Ils regagnèrent leur
pays par un autre chemin. La rencontre avec l’enfant de la crèche change
les habitudes. La rencontre avec Jésus interdit que l’on reprenne les vieux
sentiers ou les voies rapides de la routine. Pourrions-nous décemment penser
que nous serions venus nous prosterner devant le Seigneur et ne pas nous
attendre à ce que cela ne change nos vies ?
Et même si vous reprenez exactement la même route, vous ne rentrerez
pas chez vous comme avant. Ce n’est plus possible, ou alors, votre détour par
Bethléem, votre démarche de foi, est une affaire touristique ou folklorique,
mais nullement la rencontre avec notre Dieu.
Tout homme et femme est susceptible d’être un de ces mages venus d’Orient.
Tous, en notre route humaine, nous sommes levés avec un soleil, à l’est, et
grandissons dans une aventure humaine, avec et pour les autres, dans un monde
et des institutions à rendre le plus juste possible pour tous.
Lors de cette marche, la conversion n’est pas tant une étape, un
changement radical de route, qu’une manière de conduire la marche. On croit que
la conversion, c’est le changement de religion, ou le changement de vie.
Pourquoi pas. Mais ce n’est pas ici ce dont il s’agit. En m’adressant à des
baptisés qui sont venu prier, les inviter à la conversion n’aurait aucun sens s’ils
devaient changer de religion ! Et peut-être pas tellement plus s’il leur
fallait changer de vie. On peut penser qu’il n’y a pas trop parmi nous qui
venons communier, de ces personnes dont il est évident qu’elles doivent changer
de vie. Peut-être l’un ou l’autre. Et chacun le sait en son cœur. Et qu’ils
soient les bienvenus.
La table de Jésus doit être, hier comme aujourd’hui, ouverte aux
pécheurs. Jésus s’est fait suffisamment d’ennemis parce que sa table était
table des pécheurs pour que l’Eglise ne puisse, sous aucun prétexte, se donner
le droit d’en exclure qui que ce soit. Quoi qu’il en soit de l’attitude de l’Eglise
encore aujourd’hui, je le redis. Elle ne peut se permettre de faire autrement
que son Seigneur, surtout sur une affaire aussi importante, structurante, du
ministère de Jésus. Elle doit tenir table ouverte, et d’abord pour ceux qui
auraient des raisons de s’en sentir exclus.
Si l’eucharistie est un repas, ce n’est pas pour rien. On a beau
vouloir en faire un sacrifice pour faire plus religieux, elle est la table des
pécheurs où le Seigneur s’offre pour nous donner de pouvoir rendre grâce, nous,
les pécheurs.
Que l’Eglise dise non, haut et fort, au péché, à ce qui opprime les
frères ou l’humanité en soi, cela demeure indispensable. Il sera cependant plus
urgent qu’elle s’engage positivement pour délier les liens de servitude. Cet
engagement pour les frères méprisés et pour l’humanité que nous malmenons est
ce qu’elle peut faire de mieux pour lutter contre le mal, avec sa compassion
pour ceux que le péché, le leur ou celui des autres, écrase. Les paroles, le
non au mal, n’est alors pas du vent, mais la solidité ou la vérité de sa
mission, son amen en réponse à la mission qu’elle reçoit de son Seigneur.
J’en reviens à la conversion pour ceux d’entre nous qui ne s’estiment
pas des pécheurs, ou des pécheurs tels que leur vie mériterait un changement radical. (Je sais, cette distinction ne fait pas sens, fondamentalement, mais il
faut bien essayer de parler.) Qu’est-ce que revenir chez soi par un autre
chemin pour la majorité d’entre nous ? Comment, après cette eucharistie,
ne rentrerons-nous pas chez nous comme avant ?
La conversion, avant d’être les grandes décisions donc, c’est l’incessant
travail, invisible même, de se laisser changer par le Christ, de se laisser
configurer par lui. Jour après jour, rencontre après rencontre, accueillir
comme lui. Accueillir les frères, accueillir le Père de toute miséricorde aussi.
Accueillir comme il accueillait à sa table tous ceux qui le voulaient. L’hospitalité
comme manière de vivre.
Méfions-nous des résolutions de début d’année ! Contentons-nous
de l’humble labeur de laisser les autres et le Christ décider pour nous.
Contentons-nous d’apprendre à renoncer à tout vouloir si ce n’est précisément,
celui de ne plus rien vouloir par nous-mêmes. C’est la prière de Charles de
Foucault. Fais de moi ce qu’il te plaira.
Et nous n’avons rien à craindre. Il ne peut faire quoi que ce soit qui nous
serait défavorable.
A chaque moment, continuer la route par un autre chemin. Ainsi,
nous emprunterons le chemin, Jésus.
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