Le texte que nous venons d’entendre (Mc 9,38-48) suit
immédiatement celui de la semaine passé (32-37). Il est peu probable qu’après
s’être fait donner une leçon sur qui est le plus grand, sur les questions de
pouvoir ou de préséance, Jean ait osé rapporter un fait d’armes peu glorieux,
avoir voulu empêcher quelqu’un d’expulser des démons au nom de Jésus sous
prétexte que ce quelqu’un n’était pas de ceux qui suivent Jésus.
Jean n’est ni bête ni naïf, il a écouté ce que vient de dire
Jésus et a bien compris. C’est Marc qui rassemble des enseignements de Jésus
sur l’attitude des disciples, ceux qui se disent les responsables de la
communauté.
On peut penser que le texte fait davantage allusion au
contexte de la rédaction, les années 70, qu’à ce qui s’est effectivement passé
vers l’an 30. Ce n’est que lorsque Jésus est mort depuis une quarantaine
d’années que ceux qui ont l’autorité dans les Eglises sont ceux qui ont suivi
Jésus et s’imaginent que désormais d’autres les suivent. Comme toujours pointe
l’atavisme des chefs. Premièrement, ils pensent en excluant pour définir leur
groupe, dans une logique identitaire, voire boutiquière. Il y a ceux qui nous
suivent et les autres, du dehors. Deuxièmement, ils s’approprient le fait
d’être suivis, alors qu’ils sont comme tous, disciples de Jésus, qui le
suivent ; ils se mettent à la place de Jésus, prennent sa place, se
prennent pour lui. Les disciples ne suivent pas les Douze ou les évêques ou le
Pape, mais Jésus. Ils ne sont pas leurs fidèles, mais ceux de Jésus.
La mesquinerie des petits chefs, même quand ce sont des
personnages éminents, quand ils sont des Douze ou cardinaux, est rarement
dissimulable. Les chefs, gardiens de l’identité ou de l’orthodoxie excluent
pour mieux gouverner, confisquent l’être disciples, hier comme aujourd’hui,
depuis le début si l’on en croit Marc.
La réponse de Jésus est sans ambiguïté. On ne peut faire le
bien et s’opposer en même temps à Jésus. On ne peut libérer les gens de la mort
et s’opposer au Ressuscité. Toute libération entre dans le mouvement
résurrectionnel, dans le dessein divin. Un simple verre d’eau offert aux
disciples est un accueilli par Jésus comme un hommage au Christ, dont
peut-être, le nom demeure inconnu au donateur.
Mais Jésus, ou la reconstitution par Marc, n’en reste pas
là. Vous autres, disciples, vous demandez un privilège, que vous soit réservé
le droit de telle ou telle action en vue du salut ? Très bien. Qu’il n’y rien
en vous qui suscite le scandale même du plus insignifiant des hommes sur l’échelle
de la préséance, même de la préséance ecclésiastique !
A la récompense du simple verre d’eau pour ceux de l’extérieur,
s’oppose le châtiment pour le disciple et particulièrement les responsables
parmi les disciples, qui causent scandale. Récompense contre géhenne et feu
éternel. Voilà donc l’unique privilège des disciples quand ils confisquent l’autorité
de Jésus ou s’excluent, en raison de leur appartenance à Jésus, de la masse des
autres, entendez des pécheurs.
Les propos de Jésus, que Marc ne dissimule pas transférer à
son époque, ont aujourd’hui encore une terrible actualité. Le tout dernier
discours de François aux évêques états-uniens en témoigne. Le ton était humble
et fraternel. François avait déposé le bazooka de son discours à la Curie, il y
a bientôt deux ans. Ce n’était pas « le pouvoir de la force » mais « la
force de l’impuissance ».
Ces propos sont adressés aux évêques, mais ils valent pour
chacun d’entre nous, disciples de Jésus, témoins de l’amour du Père, auprès de
ceux que nous aimons, de ceux que nous côtoyons ou seulement croisons. Ils
valent pour nous comme commentaire des paroles évangéliques qui nous sont
adressées à tous. Sans quoi, pourquoi les aurions-nous proclamées dans cette
assemblée ? J’en relève quelques uns.
« Non pas se
paître soi-même mais savoir se mettre en retrait, s’abaisser, se décentrer pour
nourrir du Christ la famille de Dieu. Veiller sans relâche, se hisser haut pour
rejoindre, par le regard de Dieu, le troupeau qui appartient seulement à Lui. »
« Nous sommes des partisans de la culture de la
rencontre. Nous sommes des sacrements vivants de l’étreinte entre la richesse
divine et notre pauvreté. Nous sommes des témoins de l’abaissement et de la
condescendance de Dieu qui, dans l’amour, précède aussi notre première réponse.
Le dialogue est notre méthode, non par stratégie habile, mais par fidélité à
celui qui ne se fatigue jamais de passer et de repasser sur les places des
hommes jusqu’à la onzième heure pour proposer son invitation d’amour. »
« Plus riche est le patrimoine, que vous avez à
partager dans la vérité, que plus éloquente soit l’humilité avec laquelle vous
l’offrez. N’ayez pas peur d’accomplir l’exode nécessaire à tout dialogue
authentique. Autrement, il n’est pas possible de comprendre les raisons de
l’autre, ni de comprendre en profondeur que le frère à rejoindre et à racheter
- par la force et la proximité de l’amour - compte davantage que toutes les
positions que nous jugeons éloignées des nôtres, même si celles-ci sont
d’authentiques certitudes. Le langage aigre et belliqueux de la division ne
convient pas aux lèvres d’un pasteur, il n’a pas droit de cité dans son cœur et,
même s’il semble pour un moment assurer une apparente hégémonie, seul l’attrait
durable de la bonté et de l’amour reste vraiment convainquant. »
« Je vous encourage à affronter les questions de notre
temps, qui constituent des défis. Au fond de chacune d’elles, il y a toujours
la vie comme don et responsabilité. L’avenir de la liberté et de la dignité de
nos sociétés dépend de la manière dont nous saurons répondre à de tels défis. »
« La victime innocente de l’avortement, les enfants qui
meurent de faim ou sous les bombes, les immigrés qui se noient à la recherche
d’un lendemain, les personnes âgées ou les malades dont on voudrait se
débarrasser, les victimes du terrorisme, des guerres, de la violence et du
narcotrafic, l’environnement dévasté par une relation déprédatrice de l’homme avec
la nature, en tout cela, est toujours en jeu le don de Dieu dont nous sommes
les nobles administrateurs, mais non les maîtres. Il n’est donc pas permis de
s’évader ni de se taire. »
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