Nous arrivons au terme du chapitre 5 de Matthieu, première
partie du discours sur la montagne, loi nouvelle donnée par le nouveau Moïse,
loi de sainteté. Dimanche dernier, nous entendions une première série de
« Vous avez appris… et bien moi, je vous... ». Nous écoutons
aujourd’hui la suite qui culmine dans l’exigence de sainteté : « Vous donc, vous serez
parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Il n’y avait pas de
raison de couper ce texte en deux, si ce n’est que l’évangile de la semaine
dernière était déjà fort long par rapport à ce que les liturges pensent que le
paroissien de base est susceptible de supporter.
Ainsi, après les Béatitudes, que nous n’avons pas entendues
puisque le dimanche en question tombait le jour de la chandeleur, après la maison
à construire sur le sable, après les premiers « Vous avez appris… et bien
moi, je vous dis… », résonne le fondement de la loi de sainteté,
« Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est
parfait. »
Deux ou trois versets relient explicitement le discours de
Jésus sur la Montagne à la loi donnée à Moïse. Nous les avons lus dimanche
dernier : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la loi ou les prophètes :
je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » L’accomplissement de la loi
est exigence supplémentaire par rapport à la loi, refus de répondre à la
violence en préférant être lésé plutôt que de rendre coup pour coup ;
amour même des ennemis.
Jésus pousse la loi tellement loin que l’on se demande comment nous
pourrons y satisfaire. Déjà nos pères n’ont pas su vivre la loi mosaïque, et
ils n’étaient pas pires que nous. Nous ne saurions vivre selon la loi des pères.
Alors comment vivre la loi nouvelle ?
En poussant le respect de la loi jusqu’à exiger la sainteté, Jésus rend la
loi impossible. Peut-on, doit-on en outre, confondre sainteté et perfection
morale ? Et que celui qui est parfait comme le Père céleste me jette la
pierre s’il trouve que je baisse les bras un peu vite devant une exigence
tellement démesurée. Quant aux autres, qu’ils reconnaissent leur incapacité à
vivre selon la loi de sainteté avant de s’étonner voire de se scandaliser que
l’on confesse que l’accomplissement de la loi conduit à l’impossibilité de la
loi, à sa disqualification.
Celui qui accomplit la loi la disqualifie. Voilà qui n’est pas le moindre
des paradoxes ! Il l’accomplit parce que l’on ne va tout de même pas
piétiner l’exigence morale. Il la disqualifie parce que pour l’homme, c’est
impossible. Il accomplit la loi en la menant à son extrémité, il la disqualifie
parce que, égalant la morale à la sainteté, il nous met sous le nez notre
manquement à la loi comme à la sainteté.
La justice est un gain considérable sur l’animalité de l’homme ; elle
ne sortira pas l’homme de son animalité. Le respect de la loi morale est un
gain inestimable pour l’humanité, et Dieu sait que chacun d’entre nous y
demeure rétif ! Mais le respect de la loi échoue à conduire l’homme à la
sainteté. La loi est pour la mort, comme dit Paul.
La prédication de Jésus, en jetant l’exigence morale à la limite de sa
logique est critique du pharisaïsme, entendons de la pensée selon laquelle nous
pourrions être en règle avec nous, les autres et Dieu. Il ne s’agit pas de
culpabiliser l’homme pour mieux le ferrer et l’entraîner dans les rets de la
religion. Il s’agit seulement de reconnaître que nous n’en avons jamais fini
avec la mauvaise conscience. Le contentement n’exprime que le déni de la
mauvaise conscience et tout déni est d’abord affirmation.
La prédication qui hyperbolise la loi s’attaque au pharisaïsme qui est le
propre du religieux, de la relation avec le sacré ou le divin. Mais ce sacré ou
ce divin, qu’ont-ils de commun avec Dieu ? La prédication de Jésus nous
déloge du religieux et ainsi est-elle folie pour les Juifs ! Il s’agit de
renvoyer dos-à-dos la religion et l’athéisme pour laisser entrer dans le monde
de l’homme qui vit fort bien sans Dieu, la gratuité d’un appel, la vocation à
la sainteté comme le Père est saint, la vocation à la divinité.
Mais il n’y a pas assez ou trop dans la critique du pharisaïsme. Jésus
serait-il venu pour critiquer ? Serait-il même venu pour mettre en crise,
lui qui est venu non juger mais donner la vie, parce qu’il a tant aimé ce
monde.
Alors, il faut entendre la relégation de la loi, cependant accomplie, comme
chemin de Jésus. L’homme, et Jésus lui-même, ne peut tenir le bon discours sur
Dieu parce que Dieu n’est pas objet de connaissance et que la rencontre du
Vivant déjoue et l’expérience et son récit. Il faut inventer une langue qui ne s’enferre
pas dans les impasses du savoir ou de la religion. Paul en
appelle à la folie de Dieu qui déjoue la raison des grecs et la religion des
Juifs. Il faut pour Jésus échapper au bon sens des uns comme à la logique de la
bonne action des autres.
L’extravagance ou l’outrance dénonce les « y’a qu’à », « faut qu’on ». Par l’accomplissement de la loi qu’il disqualifié, Jésus ménage le chemin de ce qui est extravagant, outrancier, prodigue, l’amour du Père pour les hommes. Il est toujours possible de ramener l’évangile à une sagesse, à une morale ou à une religion, mais l’on rate la visée de Jésus. C’est même de l’avoir refusée qui a conduit Juifs et Romains à le mettre en croix. Sur ce chemin de l’extravagance de l’amour, y compris des ennemis, il y aurait de quoi devenir parfait comme le Père céleste.
L’extravagance ou l’outrance dénonce les « y’a qu’à », « faut qu’on ». Par l’accomplissement de la loi qu’il disqualifié, Jésus ménage le chemin de ce qui est extravagant, outrancier, prodigue, l’amour du Père pour les hommes. Il est toujours possible de ramener l’évangile à une sagesse, à une morale ou à une religion, mais l’on rate la visée de Jésus. C’est même de l’avoir refusée qui a conduit Juifs et Romains à le mettre en croix. Sur ce chemin de l’extravagance de l’amour, y compris des ennemis, il y aurait de quoi devenir parfait comme le Père céleste.
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