Notre seconde lecture (1 Co 12, 12-30) développe une
invention paulinienne, parler de l’Eglise comme d’un corps. Certes, il existe
dans l’Antiquité des textes qui utilisent cette métaphore. On parle encore
aujourd’hui de corps social, de la société comme un corps. La nouveauté
paulinienne est de trois ordres.
Premièrement la comparaison tourne à l’avantage des membres
les moins nobles pour lesquels on se doit d’avoir plus d’égard. Les textes que
Paul pouvait connaître vont dans le sens inverse. La métaphore du corps
encourage les plus modestes, ouvriers, paysans, ceux qui par leur travail font
tourner la cité, à se mettre au service de ceux qui la gouvernent ou la
représentent. Ici, c’est l’inverse : Dieu
a organisé le corps de telle façon qu'on porte plus de respect à ce qui en est
le plus dépourvu
Deuxièmement, la comparaison fait de cet ensemble de
personnes le corps d’un dieu. C’est absolument impensable en judaïsme ; Dieu
ne peut avoir de corps. Et dans le paganisme, ce serait plutôt le cosmos qui
serait le corps de la divinité. Faire de ce groupe d’hommes et de femmes, assez
peu originaires des élites tant sociales que religieuses, le corps du dieu, est
d’une audace que seule l’incarnation rend pensable. Comment le dieu pourrait-il
avoir un corps ?
Troisièmement, il faut remarquer le rapport entre deux
acceptions de ce mot corps, au chapitre 10 et 11 et dans notre chapitre 12. En
effet, aux chapitres précédents, le corps du Christ c’est l’eucharistie : le pain que nous rompons n’est-il pas
communion au corps du Christ ? (10,16). Le passage de l’eucharistie à
l’Eglise de la même expression mériterait de longs développements.
D’ores et déjà, avec ces trois points ‑ retournement de
la métaphore sociale en faveur des plus faibles, désignation du corps du dieu
et lien entre Eglise et eucharistie ‑ nous percevons l’originalité et la
nouveauté du propos paulinien.
Quelques années après la mort de Paul, celui ou ceux qui
rédigent les lettres aux éphésiens et aux colossiens reprennent cette
thématique du corps, mais la modifient en parlant de la tête de ce corps que
nous sommes, le Christ. Le corps n’est plus comme en Corinthiens un organisme de membres divers, inégaux mêmes, mais
organisé de façon assez autonome. Désormais, son principe d’organisation est
affirmé, c’est sa tête, le Christ. En Ephésiens
et Colossiens, la tête bien qu’unie
au corps, n’est plus un membre parmi d’autres, elle n’est plus tout à fait du
corps, ou du moins elle n’est pas comme le reste des membres.
En Corinthiens
comme en Ephésiens, la métaphore du
corps comprend un développement sur les ministères, les services dans le corps.
Les deux fois, l’Esprit anime ce corps pour en faire un être vivant. Dans notre
lettre, l’Esprit est à l’origine de la diversité des membres, donnant à chacun
une unité, la sienne, plus grande que toutes les différences, donnant son unité
par l’invention des différences.
Voilà assez de repérages pour tirer quelques leçons.
Dans l’épître de ce jour, la hiérarchie dans le corps réside
dans la seule logique évangélique :
il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. Dans l’Eglise,
il n’y a pas d’autres principes d’unité que l’Esprit qui donne dans la
diversité, par elle, ce qu’il faut au corps pour vivre et la règle de vie est
celle de l’exaltation des plus petits. Utopie évangélique qui ne résiste sans
doute guère à la tentation du pouvoir. Quelle société pourrait s’organiser en
ayant qu’un seul but, la reconnaissance des plus méprisés ? L’ecclésiologie
que nous venons d’entendre a la bonne odeur de la nouveauté enthousiasmante.
Elle se cassera les dents sur la dure réalité de la soif du pouvoir et la
propension à faire clan, à se retrouver entre soi, comme si les élites sociales
qui partagent le corps du Christ n’avaient rien à voir avec les pauvres et les
immigrés, les plus défavorisés financièrement et culturellement qui partagent
aussi ce même corps.
Alors, l’Esprit se retira avec sa liberté vivifiante pour
une hiérarchie plus visible, celle qui dépend de la tête, le Christ lui-même.
Jusque là, rien à dire. Encore que la modification de la métaphore en
bouleverse le sens, fait disparaître la règle de vie, le service des plus
petits. Plus encore, les ministères deviennent directement don de la tête en vue de l’édification du corps. De là
à penser que les ministres sont les lieutenants de la tête, qu’ils tiennent une
autorité de la tête que les autres n’ont pas, qu’ils ont ainsi un droit sur le
reste du corps, il n’y a qu’un pas.
Mais ce n’est pas la lecture de ce jour. Contentons nous t’entendre
ce que la comparaison avec d’autres textes nous a permis de mieux comprendre. L’Eglise
est le corps du Christ ; ce corps tient son souffle de vie de l’Esprit qui
se donne dans et par la diversité ; la règle de vie entre les différents
membres réside dans le renversement évangélique, la subversion absolue du
pouvoir : il renverse les puissants
de leur trône, il élève les humbles. Dieu
a organisé le corps de telle façon qu'on porte plus de respect à ce qui en est
le plus dépourvu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire