08/03/2019

Un carême de mort. L'Eglise et ses scandales (1er dimanche de carême)


Voilà un nouveau carême. Ne prenez pas le deuil, ou alors pour un peu de temps seulement. La lumière est déjà à portée de main. Nous attendons la Pâque avec impatience. Déjà elle nous tient, nous fait tenir dans les tribulations.
L’accumulation de scandales dans l’Eglise, pédocriminalité, silence qui protège les coupables, condamnations de prêtres mais aussi d’évêques et de cardinaux, renvoi de l’état clérical d’un cardinal ‑ du jamais vu ‑, double vie d’évêques et de prêtres, notamment au Vatican, spécialement dans des pratiques homosexuelles que les mêmes condamnent comme intrinsèquement désordonnées, guerre déclarée de plusieurs prélats contre l’action réformatrice de François, harcèlement et violences sexuelles commises par des clercs à l’encontre de religieuses, tout cela est insupportable. Les écuries d’Augias à côté sont un modèle d’hygiène !
J’imagine que nous sommes nombreux à nous demander comment rester dans l’Eglise ; beaucoup ont déjà jeté l’éponge. Notre attachement à Jésus et aux frères sera-t-il suffisamment fort pour que nous ne soyons pas emportés, que notre foi demeure vive ? Ce carême, je l’accueille et vous invite à l’accueillir pour ce qu’il est, une expérience de mort et de résurrection, la vie avec Jésus sans cesse à pratiquer, c’est-à-dire à renouveler.
Souvent, considérant les choses, y compris la vie chrétienne, par le petit bout de la lorgnette, nous pensons le carême comme une période d’ascèse, de privation, d’austérité. La situation nous oblige à puiser plus profond à la source du salut que, pour l’heure, l’Eglise en nombre des ses ministres, obstrue. Le carême, c’est le combat à mort contre la mort. Et nous allons y perdre des plumes, comme dans tout combat de ce type.
Nous n’avons pas à nous sentir responsables des ignominies de certains. Que nous soyons pécheurs ne fait pas de tous des corrompus. Que nous soyons pécheurs ne peut conduire à relativiser l’abjection des corrompus. François l’a dit à plusieurs reprises : « Nous sommes tous des pécheurs, mais nous ne sommes pas tous des corrompus. Les pécheurs doivent être acceptés, pas les corrompus. » (Etudes, 2014)
Il ne s’agit pas ici de jouer les purs. Nous nous reconnaissons pécheurs. Il ne s’agit pas de passer d’une culture du silence à une culpabilisation générale qui scellerait notre mutisme. Il s’agit de ne pas mettre l’ensemble des catholiques dans le même sac que ceux qui trahissent éhontément leurs frères et le Seigneur en faisant le contraire de ce qu’ils prêchent et des règles selon lesquelles ils jugent les autres du haut de leur ministère, en piétinant l’évangile, en le discréditant impunément aux yeux du monde, ruinant la mission et la charité.
Corps-à-corps contre la mort. C’est autre chose qu’une histoire de sacrifices et de privation de chocolat ! Ne devrions-nous pas, avec les catéchumènes, vivre ce carême comme le rejet de la mort ? Mais on ne rejette pas la mort par décision administrative ! On la rejette en se livrant corps et âme à l’amour parce que ce que nous aurons fait aux siens, à commencer par les petits, c’est à Jésus que nous l’aurons fait. Notre attachement à Jésus n’a rien d’abstrait. Il s’agit de faire reculer la mort partout où elle avance, dans le soutien aux malades et aux moribonds, dans l’engagement pour la justice, y compris sociale, dans la quête de la vérité qui rend libre, dans la dénonciation de toutes les horreurs.
On me reproche de rabattre la vie chrétienne à une dimension morale, de ne pas assez mettre en évidence le rapport à Dieu. Jésus se trouve là où des hommes subissent encore la croix, parce que c’est à la croix qu’il manifeste pleinement le Père, à la rescousse de ceux que la mort engloutit. Faire reculer la mort au Golgotha, c’est aimer Jésus et écouter ce qu’il révèle du Père. La mystique chrétienne n’est pas éthérée, elle est charité. Penser à François d’Assise ou à Vincent de Paul. Secourir le pauvre alors même qu’on était à la chapelle en prière, c’est quitter Dieu pour Dieu !
Quant à prier, nous voulons nous y adonner d’une façon renouvelée. Nous allons arrêter de réciter des prières. Nous allons laisser le silence, y compris le silence de la mort, nous creuser, nous tarauder. Nous allons tout faire pour que rien, aucune gourmandise si vous voulez, ne vienne remplir ni boucher ce trou du silence. Nous allons le laisser béant, ce silence, comme nous voudrions que notre cœur le soit, afin que Dieu y puisse demeurer. Nous ne pouvons accueillir Dieu autrement que dans la radicale pauvreté, celle de la mort, démunis ‑ et nous le sommes en ce moment ‑, ouverts et disponibles à la semence de vie. Pâques !

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