« “Il y en a parmi vous qui ne croient pas”. » À
partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent
de l’accompagner. »
Au terme du discours sur le pain de vie, la tension est
telle que certains disciples arrêtent d’accompagner Jésus. Qui sont les
disciples de Jésus, qui étaient-ils à l’origine, qui sont-ils aujourd’hui ?
Il y en a parmi eux qui ne croient pas. C’est incroyable ce truc là, mais il y
a des disciples de Jésus qui ne croient pas. « “Il y en a parmi vous qui
ne croient pas.” Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient
ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait. »
Nous ne sommes pas Jésus, et nous ne savons pas, nous, qui est
croyant ou non. Chacun peut s’interroger. Sait-on soi-même si l’on est croyant.
On peut penser que les disciples qui ont arrêté de suivre Jésus n’étaient pas
de plus mauvais bougres que la moyenne. On ne peut identifier le non croyant au
seul salaud et traitre. Il y a même des traites parmi ceux qui restent avec
Jésus, comme Pierre… comme nous !
Nous ne savons pas si nous croyons. Jésus le sait, lui.
Restons à cette forme d’ignorance, parce, peut-être, être croyant, ce soit
justement ne plus rien savoir en dehors de l’amour des frères. Etre croyant,
c’est ne plus rien savoir. Voilà ce que j’entends dans la réponse de Pierre, du
moins la première partie : « « Seigneur, à qui
irions-nous ? » En termes de motivation, ce n’est pas terrible !
Faute de mieux, nous te suivons, à qui veux-tu que nous allions ? A qui
irions-nous ? (La suite de la réponse, qui répète les propos de Jésus,
comme un catéchisme sagement, puérilement, appris, paraît en fort décalage avec
cette sorte d’ignorance poussée comme un cri, presque désespéré.)
Que savons-nous de notre Dieu ? Si peu ! En cela
rien d’anormal. Que pourrions-nous savoir de Dieu ? Il faut absolument
considérer comme idole tout ce que nous en disons, en pensons, précisément pour
tâcher de se garder de l’idolâtrie. Nous affirmons, confessons qu’à condition
de barrer. Nous affirmons parce qu’il faut bien parler, mais à une condition,
de nous déprendre. Dieu n’est pas même l’autre, ni le plus grand autre, mais
toujours autre.
Quand je dis ne plus rien savoir, il s’agit d’autre chose.
La foi nous fait-elle vivre ? Vivrions-nous autrement sans elle ? Nous
n’en savons rien. Mais comme tout ce qui n’a pas d’utilité ne saurait importer,
ne vaut rien, sommes-nous bien croyants ? Tant qu’on peut voir la présence
et l’efficacité de la Providence, on a de quoi être croyant, mais notre monde
et la nature, avec leurs lois, n’ont pas besoin de Dieu, hypothèse inutile.
Alors, il devient plus difficile de croire. Croire alors qu’il n’y a plus rien
à voir, pas même le moindre petit signe.
A qui irions-nous ? Pourquoi pas à ce Jésus. Mais
pourquoi ?
Si nous ne savons pas même si nous croyons, ce n’est pas anti-intellectualisme,
mais comme condition de la foi. La foi est affaire de confiance. Certes, elle
est bien intelligente, là n’est pas la question. Mais si nous ne faisons pas
confiance, quelle foi avons-nous ? Pierre n’a pas suivi Jésus parce qu’il
avait les paroles de la vie, quand bien même cela ne gâte rien. Il a suivi
Jésus, faute de mieux, à qui irions-nous ? Ou du moins, sans savoir dire
pourquoi : A qui irions-nous ?
Il faut vider toutes les raisons, les bonnes et les
mauvaises raisons de croire. On ne croit pas parce que. On croit, on fait
confiance à Jésus. C’est tout, à tous les sens de l’expression. Mais lui faire
confiance laisse bien seul ; beaucoup sont partis. Et c’est ce que nous
vivons.
On croit, c’est tout. Ici comme dans l’amitié, dans l’amour
conjugal, paternel ou filial : parce que c’est lui, parce que c’est moi.
On ne choisit pas d’aimer ses enfants, ses parents, ses frères et sœurs. On les
aime, cela s’impose. Et si on ne les aime pas, comment n’être pas
coupable ? C’est charnel. Et si avec Dieu c’était cela, aimer sans rien
d’autre, sans rien savoir. C’est charnel.
C’est curieux que ce pur amour soit charnel, je veux dire
corporel, que ça prenne aux tripes. Que cela s’impose non comme une idée, mais
comme l’amour des siens (et l’on peut découvrir que nous sommes destinés à
faire de tous des siens !)
Alors que je ne sais plus rien, il ne reste peut-être plus
que cela. Une sorte de constat qui s’impose, comme tout constat, a posteriori, surnageant
de l’ignorance : je l’aime ; je suis croyant. C’est primaire. Cela
vient de très loin. Un cri que rien ne parvient à couvrir. A qui
irions-nous ?
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