Quelle drôle de fête ! Non pas celles de hérauts de la foi, ou du moins pas d’abord ni seulement. Mais la fête de la foule immense, celle de ceux qui cherchent Dieu. La fête des anonymes parvenus à la sainteté. C’est incroyable cette histoire. Le seul et trois fois saint transfigure la multitude qui retrouve la ressemblance originelle : Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance. Le projet créateur trouve en cette fête l’expression de ce qu’il a atteint son but. Ils sont saints comme il est saint, ils sont à son image et ressemblance, foule innombrable de tous les saints.
Pas moyen de transiger en cherchant une sainteté humaine, trop humaine et seulement humaine. C’est bien de la sienne, le seul et trois fois saint, qu’il s’agit. Cette drôle de fête en effet ne peut être que la sienne. Un seul Dieu tu adoreras, et nous ne fêtons pas les saints, des hommes et des femmes, mais la victoire du projet créateur, la victoire du créateur qui tire du néant, du chaos informe, la multitude des enfants de ce monde pour que sa sainteté les habite et remplisse à nouveau tout ce qui est. La sainteté de Dieu n’a pas reculé d’un iota. Même ce qui n’est pas lui, le ciel et la terre, même ce qui n’est pas lui, l’humanité à son image et ressemblance, sont remplis de sa gloire.
C’est ainsi la victoire du dessein divin, la victoire de Dieu lui-même, le saint, la victoire de la sainteté. Mais bon, cela ne saute pas aux yeux. Où sont-ils tous ces saints. En connaissons-nous beaucoup ? Où voir la victoire de la sainteté dans l’horreur du mal dont l’homme se rend coupable, depuis les crimes contre l’humanité jusqu’à la méchanceté quotidienne, depuis les abus de pouvoir jusqu’aux silences complices, en passant par la conviction de faire bien, alors que c’est le mal que nous produisons ?
C’est encore la question du mal qui vient mettre en péril l’édifice de la foi. St Thomas d’Aquin le reconnaît, l’objection contre Dieu réside bel et bien dans le mal. Affirmer la sainteté de la foule immense, des 144 000, n’est-ce pas une douce illusion, au mieux consolante quand elle n’est pas purement et simplement l’expression de l’impossibilité de la foi ? A trop en vouloir avec le christianisme, à vouloir la sainteté de la multitude, ne discrédite-t-on pas la foi elle-même ? Mais si la foi n’a pas cette extravagance, si elle est humaine, trop humaine, a-t-elle quelque chose de plus que la vie ? Mérite-t-elle qu’on la confesse ?
Qui sont ces 144 000 ? Les sectes, à compter et à exclure tout surplus à ces quelques centaines de milliers, évitent le piège de la radicalité de l’affirmation chrétienne, où la foi elle-même casse ou passe. Mais les 144 000 sont bien tous, et même plus que tous. La totalité de la douzaine, multipliée par elle-même, histoire de n’oublier personne, et cette totalité au carré est encore multipliée par mille, pour faire bon poids.
Finalement, la Toussaint c’est aussi incroyable que la résurrection du Christ, ou que la résurrection de la chair. C’est d’ailleurs exactement l’expression de la résurrection de la chair par la victoire du Crucifié. C’est le cœur de la foi et non une drôle de dévotion connexe. Il n’y a pas d’ailleurs de dévotion connexe dans la foi. Tout est un reflet du cœur de la foi, la victoire de la vie, de la sainteté de Dieu. Là encore, ça passe ou ça casse.
Sans résoudre toutes les questions, et notamment sans répondre explicitement à la question du mal, la liturgie ouvre une piste importante avec la seconde lecture. Et pourtant, on pourrait se demander si cette lecture a un rapport avec la fête de ce jour. « Mes bien-aimés, voyez comme il est grand l’amour dont le Père nous a comblés : Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes. »
Nous n’y sommes pour rien dans la sainteté qui est la nôtre. Ils n’y sont pour rien, tous ceux de la foule immense. Ils ont juste été appelés, appelés enfant de Dieu. La sainteté n’est pas la nôtre mais la sienne. Il nous appelle du néant, non plus seulement celui du tohu-bohu originel, mais celui du mal, il nous rappelle de la mort à la vie. C’est sa vie qui nous enfante lorsqu’il nous appelle et fait de nous ce qui ne paraît pas encore, ses enfants.
Si jamais vous cherchez la sainteté, ne cherchez pas trop à bien faire. Laissez cela à l’instruction civique, à la morale bourgeoise ou à celle de l’instituteur de la Troisième République. Non que nous devrions mépriser la volonté de bien faire, mais que éclairés par la lucidité de Paul, nous savons que faire le bien n’est pas à notre portée, que faire le bien ne supprime pas le mal et la mort et que le mal que nous ne voudrions pas nous le faisons, alors que le bien que nous voudrions, nous ne le faisons pas.
Si jamais vous cherchez la sainteté, exposez-vous comme à un soleil, le soleil de justice, à la sainteté du Saint. Laissez-vous transformer, transfigurer, libérer, sanctifier. Laissez entrer sa sainteté en vos vies plutôt que de chercher par vous-mêmes à bien faire. Vous ne pourrez jamais faire en sorte d’être de ses enfants. C’est lui qui l’a voulu, parce qu’il nous aime.
« Mes bien-aimés, voyez comme il est grand l’amour dont le Père nous a comblés : Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes. »
Textes du Jour Ap 7, 2-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mat 5, 1-12
Ce que je retiens surtout de la Toussaint, c'est que nous sommes saints, effectivement non par nos propres mérites mais en vertu du seul et unique saint. Il y a dans cette parole un souffle libérateur. Enfin ! ne plus avoir à s'inquiéter d'une sainteté humaine ! Enfin ! cesser de se demander anxieusement, en comptant les péchés et les grâces, si je peux m'approcher de l'autel ! Enfin, regarder son frère comme un saint et non comme un ennemi ou une âme perdue à convertir ! Enfin, reçevoir l'amour du Père ; et c'est tout...
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