Il y a bientôt deux mois que François a été choisi par les
Cardinaux comme évêque de Rome. C’était le 13 mars. Depuis, nous nous sommes
habitués à dire son nom à la messe, à le voir à la télévision, à entendre
parler de sa dernière homélie improvisée à la chapelle de la résidence saint
Marthe où il fait choix de demeurer, de ses petits gestes qui étonnent, tel ce
sandwich offert à un garde suisse.
Va-t-on faire du Pape un People et réduire la vie de l’Eglise
à ces histoires de sandwich ? Certains n’hésitent pas à parler des fioretti du Pape François, à l’instar de ces
anecdotes, petites fleurs, de la vie de saint François d’Assise. Des dizaines
de moments qui étonnent et dessinent la personnalité de celui qui, par exemple,
signe le plâtre qu’une adolescente porte à la jambe.
On a l’impression de retrouver la simplicité de Jean XXIII.
Le discours à la Lune dans lequel le Bon Pape Jean avait confié aux parents d’embrasser
leurs enfants de la part du Pape au soir de la première journée du Concile
Vatican II aura été comme renouvelé par le premier discours de François à la
loggia de saint Pierre au soir de son élection, conversation presque intime
entre le nouvel évêque de Rome et son diocèse, commencé par un simple
« Frères et sœurs, bonsoir ».
Mais comme premiers mots publics, cela ne fait pas sérieux,
cela ne fait pas pape. Et les voix commencent à se faire entendre qui estiment
que ce pape ne va pas bien : il refuse de « faire le pape ».
Récemment, un
docteur en liturgie de san
Damaso à Madrid lui a reproché de ne pas respecter les livres liturgiques et d’avoir
lavé les pieds à tort à des femmes, qui plus est pas même chrétiennes ; c’était
le jeudi saint à la prison pour mineurs de Rome. On ne peut faire de ce geste
liturgique un acte politiquement correct. « Ce qui me préoccupe grandement
c’est que le premier à ne pas obéir aux rubriques soit le « Primat »
de notre rite, le rite romain. ».
On craint que la Renonciation de Benoît XVI et la manière
de faire de François n’attaquent la dignité du Pape. De fait, le culte de la
personnalité est ramené à un respect de la fonction. Lorsque François nomme un
comité de huit cardinaux pour l’aider, il laisse penser qu’il a besoin du
conseil des autres, qu’il n’est pas au dessus des autres, guidé directement
par l’Esprit saint.
« Déjà, certains, en Italie, s’inquiètent des
indices d’une « démolition de la papauté », accusant le pape de
« paupérisme », voire de « populisme ». Dans le quotidien
Il Foglio du 19 avril, l’expert liturgiste Mattia Rossi se fait le
porte-voix des déçus du pape François. Il voit dans le « groupe des huit
cardinaux » une sorte de « grillisme vaticanesque », similaire à
l’activité de Beppe Grillo, le leader atypique du Mouvement des Cinq Étoiles
qui récuse toute légitimité à la classe politique italienne. « Jamais un
pape ne s’est entouré d’un organisme consultatif », assène M. Rossi,
craignant une « primauté devenue horizontale, honorifique ». (F.
Mounier, La
Croix du 22 avril)
On le voit, la primauté apparaît relativisée au point qu'un canoniste reconnu a jugé bon de remettre les choses au clair. Je ne suis pas aussi certain que lui que les choses soient si simples. L'histoire de Lumen gentium du point de vue de l'équilibre entre primauté et collégialité l'atteste, de sorte que la Constitution est plus un lieu de débat, si ce n'est de conflit, qu'un texte qui exposerait un consensus reçu.
On le voit, la primauté apparaît relativisée au point qu'un canoniste reconnu a jugé bon de remettre les choses au clair. Je ne suis pas aussi certain que lui que les choses soient si simples. L'histoire de Lumen gentium du point de vue de l'équilibre entre primauté et collégialité l'atteste, de sorte que la Constitution est plus un lieu de débat, si ce n'est de conflit, qu'un texte qui exposerait un consensus reçu.
Ces critiques et bien d’autres restent marginales. Elles n’ont
rien d’étonnant dans un contexte pluralisme et de liberté d’expression, même si
leurs auteurs se feraient plutôt les défenseurs d’un discours institutionnel
maîtrisé et unanime voire uniforme, calé sur ce que dirait de façon définitive,
univoque et autoritaire un catéchisme de l’Eglise catholique, souffrant mal la
critique et la contradiction. Mais l’on n’est pas à une contradiction
près !
Laissons la polémique aux polémistes. Retenons l’expression
de deux manières de comprendre l’Eglise, et en particulier le rôle du Pape, l’une
très verticale, selon laquelle le Pape reçoit son pouvoir directement de Dieu
et commande à l’ensemble des catholiques parce qu’il est leur chef ; l’autre,
plus en phase avec la fameuse affirmation de saint Augustin ; pour vous je suis évêque, avec vous
je suis chrétien. Benoît XVI refusait par principe que l’on oppose les deux
visions. Mais je ne suis pas sûr que l’on puisse les concilier. Et ce que notre
Eglise risque d’être amenée à vivre, avec François, c’est le choix, contre l’autre
d’une des deux conceptions, que le Concile avait essayé de faire, mais que la
pratique des cinquante dernières années n’a pas réussi à asseoir. Certains
pensent qu’avec ce Pape, nous entrons dans une nouvelle interprétation du
Concile dont nous célébrons en ce moment les cinquante ans.
PS S’il est clair que la
collégialité est une priorité de François, elle apparaît comme une nécessité
pastorale ou une obligation imposée par le gouvernement de l’Eglise. Pour l’heure,
il n’est pas certain que l’on ait entendu une réflexion de type proprement
théologique. On est même étonné de certains termes peu ajustés dans sa
théologie des ministères. Refusant de faire, à juste titre, du prêtre un
intermédiaire, c’est-à-dire un fonctionnaire, François utilise le terme de
médiateur. Je ne pense pas que ce terme convienne à une théologie des
ministères compatible avec une ecclésiologie de communion mais bien d’avantage
avec l’ecclésiologie verticale. Sans dire qu’il n’y a qu’un seul médiateur,
Jésus et que s’il y a un autre Christ, ce n’est pas le prêtre en tant que
prêtre, mais tout baptisé (dont les prêtres, certes) qui par le baptême ont
revêtu le Christ.
PS 2 Le jour de l’anniversaire de son prédécesseur, François a
célébré une messe à son intention. Ce n’est pas un hasard si le Pape s’est
référé au Concile Vatican II, qui – a-t-il dit – « a été une œuvre belle
de l’Esprit Saint. Pensez au Pape Jean XXIII : il semblait un bon curé et
il a été obéissant à l’Esprit Saint », en réalisant ce que voulait l’Esprit.
« Mais après cinquante ans – s’est-il demandé – avons-nous fait tout ce
que nous a dit l’Esprit Saint dans le Concile », dans cette
« continuité dans la croissance de l’Eglise qu’a été le
Concile ? ». «Non» a-t-il répondu. « Nous fêtons cet
anniversaire » – a expliqué le Pape – en érigeant une sorte de
« monument » au Concile, mais nous nous inquiétons surtout « qu’il
ne nous dérange pas. Nous ne voulons pas changer ». Et même, « il y a
plus : certaines voix veulent revenir en arrière. Cela s’appelle “être des
nuques raides”, cela s’appelle vouloir “domestiquer l’Esprit Saint”, cela s’appelle
être “des cœurs lents et sans intelligence”».
J'aurai au moins appris qu'il exige des docteurs en liturgie !
RépondreSupprimerÇa devrait m'aider à retrouver la foi…
Mais que vous êtes compliqués ! ( C'est un vous collectif… Adressé aux scientifiques de la croyance…)
Bon, je vais aller relire l'Évangile. Des trucs du genre : « laissez venir à moi les petits enfants »…
Peut-être qu'il se disait qu'il éviterait d'en faire des docteurs es- croyances…
Ça ne semble pas être le cas…
Je dois dire que j'hésite entre le rire… Et les pleurs…
Qui veut faire l'ange fait la bête, et la simplicité évangélique qui dénonce nos mesquineries n'est sans doute pas contre l'effort d'essayer de trouver, avec toutes les arguties possibles, les chemins d'une communion parfois si difficile. Je ne les méprise pas.
SupprimerQuant aux docteurs en liturgie, si la loi de la prière est règle de la foi, alors je comprends qu'il faille quelques doctes.
Un concile épuré et renouvelé?
RépondreSupprimerSuite à mon précédent commentaire: enfin, je veux dire que le concile renouvelé commence peut-être maintenant.
RépondreSupprimerMerci de cette précision, je ne comprenais pas vraiment votre remarque. Je ne sais si je dirais tout à fait cela.
SupprimerPaul VI pensait que le concile avait été un concile ecclésiologique. Et l'on comprend pourquoi. Mais cinquante ans après, compte-tenu certes des obstacles mis à une vraie pratique de la collégialité, on voit les choses sans doute autrement. Ce n'est pas que parce que l'on a refusé d'être docile à l'Esprit que l'interprétation du concile a fini par être bloquée. Le discours de B XVI est peut-être plus le révélateur que la cause du blocage.
Et je ne suis pas certain que ce nouveau Pape saura choisir une théologie des ministères adaptée à l'ecclésiologie que beaucoup appellent, ce qu'il est convenu d'appeler une ecclésiologie de communion.
Le blocage de B XVI c'est celui du statut de la vérité dans un monde pluraliste. Les implications sont notamment ecclésiologiques mais pas seulement. Si c'est cela le vrai chantier du concile, plus désigné que véritablement et explicitement voulu, alors une réforme ecclésiologique, et encore moins de la curie, ne permettra pas de vivre un "concile renouvelé" comme vous dites.
Pour moi c'est un mystère que le Professeur Ratzinger n'ait pas vu cela. Comment une telle intelligence a-t-elle pu passer à côté ?