Nous poursuivons la lecture de la loi de sainteté (Lc 6,
39-45). Les exigences se multiplient, toutes aussi impossibles les unes que les
autres, au point de nous décourager voire de nous culpabiliser. Nous sommes
bien incapables de mettre en pratique cette parole. Comment demeurer auditeurs
de la parole, puisque nous ne parvenons pas à l’entendre, c’est-à-dire à la
pratiquer dans la radicalité qui est la sienne ? Ne sommes-nous pas mis en
situation de mensonge, de double-vie ?
La loi de sainteté en son impossibilité est ce que Marc
exprime avec le plus de force : « pour les hommes, c’est impossible ».
Matthieu et Luc avec lui racontent la rencontre avec l’homme riche qui a
observé tous les commandements. La question du salut est explicitement posée :
« Qui peut être sauvé ? ». L’exigence éthique de l’évangile n’est
alors pas seulement un appel à changer de vie mais la reconnaissance de ce que
c’est impossible.
La loi de sainteté est à la fois appel à la conversion et attente
du salut comme don. La vie avec Dieu a quelque chose à voir avec notre vie avec
les frères en même temps qu’elle est un don gratuit, immérité, sans rapport
avec ce que nous avons fait. La vie avec Dieu est à la fois exigence de
conversion et gratuité absolue, fin de l’idéologie de la rétribution.
Dire que c’est impossible, expérimenter que l’exigence que
nous venons d’entendre est hors de notre portée ne vise évidemment pas à nous
décourager de vivre en grâce avec les frères. Cela nous oblige à reconnaître le
Dieu qui fait grâce, le Dieu qui prévient, le Dieu provident, qui « le
premier nous a aimés ».
Foin de la rétribution, il faut entrer dans la logique du don. Dans cette logique, sont insensés les propos du genre :
« puisque cela ne sert à rien de changer de vie, à quoi bon se casser la
tête ? » Le rigorisme et le laxisme sont renvoyés dos-à-dos. Pour comprendre la grammaire du don il faut « renouveler notre façon de penser », comme dit
Paul (Rm 12, 2)
Que l’on veuille bien s’arrêter quelques instants à la
nouveauté de l’évangile. C’est à une « métamorphose » que nous sommes conduits, un renouvellement
y compris de notre façon de penser l’idée
de Dieu. Dieu n’est pas le juge implacable qui punit ou récompense, selon les
cas. Et s’il traite le bon comme le méchant, s’il fait pleuvoir sur les méchants comme les bons, ce n’est pas que
tout se vaudrait, c’est que sa bonté est sans limite. Luc (6, 35) est plus
radical que Matthieu (5, 45) : il
est bon pour les ingrats et les méchants.
Bien sûr, il y a un jugement ! Mais pas autrement que
comme salut. Il y a un jugement, parce que Dieu s’oppose de toutes ses forces
au mal, le condamne, parce que Dieu dit non, radicalement, au mal, selon la loi
de sainteté, selon sa loi. Nous n’avons d’ailleurs pas de quoi être étonnés que
jugement et bonté puissent aller de pair ; c’est ce que nous vivons.
Pourquoi Dieu ne serait-il pas aussi bon que nous ? Ainsi, quand un enfant
fait mal, on ne cesse pas de l’aimer. Notre amour pour lui n’est pas
conditionné par le bien ou le mal qu’il fait. La sévérité parfois nécessaire n’est
pas contraire à l’amour et souvent le renforce. « Dieu ne veut pas la mort
du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ! »
Nous avons peur de dieu, mais ce n’est pas Dieu. Nous avons
peur d'un dieu en qui nous avons projeté notre culpabilité, notre peur du mal que
nous pouvons ou avons fait. Nous nous faisons peur au point de refaire le
portrait de Dieu ! C’est du mal que nous devrions nous méfier. Dieu aime.
Dieu est amour. « L'amour bannit la crainte » (1 Jn 4, 18, cf. 2 Tim 1, 7)
La loi de sainteté et son impossibilité, tenues dans le même
temps, obligent à une conversion, à changer de conception de Dieu, à renouveler
notre manière de penser Dieu. Et si notre Eglise est en crise, c’est aussi parce
que le Dieu de la religion, plus personne n’y croit. Le pays de Candy, avec les
gentils et les méchants, c’est bon pour les enfants ! Ne me dites pas que
nous sommes ici parce que nous sommes dans un rapport infantile au monde. Nous
ne pourrons faire entendre l’évangile comme une bonne nouvelle qu’en disant non
au mal ‑ la loi de sainteté ‑ et en confessant un Dieu qui donne la
vie sans limite à tous, gratuitement, par amour, par grâce, à commencer par
ceux qui ont en le plus besoin, les massacrés de l’existence et les pécheurs
qui ont massacré l’existence des autres, qui ne peuvent plus se regarder dans
une glace. « C’est par grâce que vous êtes sauvés. » (Ep 2, 5)
Comme quoi il n'est pas vain de lire des gens avec lesquels il est rare de partager les mêmes idées...
RépondreSupprimerPouvez-vous préciser votre pensée ? C'est trop elliptique pour que je comprenne.
RépondreSupprimerCe qui veut dire que je suis parfaitement d'accord avec votre message et me fait penser à Jacques Fesch et à son extraordinaire conversion à la prison de la SANTE
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