Voilà un nouveau carême. Ne prenez pas le deuil, ou alors
pour un peu de temps seulement. La lumière est déjà à portée de main. Nous
attendons la Pâque avec impatience. Déjà elle nous tient, nous fait tenir dans
les tribulations.
L’accumulation de scandales dans l’Eglise, pédocriminalité, silence
qui protège les coupables, condamnations de prêtres mais aussi d’évêques et de
cardinaux, renvoi de l’état clérical d’un cardinal ‑ du jamais vu ‑, double
vie d’évêques et de prêtres, notamment au Vatican, spécialement dans des
pratiques homosexuelles que les mêmes condamnent comme intrinsèquement
désordonnées, guerre déclarée de plusieurs prélats contre l’action réformatrice
de François, harcèlement et violences sexuelles commises par des clercs à l’encontre
de religieuses, tout cela est insupportable. Les écuries d’Augias à côté sont un
modèle d’hygiène !
J’imagine que nous sommes nombreux à nous demander comment
rester dans l’Eglise ; beaucoup ont déjà jeté l’éponge. Notre attachement
à Jésus et aux frères sera-t-il suffisamment fort pour que nous ne soyons pas
emportés, que notre foi demeure vive ? Ce carême, je l’accueille et vous
invite à l’accueillir pour ce qu’il est, une expérience de mort et de
résurrection, la vie avec Jésus sans cesse à pratiquer, c’est-à-dire à
renouveler.
Souvent, considérant les choses, y compris la vie
chrétienne, par le petit bout de la lorgnette, nous pensons le carême comme une
période d’ascèse, de privation, d’austérité. La situation nous oblige à puiser
plus profond à la source du salut que, pour l’heure, l’Eglise en nombre des ses
ministres, obstrue. Le carême, c’est le combat à mort contre la mort. Et nous
allons y perdre des plumes, comme dans tout combat de ce type.
Nous n’avons pas à nous sentir responsables des ignominies
de certains. Que nous soyons pécheurs ne fait pas de tous des corrompus. Que
nous soyons pécheurs ne peut conduire à relativiser l’abjection des corrompus.
François l’a dit à plusieurs reprises : « Nous sommes tous des
pécheurs, mais nous ne sommes pas tous des corrompus. Les pécheurs doivent être
acceptés, pas les corrompus. » (Etudes,
2014)
Il ne s’agit pas ici de jouer les purs. Nous nous
reconnaissons pécheurs. Il ne s’agit pas de passer d’une culture du silence à
une culpabilisation générale qui scellerait notre mutisme. Il s’agit de ne pas mettre
l’ensemble des catholiques dans le même sac que ceux qui trahissent éhontément
leurs frères et le Seigneur en faisant le contraire de ce qu’ils prêchent et
des règles selon lesquelles ils jugent les autres du haut de leur ministère, en
piétinant l’évangile, en le discréditant impunément aux yeux du monde, ruinant la
mission et la charité.
Corps-à-corps contre la mort. C’est autre chose qu’une
histoire de sacrifices et de privation de chocolat ! Ne devrions-nous pas,
avec les catéchumènes, vivre ce carême comme le rejet de la mort ? Mais on
ne rejette pas la mort par décision administrative ! On la rejette en se
livrant corps et âme à l’amour parce que ce que nous aurons fait aux siens, à
commencer par les petits, c’est à Jésus que nous l’aurons fait. Notre
attachement à Jésus n’a rien d’abstrait. Il s’agit de faire reculer la mort
partout où elle avance, dans le soutien aux malades et aux moribonds, dans l’engagement
pour la justice, y compris sociale, dans la quête de la vérité qui rend libre,
dans la dénonciation de toutes les horreurs.
On me reproche de rabattre la vie chrétienne à une dimension
morale, de ne pas assez mettre en évidence le rapport à Dieu. Jésus se trouve
là où des hommes subissent encore la croix, parce que c’est à la croix qu’il
manifeste pleinement le Père, à la rescousse de ceux que la mort engloutit. Faire
reculer la mort au Golgotha, c’est aimer Jésus et écouter ce qu’il révèle du Père.
La mystique chrétienne n’est pas éthérée, elle est charité. Penser à François d’Assise
ou à Vincent de Paul. Secourir le pauvre alors même qu’on était à la chapelle
en prière, c’est quitter Dieu pour Dieu !
Quant à prier, nous voulons nous y adonner d’une façon
renouvelée. Nous allons arrêter de réciter des prières. Nous allons laisser le
silence, y compris le silence de la mort, nous creuser, nous tarauder. Nous
allons tout faire pour que rien, aucune gourmandise si vous voulez, ne vienne remplir
ni boucher ce trou du silence. Nous allons le laisser béant, ce silence, comme
nous voudrions que notre cœur le soit, afin que Dieu y puisse demeurer. Nous ne
pouvons accueillir Dieu autrement que dans la radicale pauvreté, celle de la
mort, démunis ‑ et nous le sommes en ce moment ‑, ouverts et
disponibles à la semence de vie. Pâques !
simplement merci !
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