« Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que
notre cœur, et il connaît toutes choses. » (1 Jn 3, 20)
C’est curieux cette affirmation de Jean, « si notre cœur nous accuse » ou nous
condamne ». Serait-il possible que notre cœur ne nous condamne pas ?
Serait-il possible que nous ayons la conscience tranquille ? Existe-t-il
parmi nous des personnes qui n’ont rien à se reprocher ? « Si notre
cœur nous condamne » il en a de bonnes, Jean !
Cela me fait penser à une parabole dans un des romans d’Elie
Wiesel, Les juges. Un vol New-York
Tel-Aviv. L’avion est obligé de se poser en catastrophe. Quelques passagers
sont hébergés dans ce qui deviendra vite un piège, une prison. Un juge annonce
que le coupable qui se trouve parmi eux doit se dénoncer, sans quoi quelqu’un
sera exécuté.
Qui est ce juge pour juger, condamner, châtier ?
Faut-il trouver le coupable, pour qu’il avoue et libère ainsi les autres ?
Tous se feraient alors enquêteurs, juges ; à terme tous condamneront et
châtieront. A moins qu’en fin de compte, chacun ait raté quelque chose dans sa
vie, dans sa relation ou son absence de relation aux autres. Tous sont
coupables au moment même où il se fait son propre juge.
Personne n’est à la hauteur de ce que la vie exige de lui.
Et il faut une bonne dose de mauvaise foi pour ne pas s’accuser. Comment le
sentiment de culpabilité ne nous habiterait-il pas ? Le mal, c’est celui
que nous avons commis, en parole, par
action ou par omission. Le mal, c’est aussi celui que nous avons subi ;
c’est terrible, mais la victime se sent responsable du mal subi. Il y a encore
le mal dans lequel nous sommes pris, qui nous dépasse mais dont nous sommes
solidaires, responsables : la faim dans le monde alors que nous sommes
dans l’abondance, les injustices, etc. C’est ce que l’on appelle le péché
originel, non un truc qui nous viendrait des premiers parents, mais une faute
qui nous rattrape, nôtre depuis toujours, sans que nous n’ayons pourtant rien
fait.
On dira que la culpabilité est morbide voire mortifère. Assurément.
Le sentiment de culpabilité nous enchaîne plus que notre faute. Elle, on peut
arriver à l’oublier, à vivre comme si de rien n’était. Toute vérité, y compris
sur soi, n’est pas bonne à dire. « Le premier qui dit la vérité, il dot
être exécuté » semble répondre Guy Béart à Wiesel. Mais la culpabilité,
chassez-là d’un côté, elle revient toujours pas un autre.
Ainsi donc, notre cœur nous condamne. Je ne parviens à
entendre le « si notre cœur nous condamne » que comme une clause de
style et j’entends puisque notre cœur
nous condamne.
Que faire ? On pourra, on devra refuser à notre cœur de
nous juger. Non pour faire comme si de rien n’était, mais, le commandement
« tu ne jugeras pas » vaut aussi pour nous-mêmes. Qui sommes-nous
pour juger, pour nous juger ? Rejeter le mal, dire non au mal, le dénoncer
est aussi fondamental que de se garder de juger les frères, même ennemis, et soi-même.
On peut être à soi-même son pire ennemi. La faute originelle est dite dans le
mythe comme la prétendue possibilité de discerner le bien et le mal. Nous ne
sommes plus des innocents au deux sens de l’expression : nous sommes
informés, et nous sommes coupables.
Mais refuser de juger, ne nous libère pas encore, ne pose
pas notre cœur en paix. Comment le serait-il, lui qui n’a pas aimé, qui est
pris dans le mal ?
En appeler à Dieu pourra paraître la solution magique, Deus ex machina. Et pourtant, n’est-ce
pas effectivement divin ce qui libère et apaise ? L’autre seul peut nous
absoudre, nous délier, nous regarder droit dans les yeux pour nous aimer, quoi
que nous ayons fait, ou dit, ou omis. C’est divin, je veux dire, c’est
créateur, cela refait, cela sauve, peut-être pas comme au premier jour, mais… mieux
encore.
Faut-il que ce divin soit Dieu lui-même ? Je le crois,
je le pense. Ma faute est une chose, mais elle est redoublée, elle s’enkyste dans ce qui me dépasse, notre faute. Notre
faute, autre superbe roman, de Frédéric Boyer, me submerge, nous submerge,
nous enchaîne, les autres et moi. Avec ma faute, j’entre dans le grand pacte
avec le mal. Et là, qui aura le cœur assez grand pour nous regarder dans les
yeux tous ensemble et nous aimer encore ?
« Devant Dieu, nous aurons le cœur en paix car, si
notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît
toutes choses. »
Culpabilité - jugement - châtiment - feu éternel…
RépondreSupprimerÇa fonctionne donc toujours autant…..
Se condamner parce qu’on n’a pas la conscience tranquille est mortifère. Certains se suicident de ce schéma inculqué socialement et par les religions.
Le coeur en paix est dans l’acceptation de ce qu’il est convenu d’appeler « la condition humaine ». Cela suppose l’humilité d’accueillir et de porter ses manquements plus ou moins intenses, profonds et ayant causés plus ou moins de dégâts chez autrui et/ou à soi même.
Le coeur en paix n’est pas la tranquillité de l’oublie, la facilité du déni, ou l’absolution par le juge ou une divinité.
Porter « paisiblement » les fardeaux de nos errements sera notre petite grandeur. C’est une question d’accès à la conscience profonde.
Qu’un Autre nous ait délivré au prix de sa vie, ne change pas notre ordinaire condition, sauf à faire l’expérience dans sa chair d’une restauration par le média d’un autre humain, ce qui n’est pas l’expérience la plus répandue….
Mais c’est plus fondamentalement lorsque soi-même on est cet « autre humain » pour quelqu’un que s’accomplit ce que vous appelez « le Salut » (enfin si je ne me trompe pas sur ce que j’ai cru en comprendre…)
Sinon on est encore et toujours dans le rituel mortifère, trompeur et magique du « soulagement psychique égocentré » de la « confession de ses péchés». (fort heureusement tombé en désuétude).
Culpabilité - jugement - châtiment - feu éternel…
RépondreSupprimerJe pense que vous vous êtes trompés en postant ce commentaire sur ce blog. Vous avez sans doute lu un autre texte. Je ne vois pas que cela résume le texte.
Il se pourrait même que le texte dise exactement ce que vous dites ensuite, comment l'on sort de cette culpabilité mortifère, mais culpabilité toujours renaissante.
On n'en a jamais fini avec la culpabilité. C'est ainsi, et peut-être même pas plus mal. De toute façon, c'est ainsi. Qu'il faille renverser cette culpabilité est une tâche vitale..Mais la culpabilité est peut-être un des lieux où s'enracine un véritable engagement contre le mal. Passer, si l'on préfère, de la culpabilité au sens de la faute.
non,non, mon commentaire était bien pour ce texte-là !
RépondreSupprimerIl ne se voulait pas résumer vos propos, mais y ajouter ce qui m'est venu.
Je ne sais si c'est seulement une question de choix de mot, mais il est possible et même souhaitable de sortir de la culpabilité pour entrer dans la responsabilité, sinon on reste dans l'enfermement sur soi et le "c'est ma faute, ma très grande faute ..." qui enferme comme on enferme le condamné.
Passer de "c'est de ma faute" à "c'est de mon fait" n''est-ce pas le chemin à prendre ?
pour aller de "je me sens coupable" à "je suis responsable et j'assume pleinement" (ce qui amène vers une éventuelle réparation ou acceptation humble de ce qui a été commis.
La culpabilité est peut être un "passage nécessaire", elle ne peut demeurer un "état intérieur permanent" (en ce cas on est plus proche d'une pathologie que d'une guérison...)
Le "pardon de dieu" n'est-il pas la mise en oeuvre d'un "pardonne-toi-à-toi-même" parce que la force divine est en toi intrinsèquement ?
Qu'est-ce qui sauve, si ce n'est l'imbrication au fond de soi (sans confusion) de la foi en soi et de la foi en l'Autre ?
Votre sentiment sur ce que je dis là m'intéresse.... Merci .
Très souvent on vous lit, Patrick, et on vous recommande même. Par exemple Utinam dans le blog de François Euvé, site des Etvdes. Dernièrement : " Merci pour vos réflexions les François E., Mafuhua, Nuage, Jean, trop rare Pelosse et autres diserts Hornn & Bourel .... (n'y voyez pas malice, H & B, j'aime vous lire quand bien même je ne saisis pas tout ou ne partage pas l'ensemble de vos diverses obsessions). J'en viens au sujet : V2 et les [ou V2 des] théologiens. Parfois le jeune clergé fort pieux, à fond JP2, Totus tuus Maria, conséquence exit le Christ, colromanisé, prêt à affréter des bus pour une bourge manif, s'offusquant de l'audace de Vatican II, est moins armé théologiquement que les curés velours et pataugas âgés de 60 à 80 ans. Mécréant du parvis, je ne pratique guère. Quand cela m'arrive, je trouve la soupe tiède. Alors je lis : par exemple les homélies de Patrick Royannais, docteur en théologie et curé de paroisse, à qui il est arrivé d'écrire dans Etvdes. Il faut des théologiens musclés mais incarnés, intellectuels critiques, capables du lavement des pieds. " Continuez, svp, merci ! H M
RépondreSupprimerla situation du chrétien:se sentir coupable de tout le mal que l'on a commis et en même temps se savoir pardonné car Dieu sait que nous sommes poussière et de quoi nous sommes faits. Éprouver un sentiment de culpabilité dans ces conditions n'a rien de mortifère,absolument rien.
RépondreSupprimercher Dominique B. ,
Supprimeralors si l'homme est pardonné .... et s'il continue de se sentir coupable... C'est qu'il n'a pas la foi en ce pardon.....
C'est pourquoi c'est mortifère..
persiste et signe !
cher Voyageur,je comprends votre objection,mais imaginons un couple par exemple dont le mari a trompé sa femme Cette dernière lui a pardonné.Est-il inconcevable de penser que le mari en question ne reste pas avec des remords malgré le pardon reçu?
RépondreSupprimerLe remords... bien sûr ! : la résipiscence dira sans doute notre ami PR !
SupprimerNous parlions de culpabilité, qui n'est pas exactement la même chose. Celle-ci générant des sentiments morbides,autoaccusatoires, voire une autodestruction accompagnée ou non de projections agressives sur autrui, exprimées ou rentrées...
Attention je ne suis pas pour autant en train de devenir masochiste, absolument pas ,et il ne faut pas, bien sûr,vivre constamment avec ce remords A vrai dire je ne sais comment m'exprimer...
RépondreSupprimerIl me semble possible de "vivre en paix avec sa conscience" si on positionne le remords à sa juste place en soi-même.
Supprimersuivant ce schéma que je reconnais un peu simpliste, mais pas totalement idiot !!
J'ai fait le con --> je reconnais --> j'assume --> je comprends les causes --> je modifie mes comportements.
Ce qui suppose généralement un "regard d'amour "vrai" ("exigeant" comme disent assez souvent les curés !...) qui accompagne la démarche"
On le trouve ... ou pas....
Mais c'est un autre débat