L’évangile de ce jour tourne nos regards vers deux femmes. De l’une, un adage latin dit qu’on n’en a jamais assez parlé, de Maria nuncquam satis. S’il s'agit d’une injection ou d’un constat, ce n’est pas précisé !
Lorsque l’on parcourt les évangiles, on est étonné par le silence quant à cette femme. Elle apparaît comme un personnage secondaire. Non pas un rôle sans importance, certes, puisque cette femme se retrouve à différents moments des textes, et peut-être même aux moments-clef : naissance, ici où là durant le ministère de Jésus ce qui laisse entendre qu’elle est aussi son disciple, mort, présence à la communauté naissante. Mais l’évangile de Jean ne donne pas même son nom. Elle est appelée par Jésus de ce terme distant de « femme ». Pareillement chez Paul, témoin le plus ancien du christianisme naissant, son nom est ignoré voire son existence : une seule allusion lui est consacrée (Ga 4,4). L’étonnement est alors redoublé ; comment est-il possible que Marie occupe une telle place dans l’Eglise ?
Force est de reconnaître que l’admiration envers Marie n’est pas d’aujourd’hui. Luc, l’évangéliste dont la tradition rapporte l’attachement marial rapporte cet épisode : une femme s’exclame : « Heureuse celle qui t’a porté et dont les seins t’ont nourri ». Jésus coupe court, ce qui vaut à Luc de redire ce qu’avec les autres synoptiques il avait déjà dit : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent », « Ma mère, mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 8,21 et 11,27). Jésus, et Luc plus encore, disent ce qu’il faut penser de l’admiration envers Marie. C’est une fausse piste. L’évangile annonce Jésus, pas Marie.
Du coup, il y a peu de chance que l’évangile d’aujourd’hui nous parle de Marie, et par la même occasion d’Elisabeth. Que n’a-t-on dit et écrit sur cette jeune femme enceinte de qui fait ce voyage, à pied, pour aller visiter sa vieille cousine. Quelle abnégation ! Quelle générosité, quel modèle d’altruisme ! Heureusement que toutes les femmes enceintes de trois mois ne sont pas condamnées au repos forcé et peuvent encore aller au boulot, rendre service, se faire plaisir ! De toute façon, ce n’est pas cela que le texte raconte.
A trop braquer le projecteur sur Marie, on s’interdit de comprendre le texte. Car le texte ne parle pas de Marie, ni d’Elisabeth. Le texte parle de ce que la venue de Jésus provoque : la rencontre de deux femmes. Jésus n’est pas encore né, il n’est qu’un fœtus de trois mois, et déjà, il change le cours des choses.
Laissons de côté ici l’histoire du cousinage entre le Baptiste et Jésus, en tant que stratagème lucanien pour convaincre les disciples de l’un et de l’autre qu’ils doivent vivre ensemble dans la même Eglise. Cet aspect de la recherche historique ne nous dirait encore que trop peu du sens de notre texte.
L’évangile de Luc s’ouvre pas une série de visitations : à Zacharie et à Marie par des anges, des messagers, à Elisabeth par une femme. Zacharie, un vieil homme marié sans descendance ; Marie, une jeune femme, non encore épousée et déjà enceinte. L’humanité du vieil homme est stérile, alors même qu’il a une épouse ; la jeunesse de l’humanité en Marie est à ce point prometteuse que même vierge, elle enfante.
A travers cet homme et cette femme, c’est l’humanité tout entière qui entre en scène, qui est la scène sur et dans laquelle Jésus est raconté. C’est l’humanité qui est la mère, la femme, très vieille et stérile, si jeune et féconde. N’est-elle pas ainsi l’humanité, notre humanité, celle que le Christ reçoit ? Jésus prend chair en cette humanité vouée à la mort, et en même temps, par cette assomption de la chair, l’humanité depuis toujours promise à la vie, voit enfin sa vocation advenir.
Le texte d’évangile d’aujourd’hui raconte une troisième visitation, celle qui réunit la vieille humanité et la puissance de vie de cette humanité. Une histoire de femmes, s’il est vrai que la femme s’appelle la Vivante, Eve. Avant même sa naissance, Jésus rend à l’humanité sa puissance de vie. L’évangéliste ouvre ce qui sera la clef de son texte, la mort de Jésus qui donne la vie. Il annonce en prophétie, par la visitation, que l’humanité, malgré sa mort, est rendue à sa vocation de vivante.
Ce que notre texte raconte, par Elisabeth et Marie, ne les concerne pas, ou du moins, les concerne tout autant que nous tous, fils et filles de l’humanité. L’une fois pour toute de la vie en la chair de notre Dieu, à un moment de l’histoire, dans ce pays, avec cette mère, ces contemporains, concerne l’humanité toute entière. L’évangile de Luc s’ouvre par trois visitations parce qu’en cet homme Jésus, de façon définitive, Dieu a visité son peuple, comme la vieille humanité le dit par la bouche de Zacharie dans son chant de louange (Lc 1,68), comme l’humanité nouvelle, encore naïve, le remarque en s’étonnant alors que Jésus vient de rendre la vie à un jeune homme (Lc 7,16).
En réponse à ces visitations de l’humanité par Dieu et de l’humanité à elle-même féconde et stérile en même temps, réconciliée avec elle-même, le chapitre suivant montre l’humanité, à commencer par les plus pauvres, les bergers, et jusqu’aux extrémités de la terre avec ces mages venus d’Orient, qui visite à son tour cet enfant, son Dieu.
Texte du 4ème dimanche de l’avent C : Mi 5, 1-4 ; He 10, 5-10 ; Lc 1, 39-45
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