08/02/2019

Avons-nous vu Jésus ? 1 Co 15, 1-11 (5ème dimanche du temps)


La première lettre aux Corinthiens est chronologiquement le deuxième écrit chrétien, vers l’an 53. Le texte que nous venons d’écouter (1 Co 15, 1-11) se présente, comme celui à propos de l’eucharistie quelques chapitres plus haut, comme un évangile reçu. Ces courtes lignes sont encore plus anciennes et nous font presque toucher Jésus. C’est impressionnant.
Que faut-il entendre par « il est ressuscité le troisième jour » ? Nous savons que c’est le cœur de la foi. Mais qu’entendons-nous en ces mots ? La question paraîtra curieuse tant nous sommes censés savoir ce qu’est la résurrection. Et pourtant…
D’abord, le mot de résurrection pose problème. En grec, il n’existe pas. Il est dit, « le troisième jour, il s’est levé » ou, il parut ou, il surgit. Le terme technique de résurrection, de retour à la vie d’un mort, voire plus précisément de vie éternelle de Jésus, n’existe pas encore. Il est important d’en prendre conscience pour ne pas recourir trop vite à notre imaginaire de résurrection et nous laisser évangéliser par le texte, pour ne pas trop vite régler la question par des réponses toutes faites, et ainsi se dispenser de l’entendre.
Jésus « a surgi, selon les Ecritures ». Mais que disent les Ecritures ? Pas grand-chose. Au temps de Jésus, si l’on en croit l’évangile lui-même, la résurrection des morts ne s’impose pas aux lecteurs des Ecritures. Les sadducéens s’opposent sur ce point aux pharisiens.
Ce qui advient dans le surgissement de Jésus de la mort est unique. Personne n’a surgi de la mort avant lui et comme lui. Et personne après lui, si du moins, le surgissement est aussi le fait de paraître. Or Jésus se fit voir. Continue-t-il d’apparaître, comme il s’était fait voir aux Douze et aux autres ? Si non, sa résurrection peut-elle encore faire sens ?
La résurrection de Jésus et le fait d’être vu, c’est la même chose. C’est la même chose aussi que sa mort. Autrement dit, pour connaître ce qu’est la résurrection de Jésus, il faut le voir. Le voyons-nous ? On dit que même parmi les chrétiens qui fréquentent l’eucharistie régulièrement, la moitié ne croirait pas en la résurrection. Mais quelle idée ont-ils de la résurrection ? N’ont-ils pas vu Jésus, Jésus ne se serait-il pas fait voir à eux ? Mais alors, que signifie que Jésus se fait voir ?
On ne voit pas le ressuscité comme on voit un objet posé sur une table. On ne le voit pas non plus comme on rencontre une personne, même si sans doute, la rencontre interpersonnelle a plus à dire sur ce qu’est voir Jésus. Dans une rencontre, nous ne voyons pas seulement l’autre, nous voyons des choses qui ne se voient pas, caractère, peurs, désir, amour.
Que Jésus soit un homme admirable, qui mérite même qu’on vienne à la messe, sans doute. Mais que Jésus soit un compagnon de route, un compagnon de vie, qu’en disons-nous ? Voir Jésus, ce n’est pas avoir une apparition, être un illuminé, verser dans le sensationnel, l’irrationnel et le miraculeux. Voir Jésus, ce ne peut être cela.
Jésus se fait voir dans la relation avec lui. Et la relation avec lui, ce n’est pas (d’abord) la prière, source de toutes les illusions que l’on doit toujours chercher à dépasser pour ne pas prier l’idole plutôt que Jésus. « Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c'est par les œuvres que je te montrerai ma foi. » (Jc 2, 18) Si la prière est relation avec Jésus, c’est parce qu’elle est vie dans l’Esprit, toute la vie dans l’Esprit, et non quelques moments, prières ou rites.
Jésus se fait voir dans la charité ‑ les œuvres comme dit Jacques ‑ et d’abord envers les plus pauvres. Notre solidarité n’est pas conséquence de notre foi, mais condition de possibilité de la foi. Et, à faire comme Jésus parce que c’est Jésus, surtout si l’on prie, on finit par lui être attaché, par se sentir saisi (Ph 3, 12), par l’aimer même. Il n’y a ici rien d’extraordinaire, réservé à ceux que l’on appellerait mystiques. Ou alors, tout baptisé ne peut être que mystique, qui se découvre viscéralement attaché à Jésus. On peut rencontrer Jésus, être relevé par lui, et ne pas le suivre, ni même lui être attaché. On voit cela dans l’évangile avec les dix lépreux (Lc 17, 12). Jésus ne conditionne pas son salut à l’être disciple.
Mais il en est, et nous en sommes, qui croyons à la résurrection, auxquels Jésus s’est laissé voir dans l’attachement que nous constatons avoir pour lui, pour qui Jésus devient compagnon. Que veut dire que nous aimons Jésus ? Cela ne se démontre pas. C’est un constat, comme pour tout amour. On constate, après coup, que l’on aime et est aimé. Il n’y a pas de raison à l’amour, non qu’il soit irrationnel, mais qu’il n’est pas épuisé par la raison.
Mais alors, si nous vivons avec lui, mort depuis deux mille ans bientôt, c’est qu’il est vivant, qu’« il s’est levé le troisième jour selon les Ecritures et qu’il s’est fait voir ». Nous en sommes les témoins (Ac 1, 8). Et nous aussi transmettons ce que nous avons-nous-mêmes reçu.

1 commentaire:

  1. Tu as raison, Nathalie, c'est une approche très éclairante de la résurrection.
    Mais j'imagine la stupeur (la réprobation au minimum) d'une homélie de funérailles, ici dans mon village, reprenant tel ou tel des propos tenus, annulant la vision angélique du paradis qui attend le cher défunt.
    Bien sur, Jésus n'arrêtait pas de choquer, mais nos pasteurs, sans du tout leur jeter la pierre, s'attachent à garder le maigre reste.
    Pierre Opsomer

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