Je vais encore prononcer une homélie qui va contrecarrer ce
que l’on dit généralement. Non que ce soit faux, encore qu’il faudrait s’en
assurer, mais que c’est trop étroit, et que dans un espace rétréci on ne peut
penser ni vivre grand. Or c’est bien à cela que nous invite la foi en nous
ouvrant les grands espaces de la vie. Nous n’allons tout de même pas penser
trop petit à propos de l’eucharistie. Et pourtant...
Une cinquantaine d’enfants vont communier pour la première
fois. Depuis des mois, ils se préparent à cette fête et avec les catéchistes nous
avons tenté de dire ce que signifie une communion, ce qu’était l’eucharistie. A
chacun d’entre nous, il faudrait demander ce que nous disons de l’eucharistie.
S’agit-il de recevoir un morceau de pain, une hostie, et de
boire à la coupe ? Oui, bien sûr. Mais, excusez du peu, il faut surtout
répondre non. Car on ne saurait réduire l’eucharistie aux saintes espèces, ce
que l’on fait trop souvent. Réduire l’eucharistie, de la part de ceux mêmes qui
communient, voilà qui est sacrilège. L’eucharistie ne peut être réduite à un
culte, à une dévotion ; elle est le mouvement même de la vie chrétienne.
Comment réduit-on l’eucharistie ? On dit que lorsque
l’on a communié, il convient de faire action de grâce, de prier en silence.
J’ai même assisté à une messe de première communion où l’on a emmené les
enfants dans une chapelle pour qu’ils puissent se recueillir pendant la
distribution de la communion aux autres. Mais la communion n’est-elle pas
communion ? Peut-on quitter l’assemblée de ceux qui reçoivent
l’eucharistie quand on vient de la recevoir ? Cela vaut d’ailleurs
pareillement quand on part tout de suite après avoir reçu l’hostie, laissant là
le corps du Christ, l’assemblée, que l’on croit pourtant avoir reçu dans
l’hostie. Lorsque st Augustin fait sa catéchèse eucharistique, il dit aux
chrétiens qui voient le pain et le vin sur l’autel que c’est leur propre
mystère qu’ils contemplent.
Quand vous avez communié, quand vous allez communier,
regarder les autres en faire autant, religieusement, dévotement. Qui a-t-il de
plus grand que de voir notre assemblée se nourrir de son propre mystère, le
corps de son Seigneur ? C’est à elle qu’est dit : reçois ce que tu es, le corps du Christ,
et non à chacun d’entre nous. Nous ne sommes pas le corps du Christ à nous tout
seul, c’est encore l’individualisme qui frapperait, jusque dans nos
rangs !
Plus encore, on ne remercie pas le Seigneur pour l’hostie
reçue, on ne fait pas eucharistie, action de grâce, pour le pain reçu. Le pain
est eucharistie, il s’appelle eucharistie. Je réduis l’eucharistie à faire de
ce pain ce que le Seigneur me donne. Je réduis le don même de Dieu. Dieu ne
donne pas l’hostie ; l’hostie est le sacrement de Dieu même qui se donne.
Nos vies de chrétiens sont appelées à être converties en vie
eucharistiques, en vie de merci. Le chrétien est celui qui comprend sa vie
comme la réponse, le remerciement pour l’amour du Dieu qui le premier nous a
aimés. Le chrétien fait de sa vie un merci, une eucharistie au Dieu qui le
premier aime. Pour dire merci, nous tendons la main. Comment mieux remercier
que de reconnaître, être reconnaissant, en recevant encore ? C’est ainsi
que nous remercions, que nous faisons eucharistie.
Alors le texte d’évangile d’aujourd’hui (Lc 7, 11-17), la
résurrection d’un jeune, convient particulièrement pour la première communion
d’enfants. Car ce que nous recevons en l’eucharistie déposée dans nos mains,
c’est la possibilité de dire le merci en forme duquel nous voulons façonner nos
vies, pour la vie reçue, sauvegardée, sauvée, ressuscitée.
Le rapport de notre texte, un récit de résurrection, avec
l’eucharistie est évident. Nous avons dans la vie ressuscitée que Dieu offre le
type même de ce qui nous fait exister, l’expression de l’amour du Dieu qui le
premier nous a aimés et dont nous lui rendons grâce, pour lequel nous faisons
eucharistie. Vous le voyiez, l’eucharistie, ce ne sont pas les saintes espèces,
parce que parler ainsi, c’est trop peu.
A moins qu’il ne faille dire, à l’inverse, que c’est
l’eucharistie qui nous parle de la résurrection, que recevoir le corps du
Seigneur en notre chair, c’est dire la grandeur de notre chair, de notre vie,
de notre vocation, c’est affirmer que nous sommes déjà ressuscités avec le
Christ. L’action de grâce, la vie eucharistique, la vie chrétienne, affirme notre
destin, la vie, quoi qu’il en soit de la mort. Si nous communion au corps du
Seigneur, comment ne vivrions-nous pas encore et toujours avec lui ?
« S’il n’y a pas de salut pour la chair, alors le
Seigneur ne nous a pas non plus rachetés par son sang, la coupe de
l’eucharistie n’est pas une communion à son sang et le pain que nous rompons
n’est pas une communion à son corps. […] Si la coupe qui a été mélangée et le
pain qui a été confectionné reçoivent la parole de Dieu et deviennent l’eucharistie,
c’est-à-dire le corps et le sang du Christ, et si par ceux-ci se fortifie et
s’affermit la substance de notre chair, comment [certains] peuvent-ils
prétendre que la chair est incapable de recevoir le don de Dieu, consistant
dans la vie éternelle, alors qu’elle est nourrie du sang et du corps du Christ
et qu’elle est membre de celui-ci, comme le dit le bienheureux Apôtre
[…] : « Nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et
de ses os » ? (Irénée de Lyon)
Oui, "nous sommes le Corps du Christ" chantons-nous,et c'est vrai,sauf que nous avons absolument besoin de nous nourrir en recevant le Corps du Christ présent dans l'Eucharistie et , puisque vous êtes prêtre lorsqu'au moment de la communion vous dîtes"le Corps du Christ" à chaque communiant,ce n'est pas au" Corps du Christ" que vous le dîtes,mais au mendiant de l'amour de Dieu qui se présente ainsi devant vous.
RépondreSupprimerPour moi cette affirmation est à la fois fausse et exacte
Excusez du peu, ce n'est pas (d'abord) un chant qui dit que nous sommes le corps du Christ, mais saint Paul.1 Co 12,27 : "Vous êtes, vous, le corps du Christ, et membres chacun pour sa part." Sauf erreur de ma part, jamais dans les Ecritures l'expression "Corps du Christ" n'est employé pour l'eucharistie.
SupprimerQuant à savoir ce que désigne celui qui distribue la communion lorsqu'il dit "le corps du Christ", le pain ou le communiant, je crois qu'il ne faut pas, contrairement à ce que vous faites, vouloir choisir l'un contre l'autre. Je cite Augustin : "Ce pain que vous voyez sur l’autel, sanctifié par la parole de Dieu, est le corps du Christ. Ce calice, ou plutôt ce qu’il contient, sanctifié par la parole de Dieu, est le sang du Christ. Par eux, le Seigneur Christ a voulu nous confier son corps et son sang, qu’il a versé pour nous en rémission des péchés. Si vous les recevez bien, vous êtes ce que vous recevez. L’Apôtre dit en effet : « nous ne sommes tous qu’un seul pain et un seul corps. » C’est ainsi qu’il explique le sacrement de la table du Seigneur." sermon 227.
Ou bien, encore plus radical, refusant de distinguer les saintes espèces et l'assemblée, le sermon 272 : "Veux-tu savoir ce qu’est le corps du Christ ? Ecoute l’Apôtre ; voici ce qu’il écrit aux fidèles : « Vous êtes le corps du Christ et ses membres » (1 Co 12,27). Mais si vous êtes le corps et les membres du Christ, c’est votre propre mystère qui est posé sur la table du Seigneur, vous recevez votre propre mystère. A ce que vous êtes, vous répondez Amen, et en répondant, vous souscrivez. Tu entends en effet : « le corps du Christ » et tu réponds : « Amen », Sois membre du corps du Christ, pour que ton Amen soit vrai."
Bien sûr, vous pouvez conseiller à Augustin d'aller refaire sa théologie pour parler comme vous. Mais j'ai bien peur qu'il n'en puisse rien faire...