En rédigeant les récits de la Passion, les évangélistes n’ont pas proposé des reportages. Chacun offre une interprétation de ce qui s’est passé. Le fait brut est insignifiant, à supposer d’ailleurs qu’il existe. Ne fait sens que ce qui est compris, interprété. On comprend l’importance de la question de Pilate : qu’est-ce que la vérité ?
Comment comprendre la condamnation à mort de l’innocent ? Comment comprendre la force du mal ? Faut-il un ou des responsables ? Pilate, le Grand prêtre, le peuple Juif, la mesquinerie de l’homme, hier comme aujourd’hui ? Dieu, si ce qui se joue dans ce drame, n’est pas le dernier mot ? Jésus lui-même, si comme le lui fait dire l’évangéliste, sa vie, nul ne la prend mais c’est lui qui la donne (Jn 10,18) ?
Voyez que cela change du tout au tout. Et rien dans le fait brut, la condamnation à mort de Jésus, ne parvient à dire qui mène le jeu de Pilate ou de Jésus. L’espèce de dialogue avorté que nous avons entendu met cela en scène. Si Pilate est puissant, en quoi réside sa puissance ? Jusqu’où est-il manipulé par le peuple, lequel le serait par les prêtres, à moins que Jésus n’ait pas tout fait pour en arriver là.
Du coup, si le reportage est impossible comme exhibition des faits, de la prétendue réalité, hier comme aujourd’hui ‑ car une caméra ne vous montre pas tout mais seulement ce qu’elle peut tenir dans son champ de vision et ce que le monteur reconstitue après coup ‑ si l’interprétation est le seul chemin pour que les faits aient un sens, les évangélistes ne pouvaient pas se hasarder seuls à proposer un sens. Ils étaient trop conscients que ce qu’ils disaient n’était pas leur invention, mais ce qu’ils avaient reçu de la tradition des croyants, lesquels n’avaient rien inventé non plus. Ils étaient trop conscients qu’ils ne pouvaient être que les serviteurs de leurs récits, et non les maîtres qui ont droit de décider du destin de leurs personnages.
Le premier Testament, en particulier les chants du serviteur d’Isaïe, dont nous avons entendu un extrait, et les psaumes, constitue la matrice de l’évangile, sa source d’engendrement. N’est-ce pas exactement le visage du Seigneur que l’on a contemplé dans celui de serviteur souffrant et humilié ? Oui, c’est tout lui.
Qui est ce serviteur ? Plus personne ne le sait et là encore les interprétations foisonnent. Détaché des références historiques, du contexte, le serviteur souffrant est la figure de l’homme innocent et torturé, celui-là même dont Pilate dira : voici l’homme. Oui, c’est tout lui.
Alors ce que raconte la mort de Jésus, c’est effectivement ce qui s’est passé vraisemblablement le vendredi 7 avril 30. Mais c’est surtout la figure de l’innocent condamné, récapitulé par Jésus, dans l’espérance que Dieu, avec lui, les sauvera, puisqu’il est son ami, dans l’espérance que son désir, sa soif de vivre ne sera pas déçue.
La mort frappe encore ; encore l’injustice est entretenue, y compris pas nous, quand l’innocent est méprisé par des inégalités que nous ne sommes pas prêts à véritablement corriger ‑ sans quoi nous exigerions pas nos votes autre chose de ceux qui nous gouvernent. On est en droit, hier comme aujourd’hui de demander si le visage défiguré de l’homme des douleur, serviteur souffrant, condamné du Golgotha, enfant mourant de faim ou du palud, sera la dernière image de l’histoire de l’humanité...
Il remit l’esprit, il est mort, il meurt encore. Que son esprit, qu’il nous a transmis, s’empare de nous, soit force de vie.
Je n'aime pas le vendredi saint. Jour impossible où nous regardons souffrir et mourir celui qu'on aime sans pouvoir participer à sa souffrance et à sa mort. Nous la regardons et c'en est insupportable. Pourquoi est-il mort ? Pourquoi la mort ?
RépondreSupprimerAujourd'hui, particulièrement, l'Eglise célèbre un Dieu crucifié. Et aujourd'hui, particulièrement, je crois comprendre un peu la détresse immense d'une mort sans espérance de vie. Il n'y a que le Christ pour croire en la vie en portant sa croix ! Je le regarde et j'espére son espérance suffisamment forte pour emporter la mienne.
Joseph,
RépondreSupprimerje n'ai pas envie de répondre, parce que je ne vois pas comment il pourrait y avoir de réponse. Tu dis ce que tu vis. Et je l'accueille.
Alors, je dis aussi ce que je vis. Et nous nous portons les uns les autres sur leurs chemins, parfois impraticables pour nous.
J'aime ce vendredi saint, et le jour suivant, a-liturgique. J'aime cette déréliction. Non que je me repaisse de la douleur, mais que tout est là, la solidarité indéfectible de Jésus avec les souffrants. Il est descendu aux enfers, pour aller chercher tous ceux que la mort et le mal y avaient enfermés.
C'est le silence, celui si souvent expérimenté de Dieu. C'est le scandale du mal. C'est Dieu qui ne fait rien. C'est le désert. Nous vivons notre foi au milieu de l'indifférence, et cette indifférence, nous l'éprouvons aussi, elle est contagieuse. Comment, quand ceux que nous aimons n'ont rien à faire de Dieu, nous pourrions ne pas être solidaires de ceux que nous aimons, au nom même du Seigneur ?
Cela fait du bien, que de temps en temps, trop rarement à mon goût, la liturgie quitte le contentement, les chants de victoires, les fastes, mêmes ratés, pour dire ce que tant d'hommes et de femmes, d'enfants, vivent et meurent.
Passus et sepultus est. Silence...