Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !
Pas sûr que ce soit les soucis familiaux qui feraient que Paul s’exclamerait ainsi s’il nous parlait aujourd’hui. Regardons plutôt ce qui nous fait souci, ce qui nous rend esclaves, ce qui ferait que, plein de sollicitude, Paul aimerait tellement nous voir libres.
Le boulot est ce qui nous bouffe, que nous en ayons ou que nous en cherchions. Nous pouvons y être heureux, certes, mais regardons nos agendas. Ne sommes-nous pas sacrifiés sur l’autel de nos employeurs, eux-mêmes grands-prêtres d’une divinité qu’ils n’ont jamais vue mais à laquelle il faut sacrifier ; c’est la loi de l’économie qui l’impose.
Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !
N’y a-t-il pas scandale de la part de Paul de dire esclaves ceux qui sont mariés ? Reconnaissons que le scandale est moindre à dénoncer les esclavages du travail et du chômage. Et pourtant, pouvons-nous entendre, est-elle audible, cette parole qui nous souhaiterait libres, c’est-à-dire cette parole qui nous convainc de notre esclavage ?
Le travail est une valeur, nous dit-on, croyons-nous. On n’a pas toujours pensé ainsi. C’était les esclaves qui travaillaient, ceux qui justement avaient besoin d’être libres.
Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !
Si l’on pense que les gens auxquels Paul s’adressait ne s’estimaient pas esclaves – ils étaient simplement mariés ! ‑ nous pourrions nous aussi, ne pas savoir que nous sommes esclaves.
Nous ne pouvons tout de même pas dire que le dieu économie fait notre bonheur, ou alors le bonheur de quelques uns d’entre nous seulement. Il est inutile de développer encore ce que la crise économico-financière signifie, ce que les inégalités nord-sud suscitent. Le dieu économie mange le sang de ses fidèles. Il lui faut son lot de sacrifices humains : chaque jour des milliers de chômeurs de plus et, dans le même temps, de jeunes professionnels bouffés par un emploi du temps de fou. Nos pays sacrifient leur jeunesse. La jeunesse des pays du sud est elle aussi sacrifiée.
Mais alors que devons-nous faire ? Comment quitter les chaînes de notre esclavage ? Qui imaginera qu’il y a un remède à la crise ? S’il y en avait un, pourquoi ne pas l’avoir déjà prescrit ? Les intérêts de quelques uns serait-ils suffisamment puissants, efficaces, pour maintenir tous les autres dans la servitude ? Ou bien sommes-nous nous-mêmes trop heureux de nos chaînes ?
Ai-je le droit de parler ainsi ?
En disant cela, c’est votre intérêt à vous que je cherche ; je ne veux pas vous prendre au piège, mais vous proposer ce qui est bien, pour que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.
Qu’est-ce que cela veut dire être au Seigneur sans partage ? Cela veut dire être libres. Il est bien évident que nous ne pouvons pas ne rien faire. Mais jusqu’où sommes nous, dans nos activités, dans nos familles, dans notre vie conjugale, dans notre métier, quant à nos richesses, dans notre pénurie, jusqu’où sommes nous disposés à la libération ?
Nous ne renverserons pas seuls le dieu économie. Mais, de même qu’on nous dit que les petits efforts consentis par chacun ou extorqués à chacun feront le retournement de la situation, de même, nous pourrions penser que les petites contestations du dieu finance, jour après jour, les prises de positions pour refuser l’injustice, seront capables de changer le monde, seront capables de nous voir libres, usant de ce monde comme si nous n’en usions pas, c’est-à-dire usant de ce monde sans en être esclaves.
Etre totalement au Seigneur, n’est-ce pas cela ? La possibilité de dénoncer l’injustice et de participer à la construction d’un monde nouveau reçu du seul capable de libérer le monde ? Etre totalement au Seigneur, ne se mesure-t-il pas à notre capacité de mettre le travail à notre service plutôt qu’à nous aliéner et à être les esclaves du travail ou du chômage.
Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !
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