Comment parler de Jésus ? C’est la question à laquelle
Paul a été confronté. « Mon langage, ma proclamation de l’Evangile,
n'avaient rien à voir avec le langage d'une sagesse qui veut convaincre. » (1 Co 2,1-5)
Comment parler de Jésus s’il ne s’agit pas de convaincre, s’il
l’on rejette le langage d’une sagesse qui
veut convaincre ? Serait-ce que Paul refuse les arguments ? S’agit-il
d’une opposition à la raison ? Mais alors à quoi recourir pour annoncer
l’évangile ? Au sentiment, comme on le dit parfois ? Ainsi l’évangile
relèverait-il du sentiment ?
Nous ne sommes pas loin de le penser, dans une société où il
n’y a pas de place pour la foi parmi les arguments de la science, notre
sagesse. Si la foi ne peut être démontrée scientifiquement, mieux vaut déserter
le champ de l’intelligence et se réfugier dans ce que je ressens, dans la
subjectivité d’une expérience spirituelle. Or « la foi est acte de
l’intelligence » écrit Thomas. Ce n’est évident pas avec les pieds que
l’on croit ! Si Dieu s’adresse à l’homme, il s’adresse pour le moins aussi
à son intelligence.
Ainsi la foi du charbonnier, la foi sans intelligence, n’est
possible que pour le charbonnier ! Les autres, tous ceux d’entre nous savent
penser un minimum, finalement tout le monde, nous nous devons de comprendre notre
foi à la hauteur de ce à quoi notre intelligence s’attèle ordinairement ;
autrement, sous prétexte de simplicité, nous ne ferions que mépriser la foi et
l’évangile.
Et cependant, à en croire Paul, la foi n’est pas affaire
d’arguments. Cela se comprend aisément. Nous n’allons pas justifier la foi par
des arguments alors que c’est la foi qui rend juste, qui justifie ! Nous
n’allons pas fonder la foi alors que le seul fondement, c’est la foi. Voilà
pourquoi Paul, tout comme nous, ne peut proclamer l’évangile avec le langage d’une sagesse qui veut convaincre. Nous
devons renvoyer dos-à-dos rationalisme et anti-intellectualisme, démonstration
et sentiments.
Pour la seconde fois se pose la question, à quoi recourir pour
annoncer l’évangile ? A la révélation comme on le dit parfois ? Non
seulement ce n’est pas ce que dit Paul, mais la réponse semble plus fragile
qu’il y paraît. C’est quoi, la révélation ? Le mot est d’usage récent.
C’est Vatican II en 1869-70 qui le définit officiellement pour la première
fois, empêtré dans des oppositions notamment au déisme, au rationalisme et au
fidéisme. La réponse à tous ces -ismes est prise au piège de leur
logique !
La révélation n’est pas une connaissance, un contenu de
vérités, une théorie à l’instar de ces fameux -ismes. Elle est l’action de Dieu
qui se révèle, et que révèle-t-il sinon lui-même. La révélation, c’est donc
Dieu lui-même en tant qui se révèle, se donne à connaître. Elle est l’expression
de ce que Dieu est à l’origine, à l’initiative de la relation avec l’homme :
lui le premier nous a aimés.
Ainsi, dire que l’on recourt à la révélation pour annoncer
l’évangile ne signifie pas que nous aurions trouvé des arguments supérieurs à
la raison ! Cela signifie que rien ne justifie la foi, aucun argument ne
peut fonder la foi, puisque la foi est fondée sur la libre proposition première
de Dieu d’une alliance, puisque c’est Dieu qui justifie. Si Paul refuse de
recourir aux arguments qui convainquent, c’est parce qu’il est impossible, pour
fonder la foi, de substituer quoique ce soit ‑ un argument, les
sentiments, voire un savoir surnaturel ‑ à l’initiative de Dieu qui est
première, à Dieu qui, le premier nous a
aimés.
Le problème, c’est que la révélation entendu en ce sens, comme
acte de Dieu qui se donne à connaître, comme Dieu lui-même qui s’offre, ne peut
remplacer les arguments du discours. Dieu n’est pas un élément du
langage ! Recourir à Dieu, à l’Esprit et sa puissance pour annoncer
l’évangile, oui, c’est bien ce que dit Paul. Mais loin de remplacer les
arguments, cela fait exploser le discours. Il n’est plus possible de parler.
C’est comme dans l’amour et l’amitié. Par exemple dans le
deuil. Que voulez-vous dire ? Quels arguments ? Reste à serrer
l’autre dans ses bras. Serions-nous revenus aux sentiments ? On n’en sort
pas plus que l’on ne sort de l’intelligence. Le langage de la croix, dont parle
Paul quelques versets plus haut est la croix du langage, le langage de l’amour
n’est ni sentiment, autrement il ne dure guère, ni argument, car jamais je ne
peux dire pourquoi je l’aime.
Si l’annonce de l’évangile de repose pas sur la conviction
de la sagesse humaine, ce n’est pas pour qu’on la fasse reposer sur la sagesse
divine, car pareille sagesse nous est inaccessible, ou pour le dire comme Paul,
il n’y a pas de sagesse divine, seulement folie. Ce que nous voudrions appeler
sagesse divine est folie.
Quelle est cette folie ? L’amour, le service, la
faiblesse. Si l’annonce de l’évangile ne repose pas sur la conviction de la
sagesse humaine, il ne nous reste qu’à laver les pieds du prochain, sauvegarder
toujours la fraternité, aimer comme Dieu aime. « Tous vous reconnaîtront
pour mes disciples à l'amour que vous aurez les uns pour les autres. »
Seul l’amour de ce monde comme Dieu l’a aimé est puissance de Dieu. C’est folie
d’aimer un monde pécheur, un monde qui d’après certains d’entre nous va à
l’encontre des valeurs évangéliques… C’est cela la puissance de Dieu.
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