Au tout début de son ministère public, Jésus pose un acte à
la prétention folle. Il rassemble douze hommes pour être avec lui. Jusque là,
rien de particulièrement extraordinaire. Mais il rassemble ainsi,
symboliquement, le peuple de Dieu dispersé.
Qui est Jésus pour rassembler les enfants de Dieu
dispersés ? Pour qui se prend-il celui qui pose le signe de la fin des
temps ? Pour Dieu-même ! Qui, sinon Dieu seul, peut pardonner les
péchés, interrogent les gens. Qui, sinon Dieu seul, peut rassembler dans l’unité
les enfants de Dieu dispersés, devons-nous interroger pareillement. L’appel des
Douze n’est pas une affaire de vocation ou d’organisation de l’Eglise. C’est une
affirmation christologique par laquelle Jésus lui-même sans doute découvre
jusqu’où le mène sa mission, ce qu’elle signifie, y compris pour sa propre
identité.
Une trentaine de mois plus tard, alors que Jésus est arrêté,
tous fichent le camp. Pas un seul ne reste si l’on en croit les synoptiques. C’est
la débandade. Le corps des Douze, le corps des disciples représenté métonymiquement,
est un cadavre en décomposition avancée alors que le tombeau de Jésus vient seulement
de se refermer sur son cadavre.
On comprend que les deux disciples qui font route vers
Emmaüs, Cléophas et Simon, repartent tout tristes et que Pierre s’en retourne à
la pêche. Il faut bien manger. Il faut surtout se faire discret, ne serait-ce
que parce que l’on a honte de s’être fait avoir à croire l’annonce du Royaume.
Sans parler de l’immense peine de se sentir abandonnés, trahis par l’ami, celui
qu’ils aimaient tant. Ils ne lui reprochent pas son échec ; après tout,
eux aussi l’ont trahi !
Mais voilà, la décomposition, aussi avancée soit-elle, n’est
pas totale. Quelques ligaments tiennent encore ensemble quelques uns des
membres de ce corps. Ils se retrouvent et dans cette pièce scellée, fermée plus
que le tombeau retrouvé vide, la vie reprend. L’Esprit est insufflé sur ces
bouts de chair et d’os. Ezéchiel avait prophétisé cela. Je vais ouvrir vos tombes et je vous en ferai sortir, ô mon peuple ;
exactement comme lors de la traversée de la mer, en sortant d’Egypte, la
traversée de la mort en sortant du tombeau. Relisez la vision des ossements
desséchés du chapitre 37. C’est stupéfiant !
L’Esprit anime le cadavre en décomposition qu’est le collège
des Douze. Dans la résurrection de Jésus, son corps, désormais les Douze et
leurs compagnons, comprennent enfin ce que signifie être le nouveau peuple de
Dieu, rassemblé avec et au-delà d’Israël, s’adjoignant les païens. Et le
souffle de ce corps, c’est l’Esprit. « Recevez l’Esprit saint », dit
notre évangile (Jn 20,23). Je cite les versets 9 et 10 d’Ezéchiel : « Il
me dit : "Prophétise à l’esprit, prophétise, fils d’homme. Tu diras à
l’esprit : ainsi parle le Seigneur Dieu. Viens des quatre vents, esprit,
souffle sur ces morts, et qu’ils vivent." Je prophétisai comme il m’en
avait donné l'ordre, et l’esprit vint en eux, ils reprirent vie et se mirent
debout sur leurs pieds »
Et nous voilà ce corps, comme dit Paul pour parler de l’Eglise.
Nous voilà ici, vivants, aujourd’hui, habités par l’Esprit, c’est-à-dire
envoyés annoncer la paix que le Seigneur lui-même avait donnée lorsqu’il était
entré dans le Cénacle réformé en tombeau. Nous ne sommes pas chrétiens pour
nous. La preuve, nous avons mission de lier et de délier. Non pas les prêtres,
mais le corps vivant, nous comme corps vivant du ressuscité, du souffle de l’Esprit,
pouvons lier les forces de la mort et délivrer la vie de ses entraves.
Le croyons-nous ? « Sans le Saint-Esprit, personne
n’est capable de dire : "Jésus est le Seigneur". » L’Esprit
anime-t-il notre communauté ? Avons-nous ensemble l’audace de libérer la
vie et de terrasser la mort, non pas nous certes, mais en nous l’Esprit qui donne la vie.
Notre profession de foi commence où tout s’arrête : l’absence
du corps de Jésus oblige le corps des disciples à laisser l’Esprit l’animer.
Notre profession de foi commence ou tout s’arrête et il n’y a plus personne
pour annoncer la paix, seulement quelques nostalgiques de ce type si bien qu’était
Jésus. Alors vaine est notre foi, c’est pour rien que nous avons cru et nous
sommes les plus malheureux des hommes, comme Cléophas et Simon.
Nous pouvons passer à la foi, traverser la mer et la mort, annoncer la paix à toutes
les nations, rassembler dans l’unité les enfants de l’humanité divisée. Ferons-nous
mentir Ezéchiel ou bien notre Eglise se mettra-t-elle debout sur ses pieds pour répondre à la mission de Jésus. « La
paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous
envoie. »
Sublime!
RépondreSupprimerMerci!
merci, mais dois-je publier votre remerciement ?
SupprimerFinalement, vos critiques sont moins dangereuses. Je dis cela sans ironie, au premier degré.
Ceci dit, merci.