Il y a dans l’évangile de Marc, quelques mots en araméen. On
peut se demander pourquoi. Le texte de Marc est rédigé en grec, à destination
d’hellénophones, la communauté chrétienne naissante de Rome, plus
particulièrement sa composante païenne, c’est-à-dire non issue du judaïsme.
Marc prend le temps d’expliquer à ses destinataires, manifestement ignorants
des coutumes juives, celles auxquelles il fait allusion. Ainsi, dimanche
dernier, il expliquait les rites de purification des plats et des mains après
le marché.
Pourquoi donc Marc insère-t-il à quelques reprises dans son
évangile des mots que personne ne peut comprendre ? Au chapitre 5 il y a « Jeune
fille, réveille-toi ». Au chapitre 7 que nous venons d’entendre,
« ouvre-toi », au chapitre 15 le fameux « Mon Dieu, mon Dieu
pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Certains ont pensé qu’il y avait ici de l’ésotérisme, une formule
magique puisque les deux premières occurrences appartiennent à un récit de miracle.
Cette thèse ne tient pas tant elle est contraire à l’ensemble de l’évangile,
tant elle ignore la parole, désespérée, de Jésus en croix, tant elle est
contredite par la traduction où Marc révèle ce qui devrait être un sens
protégé, caché, celui d’une parole mantique. D’autres ont imaginé qu’il
s’agissait d’attirer l’attention, de réveiller le lecteur. Mais celui qui
cherche à être disciple de Jésus ne s’endort pas à lire seize petits chapitres,
un simple feuillet.
D’abord, Marc nous montre Jésus au plus près, parlant dans
sa langue. Un peu comme un superbe portrait, détail agrandi d’un tableau, photo
rapprochée d’un visage. On sait bien que l’évangile n’est pas un reportage sur
le vif. Marc connaît la distance qui le sépare de Jésus. Il s’en arrange très
bien, car ce n’est pas de Jésus selon la chair que nous sommes les disciples,
mais du Ressuscité, même s’il est impossible de saisir quoi que ce soit du
Ressuscité si l’on ignore tout de la chair de cet homme. Mais justement, il
faut marquer cette distance, celle qui est instituée par la foi. Quel est-il
donc cet homme ? C’est la question de Marc à laquelle, à l’extrême fin du
texte le centurion, un païen de Rome, en voyant comment Jésus avait expiré, répond :
« Pour de vrai, cet homme était le fils de Dieu ».
Marc assume la distance. Il ne cherche pas à la cacher. Mais
cela n’empêche pas, ne serait-ce que pour mieux la marquer, une fois ou
l’autre, de se laisser aller à une proximité qui laisse croire qu’on tient ici
le vrai Jésus, comme une relique verbale : « Talitha koum »,
« Ephphatha », « Élôï,
Élôï, lema sabachthani ».
Ensuite,
outre le portrait agrandi qu’il nous offre, outre la distance proximité qu’il
souligne entre cet homme selon la chair et tel qu’il est connu par les croyants,
outre le plaisir de donner à toucher le Maître, Marc en profite pour énoncer en
raccourci la Bonne Nouvelle. Il n’a pas choisi n’importe quel mot !
Les deux
premiers sont ceux de la résurrection. « Réveille-toi », cela se
traduit par ressuscite. C’est le même mot. Adressé à la jeune fille, celle qui
sort toute fraiche du côté d’Adam, l’humanité naissance qui doit renaître, se
réveiller du cauchemar du péché et du mal, comme recrée. Toujours dans la lutte
contre le mal, ce qui tient l’homme captif, cette fois adressé à un homme, un
sourd muet, l’ordre de s’ouvrir. Le rituel du baptême reprend cet effata tel quel. Le nouveau chrétien
doit s’ouvrir à la vie, c’est-à-dire entrer en communication avec les autres.
Quitter le silence mortel de la surdité et du mutisme, écouter et prendre la
parole pour entrer dans le chœur qui peut entendre le Père et s’adresser à lui.
La
dernière parole semble abandonner la résurrection et nous projeter dans l’horreur
au moment où Jesus meurt. C’est que pour Marc, la résurrection n’est pas un happy end, le coup d’un Deus ex machina, la mort de Jésus une
simple péripétie. Jésus a affronté la mort et son horreur. Les femmes toutes
tremblantes, au chapitre suivant, ne disent rien de la résurrection. Le tombeau
bien qu’ouvert reste scellé parce qu’elles ne croient pas. Mais les païens du
bout du monde, dans la figure du centurion (à lui seul il représente un cent,
pas mal de monde !) sont déjà devenus disciples : « Pour de
vrai, cet homme était le fils de Dieu ! »
Dans l’ombre de la mort, dans le sentiment d’abandon qui
cependant ne nous détourne pas de la prière « mon Dieu, mon Dieu »,
l’évangile est résurrection « réveille-toi », c’est-à-dire mise en
relation pour une fraternité : « Ouvre-toi ».
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