23/01/2013

L'Eglise devrait-elle se taire ?

Le débat à propos du "mariage pour tous", si du moins l'on peut parler de débat plutôt que de prises de positions diverses qui ne s'écoutent guère, de cacophonie, utilise des arguments qui n'ont rien à voir avec le dit mariage mais qui concernent le droit ou non des religions à s'exprimer dans l'espace public.
Dernièrement, une lettre ouverte au Grand Rabbin de France, que je trouve assez bien faite, répond au texte publié par Gilles Bernheim. L'auteur regrette que le Grand Rabbin ne se soit pas exprimé en des termes comme ceux-ci :« Nous, Juifs orthodoxes, avons notre opinion sur la question mais nous avons perdu la très vilaine (et très monothéiste) habitude monothéiste d’empiéter sur la sphère publique et nous ne voulons pas imposer notre vision traditionnelle de la famille à l’ensemble de la société civile. »

Est-ce à dire que les religions n'auraient pas à intervenir dans la République ? La position étonne de la part de ceux qui revendiquent l'appartenance à une religion. Elle correspond en effet à l'intransigeance la plus grande d'un laïcisme étroit, non respectueux de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. Car si l'Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte, ainsi que le dit la loi, il doit garantir la liberté religieuse qui est aussi liberté d'expression dans l'espace public. Le Grand Rabbin comme un évêque, ou n'importe quel croyant doit pouvoir parler dans la cité au nom de sa foi.

D'ailleurs, personne, ou presque, ne le conteste lorsqu'il s'agit de défendre l'immigré, le pauvre, la justice. Que le Pape défende les droits de l'homme, que l'Eglise s'engage comme Eglise pour la solidarité, qu'on soit d'accord ou non, on a du mal à leur lui reprocher. Les derniers propos de Benoît XVI contre le libéralisme ont été fort peu relayés. Soit parce qu'on n'allait tout de même pas dire, journaliste, qu'on était d'accord avec le Pape, soit parce que, catho de droite, on n’allait tout de même pas dire qu'on était en désaccord avec le Pape.
Ainsi donc, ce n'est pas parce que les religions prennent la parole que l'on s'oppose à leur discours. Ce serait de l'intolérance, celle-là même qu'on leur reproche.

Je me permets de recopier ci-dessous un extrait du Message de Benoît XVI à l’occasion de la journée mondiale pour la paix (1er janvier 2013). Ce qui précède concerne les questions de morale sexuelle et familiale, de bio-éthique, d’avortement et d’euthanasie. Ce que je cite, si l’on ne sait pas qu’il s’agit d’un texte du Pape, à part une ou deux références à Dieu, on pourrait le mettre sur la bouche d’un syndicaliste de gauche, voire d’un bon discours anti-capitaliste !

Une question : Les 340 000 manifestants du 13 janvier, ou les 800 000 voire un million de manifestants, sont-ils descendus dans la rue une fois dans leur vie pour les lignes qui suivent ? Si, comme ils le disent, le « mariage pour tous » ne concernent que peu de monde, n’y a-t-il pas urgence à descendre dans la rue pour des questions de morale sociale et politique qui touchent des milliards de personnes, en France comme dans le reste du monde ?

Les religions ont droit à la parole dans l’espace public, à condition qu’elles respectent les règles du débat public, à condition aussi que la République garantisse qu’un tel débat puisse avoir lieu. Le conflit des interprétations est non seulement légitime, mais il est le lot d’une société mondialisé, pluraliste. Ce conflit des interprétations doit même être défendu si l’on ne veut pas que Coca-Cola et compagnie, la pseudo culture que nous imposent les puissants, ne s’impose et ne nous détruise.
La bénédiction de Babel, le fait que Dieu oblige à ce que l’on parle plusieurs langues, est l’expression du refus du totalitarisme, où pas une tête ne dépasse, ou tout le monde parle la même langue, celle des intérêts des puissants. On boit du coca partout dans le monde et l’oncle Sam encaisse les bénéfices. On écoute la même musique partout dans le monde, on regarde le même foot dans le monde, et les pauvres continuent à engraisser les riches.

L’artisan de paix doit aussi avoir conscience que de plus en plus de secteurs de l’opinion publique sont touchés par les idéologies du libéralisme radical et de la technocratie qui leur instillent la conviction selon laquelle la croissance économique est à obtenir aussi au prix de l’érosion de la fonction sociale de l’État et des réseaux de solidarité de la société civile, ainsi que des droits et des devoirs sociaux. Or, il faut considérer que ces droits et devoirs sont fondamentaux pour la pleine réalisation des autres, à commencer par les droits et les devoirs civiques et politiques.
Parmi les droits et les devoirs sociaux aujourd’hui les plus menacés, il y a le droit au travail. Cela est dû au fait que le travail et la juste reconnaissance du statut juridique des travailleurs sont de moins en moins correctement valorisés, parce que le développement économique dépendrait surtout de la pleine liberté des marchés. Le travail est appréhendé comme une variable dépendant des mécanismes économiques et financiers. À ce sujet, je répète ici que la dignité de l’homme, ainsi que la logique économique, sociale et politique, exigent que l’on continue à « se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail ou son maintien, pour tous »[4]. La réalisation de cet objectif ambitieux a pour condition une appréhension renouvelée du travail, fondée sur des principes éthiques et des valeurs spirituelles de nature à renforcer sa conception en tant que bien fondamental pour la personne, la famille, la société. À ce bien correspondent un devoir et un droit qui exigent des politiques courageuses et novatrices en faveur du travail pour tous.
Construire le bien de la paix par un nouveau modèle de développement et d’économie
5. De plusieurs côtés, il est reconnu qu’aujourd’hui un nouveau modèle de développement comme aussi un nouveau regard sur l’économie s’avèrent nécessaires. Aussi bien le développement intégral, solidaire et durable, que le bien commun, exigent une échelle correcte de “biens-valeurs”, qu’il est possible de structurer en ayant Dieu comme référence ultime. Il ne suffit pas d’avoir à disposition de nombreux moyens et de nombreuses opportunités de choix, même appréciables. Autant les multiples biens efficaces pour le développement, que les opportunités de choix doivent être utilisés dans la perspective d’une vie bonne, d’une conduite droite qui reconnaisse le primat de la dimension spirituelle et l’appel à la réalisation du bien commun. Dans le cas contraire, ils perdent leur juste valeur, finissant par s’ériger en nouvelles idoles.
Pour sortir de la crise financière et économique actuelle – qui a pour effet une croissance des inégalités – il faut des personnes, des groupes, des institutions qui promeuvent la vie en favorisant la créativité humaine pour tirer, même de la crise, l’occasion d’un discernement et d’un nouveau modèle économique. Le modèle prévalant des dernières décennies postulait la recherche de la maximalisation du profit et de la consommation, dans une optique individualiste et égoïste, tendant à évaluer les personnes seulement par leur capacité à répondre aux exigences de la compétitivité. Au contraire, dans une autre perspective, le succès véritable et durable s’obtient par le don de soi, de ses propres capacités intellectuelles, de son esprit d’initiative, parce que le développement économique vivable, c’est-à-dire authentiquement humain, a besoin du principe de gratuité comme expression de fraternité et de la logique du don[5]. Concrètement, dans l’activité économique, l’artisan de paix se présente comme celui qui instaure avec ses collaborateurs et ses collègues, avec les commanditaires et les usagers, des relations de loyauté et de réciprocité. Il exerce l’activité économique pour le bien commun, vit son engagement comme quelque chose qui va au-delà de son intérêt propre, au bénéfice des générations présentes et futures. Et ainsi, il travaille non seulement pour lui, mais aussi pour donner aux autres un avenir et un travail décent.
Dans le domaine économique, il est demandé, spécialement de la part des États, des politiques de développement industriel et agricole qui aient le souci du progrès social et de l’universalisation d’un État de droit, démocratique. Ensuite, la structuration éthique des marchés monétaires, financiers et commerciaux est fondamentale et incontournable; ceux-ci seront stabilisés et le plus possible coordonnés et contrôlés, de façon à ne pas nuire aux plus pauvres. La sollicitude des nombreux artisans de paix doit en outre se mettre – avec plus de résolution par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à aujourd’hui – à considérer la crise alimentaire, bien plus grave que la crise financière. Le thème de la sécurité des approvisionnements alimentaires en est venu à être central dans l’agenda politique international, à cause de crises connexes, entre autre, aux fluctuations soudaines des prix des matières premières agricoles, aux comportements irresponsables de certains agents économiques et à un contrôle insuffisant de la part des gouvernements et de la communauté internationale. Pour faire face à cette crise, les artisans de paix sont appelés à œuvrer ensemble en esprit de solidarité, du niveau local au niveau international, avec pour objectif de mettre les agriculteurs, en particulier dans les petites réalités rurales, en condition de pouvoir exercer leur activité de façon digne et durable, d’un point de vue social, environnemental et économique.

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