Le temps de l’avent n’est pas une préparation à la venue de Jésus en la chair. Tout simplement parce que cette venue a déjà eu lieu, une fois pour toute, et qu’il n’est pas possible d’attendre ce qui a déjà eu lieu, mais seulement d’en faire mémoire. La première préface de l’avent le dit : « Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire, de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, par le Christ, notre Seigneur. Car il est déjà venu, en prenant la condition des hommes, pour accomplir l’éternel dessein de ton amour et nous ouvrir le chemin du salut. »
D’ailleurs seule la semaine qui précède Noël oriente notre regard sur les fêtes de la nativité, nous faisant parcourir le début des évangiles de l’enfance.
Le temps de l’avent, comme chaque temps liturgique, développe non pas un moment de la vie chrétienne ou du temps, mais une attitude de la foi. Ici, il s’agit de l’espérance. Vivre en chrétien, c’est attendre et espérer la venue du Seigneur, non sa naissance, mais son retour glorieux.
Je ne sais pas comment fait la langue espagnole pour dire cela puisqu’espérer et attendre se disent pareillement. Esperando a Godot, traduit-on, là où justement l’attente ne peut pas être une espérance, parce qu’il n’y a rien à espérer. Attendre le retour définitif du Seigneur, en revanche, c’est espérer sa venue. Comme le dit encore la préface : « Il viendra de nouveau, revêtu de sa gloire, afin que nous possédions dans la pleine lumière les biens que tu nous as promis et que nous attendons en veillant dans la foi. »
Qu’est-ce que cette attente pleine d’espérance qui suscite une veille ?
Becket n’a pas fait que décrire une attente sans espoir. Il a aussi décrit le contentement tragique devant la situation, même la pire, c’est-à-dire, pour lui, celle de la vie de tous qui conduit irrémédiablement à la catastrophe. O les beaux jours, ne cesse de répéter, à peu près seule, celle qui est enterrée dans ce qui pourrait être le non sens de l’existence.
Il faudrait que notre attente, tout autrement, désigne en négatif, la situation de détresse aujourd’hui. Il faut en sortir. Il faut en finir avec l’horreur d’un monde inhumain, avec l’inhumanité de l’humanité ! Nous avons aussi besoin d’un sauveur parce qu’il faudra combler de bonheur les abîmes de la souffrance. N’est-ce pas cela la prédication du Baptiste, celle d’Isaïe avant lui. Elle exprime l’attente de l’humanité. Puisse ce bonheur n’être pas attendu comme Godot, ce qui risquerait bien d’arriver s’il ne s’agissait que d’espérer, d’ailleurs fort justement – et c’est ce qui fait toute la vérité du théâtre de l’absurde ! ‑, un changement dans ce monde ou un nouveau monde qui recommencerait le même en mieux.
Même lorsque Dieu a tenté de recommencer la même chose pour que ce soit mieux, avec Noé, c’est le même monde inhumain qui a hanté l’humain ! Il nous faut un autre nouveau monde, une autre espérance.
Pour parler de cet autre monde, nous n’avons évidemment pas d’autres expériences que celles de ce monde de sorte qu’il nous faudra dire avec ce monde ce que sera un autre monde qui pourtant n’a rien avoir avec ce monde ! Je le dirais ici avec deux mot : jugement et divinisation.
Il faudra un jugement. Et l’on comprend le tour apocalyptique de la prédication du Baptiste. Nous n’attendons pas seulement que tout ravin soit comblé. Nous attendons la condamnation du mal. Je ne suis pas sûr que le jugement remplisse l’enfer, si l’on veut ainsi parler, mais un nouveau monde qui ne prononcerait pas la radicale condamnation du mal ne serait pas un monde nouveau, ne tiendrait pas, serait aussi scandaleux que le monde que nous connaissons, scandale de la misère et de la mort des enfants, scandale de la souffrance physique et morale, scandale des trahisons et tortures, scandale des abus de pouvoir jusqu’au nom de l’évangile, etc.
Il faudra pour l’homme lui-même autre chose que l’humanité. Il faudra Dieu. C’est lui notre avenir, notre avent, non seulement comme terme de la route, ce vers quoi nous marchons, mais comme ce que nous serons. Y a-t-il en définitive autre chose que la vie divine pour ne pas rétrécir l’espérance et l’attente de l’humanité ?
Ce que nous attendons en veillant dans la foi, à cause de la venue dans la chair du Fils de l’homme, nous en vivons déjà. Le chrétien est comme écartelé entre le passé de la venue dans la chair, une fois pour toute et l’attente du monde nouveau, son retour pour juger. Le chrétien est ainsi crucifié à l’aujourd’hui qu’il tache de recueillir comme le temps de Dieu, le lieu de Dieu, le nouveau monde.
A essayer de se laisser choisir comme ses compagnons – il partage avec nous et pour nous le pain – nous sommes déjà divinisés. Je ne dis pas transformés en héros ou en personnes parfaites. Loin s’en faut ! Mais aussi belle et grande que soit la vie, autant nous y percevons le manque de celui qui en est la source. Ce n’est pas à jouer les contempteurs de ce monde que nous manifesterons la vie divine. C’est en reconnaissant la grandeur de ce monde, loin de tout stoïcisme ou cynisme, donc aussi en reconnaissant le scandale de ce qui détruit cette grandeur, que nous sommes les sentinelles qui veillons dans l’espérance de la divinisation de l’humanité dans un cosmos renouvelé.
Textes du 2ème dimanche de l’avent C : Ba 5, 1-9 ; Ph 1, 4-11 ; Lc 3, 1-6
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