Le décret sur l’unité des chrétiens Unitatis redintegratio (21
novembre 1964)
Jean XXIII
avait fixé comme objectif au concile de promouvoir l’unité des chrétiens. Dès
1960, il avait crée le secrétariat pour l’unité, présidé par le Cardinal Bea.
Ce dernier noua des contacts fraternels avec nombre de responsables des autres
confessions ; lors des sessions il réunit chaque semaine les plus de 90 observateurs
non catholiques issus de 28 confessions. Grâce à lui, le secrétariat[1]
joua le rôle d’une autorité dogmatique alternative à celle de la commission théologique
présidée par le Cardinal Ottaviani, secrétairet du Saint-Office.
A peine
quarante ans plus tôt, Pie XI (encyclique Mortalium
animos, 1928) dénonçait les efforts en vue de l’unité qui constituaient à
ses yeux une relativisation de la vérité de la foi, compromis de mortels autour d’un plus petit commun
dénominateur. Certes, unité il devait y avoir mais on ne pouvait la penser
comme une fédération d’Eglises ; l’« Eglise Romaine » seule se devait
« de rappeler et de ramener à son giron ses enfants égarés »[2].
Pourtant, les initiatives y compris catholiques se développèrent.
Qu’on pense à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, reprise par l’abbé
Couturier, prêtre de Lyon, dès le début des années 30 ; au Groupe des
Dombes, quelques années plus tard, où théologiens catholiques et protestants se
retrouvent une fois par an pour une retraite spirituelle, toujours à l’initiative
du Père Couturier ; à la communauté œcuménique de Taizé officiellement fondée
en 1949 par Frère Roger Schutz. Pendant le concile, la simple présence des
observateurs non catholiques, qui ne prenaient pas la parole officiellement ni ne
votaient, interdisait qu’on parle d’eux en termes autres que fraternels. Alors
on vit bien que l’on partageait une même foi et que celui qui nous unissait
était bien plus que tout ce qui nous séparait.
De l’opposition polémique à la recherche de
fraternité
Le concile,
très occidental par l’origine de ses acteurs, appréhende l’œcuménisme d’avantage
à partir des protestants et des anglicans que des orthodoxes. Les Eglises
catholiques orientales pourtant montrent déjà la voie de l’unité dans la
différence (Décret Orientalium Ecclesiarum § 2). Les études historiques et les rencontres personnelles entre
théologiens notamment indiquent que l’anti-protestantisme déforme la
position des communautés issues de la Réforme mais aussi qu’elle caricature et dénature la théologie catholique. On ne peut en outre tenir les « frères
séparés » responsables de divisions vieilles de plusieurs siècles et leurs confessions « donnent
accès à la communion du salut » (§ 3).
En refusant d’identifier
purement et simplement l’Eglise catholique romaine et l’Eglise fondée par le
Christ, Lumen gentium (§ 8) permettait
d’envisager l’unité autrement que comme une conversion et un retour de tous au
catholicisme. C’est même « L’Église [qui], au cours de son pèlerinage, est
appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a continuellement
besoin en tant qu’institution humaine et terrestre. » (§ 6). Le mot
luthérien de réforme est employé et ne semble pas s’opposer à la sainteté de l’Eglise
que confesse le credo. Dei Verbum
pour sa part permettait de tourner théologiquement la page de la Contre-réforme
en confessant la foi véritablement catholique selon laquelle seules les Ecritures
sont source de la révélation pour peu qu’on les lise en Eglise, c’est-à-dire
dans la tradition.
Les trois grands
sujets habituels de discorde sont envisagés, sans rien dissimuler des
divergences, mais de telle sorte qu’on sorte des impasses de la polémique. Premièrement,
les ministères ne sont pas pour les catholiques seulement un dispositif organisationnel.
Ils constituent une dimension essentielle de l’Eglise, quand bien même ils sont
apparus de façon historique et contingence. Le ministère de communion et
d’unité de l’évêque de Rome pose quant à lui de nombreux problèmes, comme le
souligne encore Jean Paul dans une encyclique en 1995)[3].
L’ordination de femmes par certaines Eglises a encore aggravé les divisions alors
que catholiques et orthodoxes continuent de s’y opposer.
Deuxièmement,
les désaccords sur la validité du sacrement de l’ordre ont des conséquences sur la vérité du sacrement de la communion. Le § 22 parle de la façon la plus positive possible de l’eucharistie et des ministères dans les communautés ecclésiales séparées et refuse de déclarer leur vanité. L’opinion selon laquelle les protestants ne croient
pas à la présence réelle relève elle aussi de la polémique
antiprotestante. Il faudrait d’ailleurs être sûr que ce que les catholiques mettent sous
ce mot correspond effectivement à ce qu’enseigne leur Eglise.
Troisièmement,
il n’y a pas de difficulté quant au culte des saints et notamment de Marie avec
les orthodoxes. La polémique antiprotestante affirme que les protestants ne
croient pas en la Vierge Marie. Pourtant, ils récitent la profession de foi commune :
« Il est né de la Vierge Marie ». Les manières de faire sont
différentes : la vénération des icônes propre à l’orthodoxie ni ne gène
d’autres modes de dévotion ni n’est empêchée par eux. L’insistance de la
rénovation liturgique sur le cycle liturgique de l’année place le culte des
saints dans l’orbite du mystère pascal, célébré en chaque liturgie, et ainsi le
régule.
Le concile en vient à affirmer, assez explicitement contre Mortalium animos, qu’il y a une
hiérarchie des vérités de la foi[4].
Cela pourrait bien avoir statut de dogme quel que soit le statut juridique d’Unitatis redintegratio. Tout ne se vaut
pas dans la foi. Le texte conciliaire ne se risque pas à hasarder de formule synthétique
de la foi ; il renvoie aux « insondables mystères du Christ » (Ep
3,8) que précisément aucune formule dogmatique ne saurait épuiser.
Depuis la fin du concile
Les gestes
de réconciliation se sont multipliés, dès le dernier jour du concile, avec la levée
réciproque des excommunications de 1054 par Paul VI et Athénagoras, patriarche
de Constantinople. L’œcuménisme, malgré des hauts et des bas est devenu une
exigence et une habitude. De nombreux accords ont été signés ; pas un
voyage du Pape sans une rencontre avec les autres chrétiens. L’expression « Eglises
et communautés ecclésiales séparées » appréciée en 1964, fait aujourd’hui
problème, comprise qu’elle est comme le refus de l’Eglise catholique de reconnaître
la qualité d’Eglise à certaines communautés.
Dans la
rédaction des accords, on reconnaît que des formules différentes, que chaque
Eglise ne ferait sans doute pas sienne, expriment cependant la même et unique foi ;
c’est le « consensus différencié ». Ainsi en 1999, après des siècles,
catholiques et luthériens disaient qu’ils partageaient la même foi sur la
justification (le salut). Pareillement, on n’attend de moins en moins le
rassemblement de tous en une seule Eglise, mais la pleine communion entre des
Eglises sœurs. Une « ecclésiologie de communion » développée par le
Cardinal Kasper à l’occasion des vingt cinq ans du concile, est aussi utile à
l’intérieur des Eglises qu’entre elles. Il est en effet impossible, et
peut-être pas souhaitable, de faire tenir ensemble tant de sensibilités dogmatiques,
liturgiques et morales héritées de siècles. On préfère savoir reconnaître en
elles des expressions authentiques et intégrales de l’unique foi en Jésus
Christ.
Depuis la
rédaction du décret, des pistes ont été ouvertes que l’on ne pouvait pas imaginer
et il n’est personne pour le regretter ni exiger qu’on s’en tienne à la lettre
du décret.
[1]
Au début, le texte traitait aussi des Juifs. Le secrétariat fut chargé de l’élaboration
des deux documents.
[2]
« Dans ces conditions, il va de soi que le Siège Apostolique ne peut, d’aucune
manière, participer [aux congrès des autres confessions chrétiennes] et que, d’aucune
manière, les catholiques ne peuvent apporter leurs suffrages à de telles
entreprises ou y collaborer ; s’ils le faisaient, ils accorderaient une
autorité à une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à l’unique
Eglise du Christ. » C’est encore au nom de ce principe, même si l’expression
a changé, que l’Eglise catholique n’est pas membre du Conseil Œcuménique des
Eglises.
[3]
« La conviction qu'a l'Eglise catholique d'avoir conservé, fidèle à la
tradition apostolique et à la foi des Pères, le signe visible et le garant de
l'unité dans le ministère de l'Evêque de Rome, représente une difficulté pour
la plupart des autres chrétiens, dont la mémoire est marquée par certains
souvenirs douloureux. Pour ce dont nous sommes responsables, je demande pardon,
comme l'a fait mon prédécesseur Paul VI. » (Ut unum sint § 88)
[4]
« Dans le dialogue œcuménique, les théologiens catholiques, fidèles à la
doctrine de l’Église, en conduisant ensemble avec les frères séparés leurs
recherches sur les divins mystères, doivent procéder avec amour de la vérité,
charité et humilité. En comparant les doctrines entre elles, ils se
rappelleront qu’il y a un ordre ou une « hiérarchie » des vérités de la
doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec le fondement de
la foi chrétienne. Ainsi sera tracée la voie qui les incitera tous, dans cette
émulation fraternelle, à une connaissance plus profonde et une manifestation
plus évidente des insondables richesses du Christ » (§ 11)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire