Le prophète Jérémie est de ceux qui ont rencontré l’adversité
de leurs coreligionnaires. Il n’a pas prêché ce qu’ils attendaient. Le Dieu d’Israël
en sa bouche avait des propos que rejetèrent nombre des Fils d’Israël.
Il faut dire que sa mission était autant de bâtir que de
raser. Une fois de plus les liturges maltraitent le texte (Jr 1, 4-5, 17-19). Le
verset 10 dit : « Vois ! Aujourd’hui même je t’établis sur les nations et sur les
royaumes, pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et
planter. »
L’évangile
raconte la même histoire. Jésus déclare l’accomplissement des paroles
prophétiques, ce qui réjouit ses auditeurs : « "Aujourd’hui
s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre." Tous lui
rendaient témoignage. » Mais très vite l’étonnement devient rejet de l’étrangeté,
et, après quelques altercations, « tous devinrent furieux. Ils se
levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un
escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en
bas. » (Lc 4) Moins d’un chapitre après le début de la vie publique de
Jésus, les siens parlent déjà de le tuer.
Bien
sûr, nous n’aimons pas bien que Jésus ou Jérémie soient là pour démolir, raser,
arracher, renverser, exterminer. Et pourtant, il faut bien exterminer le mal et
les guerres, arracher des cœurs la haine, l’indifférence ou le rejet, renverser
la mort. « Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur
la terre ? » ajoute Jésus. Les prophètes invitent à changer de vie,
et nous n’aimons guère cela. Nous résistons à nous convertir toujours et
encore.
Bien sûr, il ne suffit pas de susciter une opposition
pour être dans le vrai, il ne suffit pas d’être contesté voire persécuté pour
prouver qu’on a raison. Mais la vérité comme la parole de Dieu seront toujours
du côté de la faiblesse. Celui qui les défend avec une arme les tue. Même si ce
qu’il dit est vrai, il en fait un mensonge. « J’aurais beau être
prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu,
j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me
manque l’amour, je ne suis rien. »
Jérémie et Jésus sont des persécutés pour la justice. C’est
cela la vocation du prophète. Si nous nous rappelons que le baptême a fait de
nous des prophètes, les membres du peuple prophétique, notre vocation nous mène
à cette même persécution. On ne peut dire la parole de Dieu sans être rejeté. Le
prophète ne sera jamais un gourou, une idole charismatique comme tant de ceux pourtant
qui ont prétendu réformer l’Eglise et que l’on retrouve accusés de toutes
sortes de crimes. Jésus se contente de continuer sa route : « Mais
lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. » Le chemin menait à la
croix…
Les adversaires de Jérémie ou de Jésus sont ceux qui
partagent leur foi. C’est entre nous que nous nous battons à mort au nom de la
parole de vie ! Si les guerres de religions se greffent quasi toujours sur
d’autres tensions, économiques, politiques, ethniques ou de civilisation, les
conflits à l’intérieur des Eglises eux existent bel et bien, et aujourd’hui, et
chez les chrétiens, et dans nos communautés. Le chemin de la parole mène le
prophète sur le chemin de la croix. L’amour des ennemis est le chemin du
prophète.
Etre prophète est une mission que nous avons reçue au
sein de l’Eglise aux jours de notre baptême et de notre confirmation. Nous ne
sommes pas prophètes tout seul, mais en Eglise.
C’est la nature même
des chrétiens de proférer la parole. Cela commence avec nos enfants, avec nos
collègues et voisins, avec les nôtres. Certains aussi s’engagent par exemple
dans la catéchèse.
Evidemment, nous devons avoir autre chose à dire que les
propos du café du commerce, ou le catéchisme que l’on répète en boucle, l’idéologie
du moment ou d’un groupe. Il faut faire entendre la parole qui convient aux
interlocuteurs. Cela
suppose que l’amour caractérise notre parole. Cela suppose que nous nous
fassions auditeurs de la parole, que nous essayons de l’entendre, que nous
travaillons notre foi dans l’étude comme dans la quête de Dieu. En nous déjà,
la parole doit arracher et renverser pour construire, pour convertir. Cela
suppose que nous connaissions le monde auquel nous nous adressons. Comment sans
ces compétences prendrions-nous au sérieux et la parole du Seigneur et la
mission baptismale et nos interlocuteurs ?
Nous
sommes chargés d’une parole qui n’est pas nôtre mais que le Seigneur a mise en
nos bouches et en nos cœurs depuis qu’il nous a marqués du sceau de son Esprit,
ainsi que le disait Jésus au début de notre texte et de sa mission : « L’Esprit
du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a
envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur
libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les
opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »
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