Qui sont les pharisiens ? Notre vulgate en a fait les
ennemis de Jésus, les méchants d’une histoire à la Candy en face du gentil
Jésus. C’est aussi puéril que cela cache mal la perspective antisémite de nos
lectures !
Les pharisiens sont d’abord des gens bien, des gens
observant, on dirait aujourd’hui des pratiquants réguliers, de ceux qui
défendent la loi, une lecture intégrale de la loi, sans beaucoup de
concessions, non qu’ils soient plus intolérants que la moyenne, mais que l’on
ne transige pas avec la parole et la vérité de Dieu.
Jésus leur ressemble sous certains aspects. Il partage avec
eux un respect de la loi plus important que la pratique des sacrifices. Comme
eux, il est laïc et ne semble pas avoir les prêtres en grande estime ; on
en trouve un écho dans la parabole du bon samaritain. Jésus porte comme les
pharisiens des franges à son manteau, il fréquente comme eux la synagogue
chaque sabbat. Comme eux, il comprend la nécessité d’interpréter la Loi de
Moïse ; des nouveautés en résultent comme l’affirmation d’une résurrection
personnelle des morts. Jésus est si proche d’eux qu’il en connaît beaucoup,
qu’il en rencontre beaucoup. Ainsi, dans l’évangile de ce jour est-il invité
chez Simon (Lc 7,36 – 8,3).
Plusieurs d’entre eux ont été disciples de Jésus, puis l’ont
laissé tombé en cours de route ou sont allés jusqu’au bout avec lui. On
connaît le nom de Nicodème. Ils sont convaincus que la loi de sainteté donnée
par Moïse est le chemin de la vraie vie, et que l’observation de la loi est
chemin de sainteté.
Des différences existent certes. Ainsi Jésus ne respecte pas
scrupuleusement le sabbat, Jésus n’a pas peur de se souiller à se mélanger avec
les pécheurs, il ne jeune guère, semble-t-il. Si les pharisiens introduisent la
tradition de leurs Pères comme critère de lecture des Ecritures, Jésus ne se
réfère qu’à l’amour inconditionnel de son Père pour tous.
Ainsi donc, si l’on veut comprendre quelque chose à ceux que
les évangiles appellent les pharisiens, il faut penser ces gens comme des gens
bien, comme des gens sérieux et responsables dans la manière de mener leur vie
et de pratiquer leur religion. La religion n’est pas une affaire cultuelle,
elle prend toute l’existence, de l’intelligence des Ecritures aux détails de la
vie quotidienne, parce que la sainteté de Dieu et la vérité concernent la vie
tout entière. Non seulement Jésus leur ressemble beaucoup, mais nous aussi, si
l’on veut bien accepter une transposition culturelle et historique.
Les évangiles, Matthieu notamment, développent un discours
très anti-pharisien. Il y a les fameuses invectives : Malheur à vous pharisiens hypocrites ! L’opposition de Jésus
aux pharisiens est grandement reconstituée dans la mesure où les
pharisiens ne sont dans doute pas plus mauvais que les autres, ils ne sont pas
tous, proportionnellement pas plus que les autres, amoureux de l’argent,
amateurs des premières places et des honneurs, préoccupés de l’apparaître
plutôt que de l’être.
C’est qu’avec les pharisiens, les évangélistes tiennent le
type même du personnage opposé à l’évangile. Et cela est d’autant plus important
que le pharisaïsme au sens évangélique ne désigne pas ce groupe de personnes
que sont les pharisiens historiques, mais une attitude religieuse incompatible
avec la gratuité de l’amour de Dieu que Jésus proclame. Si l’on parle des
pharisiens dans l’évangile, c’est parce qu’ils existent dans la communauté et
non pas seulement comme une trace archéologique. Le pharisaïsme concerne aussi
les disciples de Jésus, nous concerne aussi. Les pharisiens de l’évangile sont
les disciples de Jésus qui cependant ne lâchent pas le morceau de l’interprétation
traditionnelle de la religion. Ils suivent Jésus, mais ne sont pas prêts à
entrer dans le régime de la gratuité, (qui est condamnation de la religion, il suffit de relire Paul), ce qu’exprime allégoriquement l’amour de
l’argent, des honneurs et de la reconnaissance du mérite. Notre pharisien Simon
ne comprend justement pas cette gratuité de l’amour, aussi sympathique soit-il
à inviter Jésus.
Il ne s’agit pas de faire bien, il s’agit d’aimer. Et l’hypocrisie
pharisienne est d’abord tromperie du pharisien pour lui-même. Il croit qu’à
faire bien, il n’y a pas besoin d’aimer. Regardez notre Simon, sans geste d’amour
pour Jésus, sans l’once d’un respect pour cette femme. Le contraire de la sainteté, ce n’est pas le vice, mais la
vertu. Simon est vertueux, mais pas saint. Simon est vertueux mais n'aime pas. Et nous ? Et notre Eglise ? La vertu nous empêche d’être saints
parce que nous croyons qu’à être des gens bien, nous sommes les bons disciples
de Jésus. On est au contraire disciples de Jésus qu’à une condition, la
reconnaissance du sans condition de l’amour du Père. Cet amour inconditionnel
ne se manifeste jamais autant que dans l’accueil des pécheurs ! Voilà
pourquoi les prostituées nous précèdent dans le Royaume. Voilà pourquoi la
femme est disciple, plus que Simon.
L’inconditionnalité de l’amour du Père remet en cause tout
le système de la religion et des échanges avec Dieu, les sacrifices du temple
ou les petits sacrifices de tous les jours, le sens prétendument salvifique de
la souffrance et des privations, la compréhension de la mort même de Jésus
comme un sacrifice. Et cette remise en cause est telle qu’elle suscite une
violence inouïe, jusqu’à l’assassinat de Jésus.
Aujourd’hui comme hier les gens religieux sont agressés par
l’évangile. Il n’y a que les pécheurs à se réjouir de ce que Jésus se laisse
toucher par les pécheurs, se laisse caresser les pieds par les cheveux d’une
prostituée. Cette violence va de la mort de Jésus à ce que, je crois, nous
vivons comme tensions dans notre Eglise.
Simon, J’ai quelque chose à te dire. Simon, c’est étonnamment le nom du premier disciple, le nom de l’Eglise qui n’est pas encore disciple, qui doit sans cesse se convertir en renouvelant sa façon de penser, qui doit sans cesse quitter la religion pour aller à l’évangile. Puissions-nous répondre, en vérité, et non seulement en parole : parle maître, c’est-à-dire, comme Samuel, parle Seigneur, ton serviteur, ta servante, écoute.
Simon, J’ai quelque chose à te dire. Simon, c’est étonnamment le nom du premier disciple, le nom de l’Eglise qui n’est pas encore disciple, qui doit sans cesse se convertir en renouvelant sa façon de penser, qui doit sans cesse quitter la religion pour aller à l’évangile. Puissions-nous répondre, en vérité, et non seulement en parole : parle maître, c’est-à-dire, comme Samuel, parle Seigneur, ton serviteur, ta servante, écoute.
Tout simplement lumineux....
RépondreSupprimerCela m'éclaire sur bien des choses...