24/01/2020

Le pain de la parole (3ème dimanche et dimanche de la parole)


Les papes n’arrêtent pas de prendre des décisions, de modifier, changer, et surtout d’ajouter. Et l’on dira que le catholicisme est conservateur ! Bientôt, nous n’aurons plus un dimanche sans thématique particulière, un dimanche où célébrer simplement la résurrection.
Ainsi aujourd’hui, nous sommes rassemblés lors du premier « dimanche de la parole ». Il y avait depuis le 13ème siècle un dimanche du corps et du sang du Seigneur ‑ c'est ainsi que nous l’appelons aujourd’hui ‑ pourquoi pas un dimanche de la parole. Pourtant, tous les dimanches, nous partageons le pain et buvons à la même coupe. Pourtant, tous les dimanches, nous écoutons la parole et nous en nourrissons.
Faut-il imaginer que nous soyons à ce point de faux auditeurs, de mauvais auditeurs de la parole, pour qu’il soit nécessaire d’instituer un dimanche de la parole ? Peut-être, encore que d’autres moyens auraient pu se révéler plus efficaces pour pallier ce défaut. Pourquoi ne pas inscrire dans la pratique obligatoire de tout baptisé, à l’instar de la messe dominicale, la participation à un groupe biblique ? Pourquoi ne pas obliger les prédicateurs à travailler leur homélie pour offrir à l’assemblée une nourriture consistante ?
Faut-il voir dans la débauche des dévotions eucharistiques la raison, comme en négatif, de ce nouveau dimanche ? La semaine passée par exemple, lors de la prière « Seigneur Jésus Christ, tu as dit à tes apôtres », j’ai vu le président de l’assemblée se pencher sur les saintes espèces posées sur l’autel et leur adresser cette prière. Il parlait aux hosties ! Cette semaine, le prêtre ‑ c’était un évêque ‑ est resté debout jusqu’à ce que la réserve eucharistique soit déposée au tabernacle, alors que l’assemblée devenait ce qu’elle avait reçu, le corps du Christ. Doit-on honorer davantage les espèces non consommées que le pain donné en partage ? Comme ces gesticulations sont curieuses… et contraires à la foi !
Ajoutons que Jésus n’est pas davantage présent dans le pain et le vin que dans l’écoute et l’accueil de sa parole, que notre action de grâce, eucharistie, n’est pas moindre à accueillir la parole pour la mettre en pratique qu’à réunir l’assemblée pour lui multiplier le pain.
L’histoire est ancienne. Vers 240, Origène réprimandait ceux qui méprisaient la parole, ne serait-ce que par un excès d’égards vis-à-vis de l’eucharistie. « Je veux vous mettre en garde par des exemples tirés du culte. Vous savez, vous qui avez coutume d’assister aux divins mystères [à la messe], de quelle manière, après avoir reçu le corps du Seigneur, vous le gardez en toute précaution et vénération, de peur qu’il n’en tombe une parcelle, de peur qu’une part de l’offrande ne se perde. Vous vous croiriez coupables, et avec raison, si par votre négligence quelque chose s’en perdait. Que si, pour conserver son corps, vous prenez tant de précautions, et à juste titre, comment croire qu’il y ait un moindre sacrilège à négliger la parole de Dieu qu’à négliger son corps. » (Homélie sur l’Exode)
L’opposition pain-parole est une des erreurs qui nous coûtent cher, renforcée, rigidifiée lors de la rupture avec les Protestants. Dans les Ecritures, la parole est un pain. « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. » Le pain que Jésus multiplie, c’est sa parole partagée pour une grande foule… sans compter les restes. « Qu’est-ce que la fraction du pain sinon l’explication de l’Ecriture ? Car c’est là que le Seigneur est reconnu. » Ainsi s’exprime un évêque liturgiste à la fin du 13ème siècle, déjà évoqué, pour commenter l’épisode d’Emmaüs.
Ambroise de Milan écrivait vers 390. « Ce pain que rompt Jésus est, quant au mystère [comme sacrement], la parole de Dieu et le discours sur le Christ : distribué, il augmente ; car avec quelques discours, il a fourni à tous les peuples un aliment surabondant ; il nous a donné les discours comme des pains, et tandis que nous les goûtons, ils se multiplient dans notre bouche. » (Sur Luc)
Il n’y a qu’une table dans nos célébrations, celle de la parole et du pain, celle de la parole qui est pain, celle du pain qui est parole ; c’est la même. S’il y a un dimanche de la parole, c’est que par sa parole, Dieu en Jésus ne cesse de se donner pour notre vie. Et nous rendons grâce, et nous faisons eucharistie.

3 commentaires:

  1. Merci pour ce commentaires vivifiant! Si notre religion est celle de la sortie des religions, autrement dit une foi, alors les divers gestes liturgiques n'ont de sens que s'ils en restent aux symboles, qui ne peuvent pas être en soi adorés, sauf à être idolâtres.

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  2. Vatican II, Dei Verbum n° 21 :
    « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures comme [elle vénère] le corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table tant de la Parole de Dieu que du corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles. »
    La traduction du site du Vatican en rajoutant quelques mots à la concision latine me semble en gauchir la formule. Le latin par exemple n'oblige pas à comprendre qu'il y a deux tables mais peut signifier que la table est autant celle de la parole que celle du corps.

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  3. Hubert Moreau27/1/20 17:48

    DE SACRA SCRIPTURA IN VITA ECCLESIAE

    21. Divinas Scripturas sicut et ipsum Corpus dominicum semper venerata est Ecclesia, cum, maxime in sacra Liturgia, non desinat ex mensa tam verbi Dei quam Corporis Christi panem vitae sumere atque fidelibus porrigere.

    EX MENSA ... TAM QUAM = LA TABLE au singulier, CQFD .
    Oui, Patrick, le texte nous oblige à comprendre qu'il n'y a qu'une seule table.

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