En lisant l’évangile de ce jour (Jn 13, 31-35), je me demandais bien
comment j’allais trouver de quoi nourrir un commentaire. Le commandement
nouveau est tellement central qu’il est difficile de ne pas s’y arrêter. Mais
le texte est tellement connu, et sans difficulté de compréhension, que l’on
voit mal en quoi une homélie est nécessaire. Pourrait-elle d’ailleurs être
autre chose qu’une paraphrase bien fatigante ? Et paraphraser trois lignes
histoire d’en faire une homélie de huit à dix minutes, c’est sûr que ce serait
très ennuyeux.
Et puis, la discussion dans un des cours donnés la semaine
dernière m’a ouvert une piste. Athéisme
et question de Dieu, tel en est le titre. Nous en étions à exprimer comment
il était possible de dire Dieu, ce que signifie la nomination de Dieu. Un
article fameux de Paul Ricœur, que j’ai lu des dizaines de fois, m’est apparu
comme un commentaire de notre texte.
Comment prononcer le nom de Dieu ? Cela est si
impossible que le peuple Juif se l’interdit et remplace ce nom par un autre, le
Seigneur. Les chrétiens, depuis les Pères, sont passés outre cet interdit, mais
ils savent bien que nommer Dieu est toujours fait improprement. Qui pourrait
dire Dieu ? Déjà, on ne prononce pas le nom des autorités, on ne va pas
dire Dieu impunément ! Et le nouveau Pape, qui ne choisit pas de nom de
règne, nous met dans le désarroi. On ne va pas l’appeler François ?
François, dans sa dernière homélie, François, au soir de son élection. Cela
manque de dignité, alors on rajoute, le Pape François. Pourtant, on ne disait
pas toujours le Pape Benoît XVI. On dit souvent Benoît XVI, Jean-Paul II. Appelez-moi
François, tout simplement, semble-t-il dire. Et nous sommes gênés.
Pensez pour Dieu…
Et pourtant, il faut bien dire Dieu si l’on veut prier, si
on veut l’annoncer.
Mais le nom de Dieu n’est pas un savoir, un nom pris dans
une liste, l’annuaire ou le dictionnaire des dieux ou des noms de dieux. Les
musulmans en connaissent quatre-vingt dix neuf, mais c’est ruse car il manque
le centième. Les autres noms ne sont pas faux, mais ils ne sont pas sont nom
pour autant. Ils cachent, ils réservent.
Le nom de Dieu ne relève pas d’un savoir, d’une nomination.
Il est charité, engagement, service du frère. C’est à aimer que l’on nomme
Dieu. Voyez, mère Térésa et l’abbé Pierre ont bien mieux et pour beaucoup plus
de monde parlé de Dieu que les plus célèbres des théologiens dont on ignore
jusqu’à l’existence. Non que la théologie soit inutile, mais comme dit l’un des
plus grands théologiens, Thomas d’Aquin, elle n’est que paille. On nomme Dieu à
aimer. Que serait la foi sans la charité. « Quand je parlerais les langues
des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain
qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais […] la plénitude de la foi,
une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis
rien. »
La foi n’est pas autre que la charité, la foi n’est pas une
confession de notre confiance en un Dieu ainsi ou autrement nommé. La foi est
amour de Dieu, c’est-à-dire du prochain puisqu’il n’est pas possible d’aimer l’un
sans aimer les autres, d’aimer les autres sans aimer Dieu, qu’on sache qu’on l’aime
ou pas.
Il n’y a pas d’un côté la profession de foi et de l’autre le
comportement moral. La langue de la foi, c’est la charité. Lorsque la foi
parle, elle est charité. Pour annoncer notre Dieu, pour prier notre Dieu, nous
n’avons qu’un chemin, celui de l’amour. Ainsi, je comprends, et espère n’avoir pas
trop paraphrasé, l’évangile de ce jour :
« Je vous donne un commandement nouveau : c'est de
vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous
les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes
disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »
Les conséquences sont lourdes. A ne point aimer, nous ne pouvons dire notre foi, quels que soient les astuces pédagogiques, les moyens de communication, l'engagement dans la société, notre prise de parole avec les amis, les collègues de travail, etc.
Il ne s’agit pourtant que d’une paraphrase. Dire que la
langue de la foi, le langage de la foi c’est l’amour, c’est seulement répéter les
paroles de Jésus : « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes
mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »
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