C’est la destinée de notre humanité. La mort. Dit comme
cela, rien qui ne puisse nous arrêter. Ces généralités sont insignifiantes.
Quand c’est un proche qui disparaît, de ceux que nous aimons, c’est autre
chose. Quand la mort frappe de façon rapprochée, nous sommes bousculés,
renversés, anéantis. Les grandes théories n’y font rien.
Faut-il venir chercher à l’Eglise quelque réconfort ? Pourquoi
se souvenir que l’on est religieux lorsque la mort nous hante ? Dieu
aurait-il quelque vertu consolatrice ? A dire vrai, il ferait mieux de défaire
la mort, d’en délier les proies.
Nous n’allons pas, dans le monde sans Dieu qui est le nôtre,
attendre de Dieu de la magie. Ce n’est pas la peine d’être marqué par la
rationalité pour nous jeter dans les bras de l’irrationnel dès que la science
ne répond plus.
De toute façon, le mort ne reviendra pas. Les funérailles comme
proclamation d’une espérance qu’on se retrouvera un jour, lorsque nous aussi,
nous serons morts, ne font pas sens. Qu’en avons-nous à faire de ce qui sera
lorsque nous ne serons plus ? Et si vie après la mort il y a,
pourrait-elle être reprise des relations d’ici, avec de petits réseaux, des violences aussi, quand
c’est la récapitulation de toutes choses dans le Christ (Ep 1, 10) qui est
annoncée, rencontre avec l’immensité de l’humanité et de l’amour que Dieu nous
donne de découvrir avec lui ?
Avec la mort, nous sommes dépouillés. Avec la mort, nous perdons,
irréversiblement. Cette indigence où nous sommes conduits, nous n’allons pas la
combler par quelque ersatz, fût-il religieux. Rien ne nous rendra ceux que nous
pleurons, tant de vies fauchées, tant d’amours et d’affections volées.
Jésus fait signe vers un Dieu qui nous rejoint dans cette pauvreté, cette nudité, ce désarroi.
Non pour le combler, le colmater. La foi c’est moins des réponses qu’un appel.
Jésus nous convie à son propre mouvement de dépossession. Mais alors que la
mort dépouille et anéantit, Dieu se dépouille pour se donner. Si la mort est
vaincue, c’est par ce don.
Ce que nous vivons avec Dieu ne fait pas échapper à la mort. Jésus
lui-même y est passé. Nous apprenons à construire nos vies en forme de celle de
Jésus, se retirer pour laisser autrui passer devant. Au « moi d’abord »
puéril et dangereux quand il est le mot d’ordre d’adultes, répond la vie de
Jésus, l’homme pour les autres. Se faire prochain de tous (Cf Lc 10, 36).
Pas facile à entendre. Qui est prêt à renoncer à lui-même ? On
ne pourra s’étonner du petit nombre de disciples qu’à ignorer ce qu’est l’évangile.
Mais, nous le savons, avec ceux que nous aimons, « l’autre d’abord » devient
pensable et praticable. C’est même solide comme une maison bâtie sur le roc.
Rien ne peut la renverser (Mt 7, 24-29). « Rien ne pourra nous séparer de
l’amour de Dieu
manifesté dans le Christ notre Seigneur. » (Rm 8, 39)
L’auteur du livre de Job ne connaissait évidemment rien de Jésus.
Mais déjà, dans son corps à corps avec le mal et la mort, il avait perçu que
seul « l’autre d’abord » était l’avenir de l’homme, aussi vivaces que
soient nos résistances à passer derrière. C’est ce qui lui permettait d’écrire
du fond de sa détresse « Je crois que mon sauveur est vivant. Je le
verrai, moi, en personne. Il ne sera plus un étranger. » (Jb 19, 23-27)
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