Pendant l’hiver 2009, l’Eglise catholique a été violemment secouée par les réactions dans et hors de l’Eglise à quatre événements : 1) levée des excommunications frappant des évêques intégristes, dont l’un avait tenu encore récemment des propos négationnistes ; 2) propos du Pape sur le préservatif et prises de positions intempestives, dont celle de l’évêque d’Orléans sur la porosité du latex ; 3) nomination d’un évêque conservateur en Autriche et démission après l’intervention de la conférence épiscopale du pays ; 4) excommunications, plus ou moins confirmées, au Brésil après l’avortement d’une enfant violée
Il ne s’agit pas de reprendre ces affaires. Il est en outre évident qu’elles n’ont pas toujours été médiatisées honnêtement et que l’occasion était trop belle de discréditer un peu plus l’Eglise. A quelques mois de distance, peut-on repérer ce qui est en jeu ?
Mystique de l’autorité et culte du secret
Le Pape ou un évêque exercent à la fois un pouvoir, quand bien même celui-ci est perçu comme un service, et une charge religieuse, sacrée, de sorte qu’il est bien difficile de contester leur autorité sans être en même temps sacrilège.
Le Cardinal Congar écrivait : « L’ecclésiologie s’est fixée, pour l’enseignement des clercs et des fidèles, dans un schéma où la question de l’autorité domine au point que le traité tout entier est plutôt une hiérarchologie ou un traité de droit public. Dans cette affirmation de l’autorité, la papauté reçoit la part du lion. ». C’est ce qu’a voulu rééquilibrer le concile Vatican II (1962-1965) en redéfinissant la place des évêques. Cela n’a servi à rien ; les évêques semblent se comporter comme des petits garçons face au Pape, n’osant rien dire.
Surtout, comme l’écrit encore Congar : « le concile n’a pas développé pour elle-même une théologie de la communauté ; beaucoup d’aspects, même fondamentaux, sont demeurés tout juste ébauchés voire implicites. » On ne peut trouver normal que le pouvoir soit exercé dans le secret, que des décisions puissent être prises sans appel ni justification possibles, motu proprio, que la hiérarchie ne se sente pas obligée par ceux qui sont aussi l’Eglise.
Deux conceptions de l’Eglise s’opposent : l’une dite grégorienne ou tridentine, où l’Eglise c’est le pape et les évêques (voire les prêtres), les laïcs n’en faisant pas vraiment parti ; l’autre, sur le modèle du 1er millénaire, où ce qui prime c’est la fraternité établie entre tous les baptisés, ferment de la fraternité entre tous les hommes Les ministres ne reçoivent pas un pouvoir mais sont des serviteurs qui parlent et agissent au nom de l’Eglise.
Après un concile, il faut du temps pour que son enseignement soit reçu ; presque chaque fois, il y eut des schismes. Nous sommes dans la phase de réception de Vatican II et ce n’est pas un hasard si les secousses de l’hiver ont commencé avec la levée des excommunications contre ceux qui rejettent ce concile. Quoi qu’on en dise, il y eut rupture avec ce concile, non pas bien sûr avec la foi qui est la même, avec l’évangile ou le Christ ; non pas avec la grande tradition de l’Eglise qui a plutôt été redécouverte telle qu’elle existait au 1er millénaire, mais rupture avec une tradition plus récente et une conception de l’Eglise, de la vérité, de la liturgie, des rapports théologico-politiques, points sur lesquels justement bloquent les intégristes. Il faudra encore du temps…
La curie romaine, comme nombre d’administrations diocésaines, compte un personnel aussi réduit que dévoué. Plutôt qu’une pénurie de personnel, c’est la conception du gouvernement qui fait problème. Autant qu’on puisse le savoir, il n’y a pas de « conseil des ministres » régulier au Vatican. Lorsque le pape dit travailler collégialement, cela signifie qu’il consulte tel ou tel collaborateur. La grâce d’état, estime-t-on plus ou moins explicitement dans une sorte de mystique du pouvoir ou de l’infaillibilité, dispenserait des médiations communes. Il ne suffit certes pas d’un conseil pour travailler en équipe, mais l’on est sans doute plus pertinent à plusieurs, en particulier eu égard à la complexité du monde contemporain.
L’Eglise, une démocratie ?
L’hostilité de l’Eglise à la démocratie durant le XIXème siècle n’est guère contestable. Comme le disent les intégristes, ce n’est pas parce que tous pensent de la même façon qu’ils ont raison. De surcroit, lorsque l’on est dans le vrai, comment laisser les autres, sous prétexte de liberté, courir à l’erreur ? Des arguments autrement plus sérieux méritent d’être pris en considération. D’abord, si la majorité se joue à 50% plus une voix, cela veut dire que l’opinion d’un même nombre de personnes (50% moins une voix) peut être ignorée. Ensuite, la démocratie est un régime fragile qui requiert le souci de chacun. Que devient l’idéal démocratique lorsque, de fait, le pouvoir est confisqué par une caste de politiciens, trop peu souvent désintéressés, au point que les citoyens ne voient plus comment prendre part aux décisions ni faire confiance à ceux qui les représentent ? L’abstention est le symptôme d’une démocratie malade.
Le droit de l’Eglise prévoit un système de conseils qui, pour peu qu’il soit effectivement mis en place, permet de recueillir l’avis du plus grand nombre en vue du consensus. C’est ce que l’on appelle la synodalité. Un évêque ou un curé ne peut, contrairement à trop de contre-exemples, décider seul ; il préside à la recherche du bien commun et du vrai. L’avis consultatif de ceux avec qui il travaille et vit en Eglise n’a rien d’optionnel sous peine que les décisions soient autocratiques, arbitraires voire tyranniques. Le cardinal Kasper écrivait dès les années 80 : « aujourd’hui, vingt années après le Concile […] se manifestent à nouveau certaines formes d’un monopolisme du magistère. […] Ce n’est pas que par la voix du magistère de l’Eglise que l’Eglise peut parler concrètement et d’une manière qui oblige. »
Quelle conception de la vérité ?
Face à ce que certains perçoivent comme une agression contre l’Eglise, notamment avec le recul de la christianisation dans de nombreux pays du Nord et l’avancée dramatique des sectes dans d’aussi nombreux pays du Sud, il faut défendre la vérité au nom même de la charge reçue du service de cette vérité. Mais qu’est-ce que défendre la vérité ? « On peut avoir tort dans sa manière d’avoir raison » L’Evangile n’est pas une idéologie qu’une réaffirmation doctrinale voire doctrinaire, la discipline et la dévotion suffiraient à propager (http://www.archikinshasa.org/autres/jeanxxiii. htm). L’Evangile c’est la vie donnée du Christ. Or la prise de parole apparaît comme un risque trop onéreux et il faudrait préférer l’ordre et l’obéissance à la liberté, tant est grande la hantise du laxisme. Et pourtant, c’est la vérité qui rend libre (Jean 8,32).
« Un lion en chaire, un agneau au confessionnal » disent les Romains. Mais la société contemporaine ne comprend plus cette attitude qui lui paraît contradictoire et hypocrite entre rappel strict de la loi et accueil miséricordieux.
Les communautés chrétiennes aussi gardent l’Eglise fidèle à l’appel qu’elle a reçu, être la servante du Seigneur. Cela passe en outre par une confiance effective dans « le sens de la foi » des baptisés.
Après un rude hiver…
Faut-il être découragé ou troublé par une Eglise, par des chrétiens, infidèles à leur maître ? Sans doute pas, ou alors nous serions de doux idéalistes, dangereux à force d’intolérance. (Etre tolérant avec les gens bien, ce n’est pas vraiment de la tolérance ! Et qui décide qui sont les gens bien ?) Non que nous devrions nous faire une raison sous prétexte qu’il en a toujours été ainsi et en sera toujours ainsi ! Au contraire la prise de parole et l’écoute de tous dans l’Eglise est une nécessité, une nécessité évangélique.
On ne saurait simplement opter pour des communautés d’élection où l’on se sent bien parce qu’on y entend ce qu’on pense. Le zapping est peu compatible avec le dialogue, certes exigeant, ni avec la condamnation du libéralisme et du subjectivisme par les souverains pontifes des derniers siècles, ni avec la tradition qui fait de la persévérance une vertu. Une paroisse, un diocèse ne sont pas des crèmeries dont la concurrence serait régie par la loi du marché. On ne peut en prendre et en laisser. « L’Eglise dans son ensemble est une communauté spontanée, mais en elle on ne peut choisir sa propre communauté. » (J. Ratzinger 1969)
On doit sans doute se réjouir de ce que beaucoup de chrétiens ont pris la parole[1]. Ils n’ont pas claqué la porte ni ne sont partis sur la pointe des pieds, parce qu’ils savent que, sans l’Eglise, leur foi n’est rien. « Il semble qu’il y ait de la zizanie [ou ivraie] dans le champ de l’Eglise, mais notre foi et notre amour ne doivent pas en être empêchés au point de nous faire quitter l’Eglise. » (Cyprien, Lettre LIV)
On a parlé d’une opinion publique en train de naître dans l’Eglise ; il est certain que les moyens de communication contemporains ont rendu possibles la circulation et la discussion de nombreuses prises de paroles. Les chrétiens ont surtout de plus en plus la vive conviction qu’ils sont concernés, avec les évêques et les prêtres, par la vie de l’Eglise et l’annonce de l’Evangile.
Cyprien de Carthage, Lettre xiv, (vers 250)
Quant à ce que m’ont écrit ceux qui sont prêtres avec moi, [… au sujet de ceux qui ont renié la foi dans la persécution] je n’ai pu y répondre seul, m’étant fait une règle, dès le début de mon épiscopat, de ne rien décider d’après mon opinion personnelle sans votre conseil et sans le suffrage du peuple. Quand par la grâce de Dieu, je serai retourné près de vous, alors, en commun, comme le veut la considération que nous avons les uns pour les autres, nous traiterons ce qui a été fait ou est à faire.
F. Dostoïevski, Extrait de « La légende du grand inquisiteur », Les frères Karamazov
[1] Voir Assez, assez…, (http://saintaugustin-croixrousse-lyon.cef.fr/ article.php3?id_article=638) ; la déclaration cosignée par le Cal Barbarin (http://saintaugustin-croixrousse-lyon.cef.fr/article.php3? id_article=649) ou encore Lettres au catholiques troublés, La Croix-Bayard, Paris 2009 (78 pages, 13,5 €).
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