Nous faisons mémoire du dernier repas du Seigneur. On pourrait chercher à mettre en évidence le sens du repas rituel, dans le judaïsme du premier siècle et ses différentes sectes, pour retracer les origines de l’eucharistie. Mais point besoin d’être spécialiste en anthropologie religieuse pour constater l’importance du repas dans le rite religieux. Il y a les repas sur la tombe des défunts, il y a aujourd’hui encore, la rencontre autour d’une table pour marquer un événement, joyeux ou triste, y compris un événement religieux. Pourrait-on célébrer une première communion sans recevoir les invités chez nous après la célébration pour partager un repas ? Pourrait-on renvoyer ceux qui se sont déplacés pour des funérailles sans profiter de leur présence en se réconfortant avec eux autour d’une table, sans les remercier en leur offrant de quoi se restaurer ?
Pour communier en telle ou telle occasion, y a-t-il mieux qu’un repas ? Partager le même pain ; manger, ingérer, faire sien. Vivre de ce qui nous rassemble parce qu’ensemble nous avons part à la même nourriture partagée en cette occasion. S’enivrer pour une transe plus ou moins surnaturelle ou pour le simple plaisir d’être entre amis, entre frères. On pressent sans difficulté que tout ce qui est important et communautaire se passe autour d’une table, pour un jeûne et des boissons amères ou pour un banquet aux mets succulents et aux vins décantés.
Après des siècles de présentations de l’eucharistie comme sacrifice, on a, au cours du XXe siècle, rappelé que l’eucharistie était un repas. L’autel n’est pas seulement la pierre du sacrifice, ni un tombeau ‑ celui du Seigneur ou d’un saint ‑, mais une table. Cette évidence historique aussi bien que théologique est apparue à certains comme une désacralisation abusive. Elle est parfois présentée comme une aberration soixante-huitarde, une réduction de la foi à un truc cool, un pique-nique entre potes.
Or ce que nous sommes au plus profond, nous n’y avons accès que par des gestes et des symboles, des rites. Nous ne savons pas le dire. Ce qu’est un homme, nous ne le savons que si peu de la science, non que ce qu’elle expose ne soit pas d’importance, mais qu’enfin, ce n’est pas de l’homme qu’elle parle quand elle décrit avec ses outils ce qu’elle voit de nous. Ce qu’est un homme, nous le savons pareillement si peu des théories. Il est en revanche des moments où nous sommes mis comme devant un miroir lorsque ce qu’il y a anthropologiquement de plus primaire nous est dévoilé ; ainsi de ce qui advient de nous quand nous mangeons, ingérons, faisons nôtre ce que ne l’était pas ; ainsi quand nous sommes réunis autour d’une table. Nous partageons le fait de nourrir notre vie, nous communions dans le moment où nous entretenons la vie, où nous subsistons. Et mépriser cela risque bien de nous interdire de comprendre ce qu’il y a de plus spirituel dans l’eucharistie.
Quel est donc ce repas ? Pourquoi le commandement du Seigneur de faire cela en mémoire de lui, aucun des textes ne le rapporte en parlant de sacrifice alors que tous insistent sur le cadre de repas ? Repas, prédit comme le dernier, en attendant le festin messianique. C’est solennisé. Et lorsque nous mettons une nappe sur l’autel, elle est certes le rappel du linceul qui recueille le corps du Seigneur. Elle porte aussi le pain, fruit de la terre et du travail de l’homme, et le vin, fruit de la vigne et boisson de fête, corps et sang du Christ ressuscité.
Du corps au tombeau, par le pain et le vin, et tous, dans la communion, deviennent le corps du Christ. « Quand nous serons nourris de son corps et de son sang, et remplis de l’Esprit saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ. » Ce sera notre prière, comme à chaque eucharistie. Et le repas fait cela. Ce que nous ingérons devient nous, ou plutôt, retournement inattendu, nous devenons ce que nous allons ingérer, partager.
C’est là que le repas auquel nous prenons part n’est pas un rite religieux comme les autres, n’est pas un rite anthropologique comme les autres. Ce que nous mangeons est ce que nous devenons et non pas ce que nous aliénons, le faisant nôtre. Il n’y a pas humanisation du pain, si l’on peut dire, mais divinisation de l’homme.
Cela, pour n’être pas violation, c’est-à-dire condamnation de la nature humaine, suppose que l’homme soit révélé à sa destinée, à sa vocation, et que cette vocation ce soit la divinisation de l’homme. La communion n’est alors pas seulement ingestion de pain et de vin, ni partage entre humains, mais le partage de Dieu avec nous, le partage avec Dieu, l’admirable échange où il se fait l’un de nous pour que nous ayons part à sa vie. L’homme ne mange pas le dieu pour lui prendre sa force, cela supposerait que le dieu ait été dérobé, et un dieu qui se laisse piéger n’est guère malin, peu digne de l’homme. L’homme ne mange pas même des choses sacrées pour s’arroger la force divine. Rien de sacrificiel.
Notre Dieu se livre en nourriture, se livre en partage, s’offre pour notre vie. Voilà quel est donc ce repas qui rassemble l’Eglise avant de rassembler l’humanité tout entière.
Pour les hommes qui meurent de faim, qui végètent dans la pauvreté. Nous te prions Seigneur. Donne-nous de partager notre pas de ce jour.
Pour l’Eglise. Que ses assemblées préfigurent le festin messianique, la fraternité universelle d’une humanité se reconnaissant fille de Dieu ; que la peine prise à faire pousser et cuir le pain et la joie à boire le vin de la fête lui donne de partager les joies et les peines, les angoisses et les espoirs de toute l’humanité.
Pour tous ceux qui en ces jours de fêtes vont partager un repas et le pain de chaque jour. Qu’ils n’oublient aucun de leur frère, qu’ils ne se retranchent pas eux-mêmes de l’humanité.
Bonjour mon Père
RépondreSupprimerJe ne comprends pas tout dans votre message. L'hostie devient elle corps du Christ après la consécration? Le vin devient il sang du Christ après la consécration? L'hostie et le vin consacré ne sont ils que des symboles?
Merci de vos lumières.
Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à votre question. J'ai l'impression que vous faites de la théologie comme on fait de l'algèbre. le verbe être (résultat du devenir éventuellement) y signifie l'égalité, l'identité. Le mot symbole lui-même semble n'avoir qu'un sens extrêmement limité, le plus transparent possible, ainsi qu'en math, de sorte que la possibilité d'interprétation, c'est-à-dire de compréhension, soit la plus réduite possible.
RépondreSupprimerDans ces conditions, je ne sais pas faire de théologie. Je ne sais pas expliquer la théologie à un ordinateur.
La foi, la théologie parlent la langue ordinaire. Elles ne peuvent être, même méthodologiquement réductrice de la réalité, à l'instar de la technique ou de la science qui en tirent cependant leur performance. 0 ou 1, le courant passe ou pas. La vie n'est pas en oui ou non, n'est pas binaire.
Est-ce ou n'est-ce pas le corps du Christ ? Drôle d'alternative. D'autant que vous ne dites rien de ce que vous entendez par "corps du Christ".
Si vous acceptez de parler la langue de tout le monde, et non la langue de la technique ou des modes d'emploi, alors peut-être pourrons-nous nous entendre. Alors je vous ferais par exemple remarquer que lorsque Jésus dit aux disciples lors de la dernière cène : "prenez, manger, ceci est mon corps", son corps n'est pas devenu pain. Ainsi, si le pain est dit corps, le corps n'est pas pain. De sorte que l'identité, si c'était de cela qu'il s'agissait, ne serait pas symétrique, ce qui est effectivement surprenant s'il s'agissait d'une identité au sens mathématique.
C'est justement parce que la théologie se doit de mettre en évidence l’appauvrissement drastique d'une théologie dont la grammaire serait algébrique, qu'elle essaie de formuler ce que signifie ce "Prenez, mangez, ceci est mon corps, ceci est mon sang".
J'ai toujours pas compris.
RépondreSupprimerJe veux bien vous aider,mais si vous ne dites pas où cela bloque, je ne risque pas d'y parvenir. Avez-vous saisi ce que je voulais dire en mettant en question le sens du verbe être ? J'ai contesté que "être" signifie seulement et d'abord une simple équivalence ou égalité de type mathématique. Si vous pouvez accorder cela, alors nous pourrons tâcher d'aller plus loin.
RépondreSupprimerJ'ai aussi demandé que l'on accorde que penser n'est pas une action binaire, c'est ou ce n'est pas, en noir ou blanc, comme un ordinateur. Cela aussi me l'accordez-vous ?
Quand le Christ nous dit : ceci est mon corps, mon sang, c'est bien réellement le corps et le sang du Christ? Je n'ose pas penser que notre Seigneur emploi un langage autre que celui des gens simples?
RépondreSupprimerVous répondez à ma question, qui simple je pense, avec un langage que je ne comprends pas. Je parle la langue de tout le monde, ma question est simple. Après la consécration, le pain et le vin deviennent ils corps et sang du Christ ou est ce un symbole?
Cordialement
Cachalot
Juste un petit complément.
RépondreSupprimerQuand je dis corps du Christ, je veux dire que l'hostie devient chair du Christ, et que par conséquent le Christ est présent dans l'hostie, avec toute sa divinité et toute son humanité.
Puisque vous connaissez si bien la vulgate catéchétique, pourquoi posez-vous des questions ? Qu'espérer vous entendre si ce n'est ce que vous connaissez déjà ?
RépondreSupprimerUn homme avait une fois répondu à ses interlocuteurs : "De mon côté, je vais vous poser une question, une seule ; si vous m'y répondez, moi aussi je vous dirai par quelle autorité je fais cela."
Certes, Jésus parle une langue non technique. Mais ce n'est pas une langue qui n'oblige pas à se poser des questions, qui n'oblige pas à réfléchir. Avez-vous déjà été obligé de réfléchir à un propos de Jésus, ou bien, évidemment, puisqu'il parle comme vous et moi, avez-vous toujours compris du premier coup ? L'évangile au moins, montre que Jésus parle souvent par énigme et que l'on ne comprend pas du premier coup, que l'on est obligé de réfléchir, de s'interroger. Je vous inviterais volontiers à relire les quatre évangiles et à repérer toutes les interrogations et tous les étonnements que Jésus suscite, toutes les fois où les disciples eux-mêmes ne comprennent pas.
RépondreSupprimerDans le contexte de vos questions, je ne prends qu'un exemple. "Comment cet homme pourrait-il nous donner sa chair à manger ?"
En fait, je ne comprends pas pourquoi vous mettez en doute, c'est mon impression, que le pain présent sur l'autel se change en corps du Christ, le vin en sang du Christ, alors que vous croyez dur comme fer que le Christ est ressuscité. Si le Christ a vaincu la mort, réellement, s'il a pardonné les offenses que nous les hommes, commettons contre le Père, qu'est ce que changer le pain en son corps?
RépondreSupprimerVous voudrez bien préciser la phrase de mon texte qui vous donne l'impression que je remette en cause que le pain est le corps du Christ. Ou alors, il faudra réviser votre impression.
RépondreSupprimerMais si l'on ne peut rien dire sur l'eucharistie en dehors de la transsubstantiation, cela réduit les possibilités et l'on se demande même comment, jusqu'au 13ème siècle, on a pu en parler ! Je ne sais quelle est votre compétence en physique aristotélicienne. Il se pourrait que comme beaucoup, son vocabulaire et sa cohérence vous soit étrangers. Alors, vous seriez bien avancé à ce que j'utilise les catégories du Stagirite.
A moins que ce soit sa métaphysique qui vous échappe. Et vous n'auriez pas appris que le mot être s'entend de multiples manières ?
Comment cet homme pourrait-il nous donner sa chair à manger
RépondreSupprimerVoilà toute la question que l'évangile lui-même rapporte. Ceci dit, Jn 6 ne parle pas explicitement ni sans doute effectivement de l'eucharistie, du moins en tant que sacrement du corps et du sang du Seigneur. D'autant que l'évangile de Jean ne rapporte pas de fraction du pain lors de la dernière cène. Il exprime autrement le don que Jésus fait de sa vie. Au chapitre 6, c'est la parole qui semble davantage visée par l'expression de la chair et du sang.
RépondreSupprimerIl est évidemment légitime, avec la tradition, de lire de façon eucharistique ce chapitre. Mais il me paraît que nous devons alors ne pas réduire l'eucharistie à la transsubstanciation, ou, ce qui revient au même, que nous devons insister sur la sacramentalité de la transsubstanciation. La fraction du pain est certes res mais aussi, inextricablement, sacramentum, signum.
C'est exactement ce que vise la signification du verbe être dans l'expression "ceci est mon corps".
Je ne sais pas si je réponds à votre message qui a à peine la forme d'une question et dont on ne sait si elle est vôtre ou citation. Il me serait plus aisé de discuter si vos messages exprimaient non seulement une question, mais une problématique. Sans problématique, il est bien difficile de comprendre le sens d'une question.