l'on pense, avec des mots qui sont bien maladroits ou inadaptés. Le Christ est là, même dans nos églises, c'est dire ...
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