Nous avons commencé il y a quelques semaines la lecture de l’épître aux Hébreux. Pas sûr que nous sachions dire quoi que ce soit des extraits déjà entendus. Nous ne comprenons pas aisément le vocabulaire employé, celui du culte de l’Ancien Testament, celui du sacrifice, du sang et du grand-prêtre.
L’auteur de l’épitre, comme ses contemporains, comme nous aussi, lit le Premier Testament comme une prophétie. Ce qui s’est passé avec nos pères, dit-il, n’est pas seulement une histoire ancienne. C’est une clé de lecture de toute l’histoire, en particulier « des temps derniers où nous sommes » (He 1,2) depuis la mort et la résurrection de Jésus.
Avec Jésus, l’histoire opère un virage sans retour. Avec Jésus, on entre dans un autre âge de l’humanité. Désormais Dieu habite corporellement notre monde et la création en est transfigurée, renouvelée, menée à son terme, à son accomplissement.
Pour comprendre cette nouveauté radicale, il faut la comparer à ce que déjà nous connaissons. En effet, si tout était nouveau, absolument, sans comparaison possible, nous ne pourrions pas en parler. Nous n’aurions pas les mots pour le dire. Pour dire la nouveauté, il faut dire l’ancien et le détourner. C’est ce que fait l’auteur de la lettre aux Hébreux comme tous les chrétiens depuis qu’ils lisent le Premier Testament comme une prophétie.
Au centre de sa prédication, l’auteur de l’épître aux Hébreux place le sens de la vocation chrétienne. Etre chrétien, c’est rendre un culte au Seigneur, c’est cultiver avec lui la relation d’alliance, ou plutôt, c’est renouveler dans le culte l’alliance scellée définitivement dans le sang du Christ.
Le culte n’est pas une histoire de sacristie ou de débauche cérémonielle. Dans la veine prophétique, le culte, c’est toute la vie, pour autant qu’elle se laisse transformer par la sainteté du seul et trois fois saint. La liturgie n’est pas une activité parmi d’autres : elle est comme le condensé de l’existence chrétienne. Elle ne rajoute rien et est pourtant indispensable.
C’est toute notre vie qui est liturgique, c’est-à-dire placée devant Dieu, et ce que nous célébrons en ce moment dans cette liturgie, n’est que l’expression condensée de notre existence coram Deo. On n’y trouve pas Dieu plus que le reste du temps, et même, à venir explicitement à sa rencontre pour n’entendre que son silence conduit à reconnaître que Dieu n’est « jamais présent à la conscience sur un mode pleinement évident. » (Lacoste), ce qui distingue idolâtrie et foi. Et Dieu sait que dans l’idolâtrie, il y va du culte, plus que de la foi. Voilà un des exemples ou la reprise du vocabulaire ancien est travestissement de ce vocabulaire pour dire une nouveauté inouïe : Rien ne vaut le culte, et pourtant, le culte n’est rien de toutes les activités que nous faisons. Il est une attitude, révélée dans la liturgie, et celle du dimanche notamment, et non une activité sur notre agenda, le dimanche matin.
Si la vie est cultuelle ou liturgique, alors où sont les prêtres, qui sont les prêtres de cette liturgie ? Il n’y en a qu’un seul, Jésus, qui est entré dans le monde comme dans le temple en disant avec le psaume : « Me voici Seigneur, je viens faire ta volonté » (He 10,7). Et lorsqu’il meurt, le voile du temps se déchire, Dieu n’habite plus seulement un endroit de la terre, un coin de nos vies, un moment de notre semaine. Lorsque le voile se déchire, c’est comme une inondation sur toute la terre, un déluge : Dieu se répand partout. Plus rien n’est sacré parce que tout est saint ; tout est sanctifié par sa présence. Où que nous soyons, qui que nous soyons, quoi que nous fassions, nous pouvons vivre devant Dieu, coram Deo.
Et qui est digne de s’avancer ainsi dans le sanctuaire, dans le lieu de Dieu ? Les pécheurs que nous sommes seraient morts à vivre devant Dieu, à voir Dieu de face. Nous le disons à chaque eucharistie, « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir », que entres en mi casa, et encore moins d’entrer dans ta maison.
Il n’y a pas de prêtres chez les chrétiens, à la différence des païens. Il n’y a pas d’intermédiaire entre la divinité et les hommes parce qu’il y a un seul médiateur, un seul intermédiaire, un seul grand-prêtre, Jésus. « Tel est bien le grand prêtre qui nous convenait, saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs, élevé au-dessus des cieux. » (He 7,26) Et notre texte disait : « Le Christ ne s’est pas attribué à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de celui qui lui a dit : Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré, conformément à cette autre parole : Tu es prêtre pour l'éternité à la manière de Melkisédek. »
Le Nouveau Testament n’utilise jamais le vocabulaire sacerdotal et religieux, sauf pour Jésus (et les Juifs ou les païens). Pour les chrétiens, il parle d’anciens, terme profane que nous traduisons par prêtres. Il y a deux champs sémantiques, sacerdotal et presbytéral : malheureusement, le français dit les deux avec le même substantif, prêtre.
S’il n’y a qu’un seul prêtre, un seul sacerdote, tous cependant vivent d’une existence sacerdotale à sa suite, plongés dans sa mort et sa résurrection, baptisés en lui. N’est-ce pas cela être chrétien, être introduit dans le sanctuaire, vivre devant Dieu, coram Deo, grâce à la possibilité que le Christ a ouverte et à sa suite ? Voilà le peuple sacerdotal, le peuple saint dont parlent l’épître de Pierre et l’Apocalypse de Jean. C’est le peuple qui expose sa vie devant Dieu, qui rend un culte à s’exposer ainsi à la grâce de Dieu. Être baptisés, être chrétiens, c’est vivre en mettant sa vie sous le regard d’amour de Dieu, devant Dieu. Ainsi, baptisés, grâce et à la suite du Christ, nous, peuple de prêtres, nous tenons devant Dieu, pour vivre une existence coram Deo.
Textes du 30ème dimanche : Jr 31, 7-9 ; He 5, 1-6 ; Mc 10, 46-52
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