En faisons-nous trop pour les migrants ? Pas sûr. Nous
n’aurions toujours pas accueilli les 24 000 Syriens que nous nous étions
engagés à héberger. Et pourtant, certains craignent pour l’unité et l’identité
de la Nation, pour nos capacités d’intégration, pour le marché de l’emploi,
etc. Ne doit-on pas se protéger de l’arrivée en Europe d’un million de réfugiés
en 2015 ? Notre société est en danger.
Oui, notre société est en danger. Notre foi elle-même. Mais le danger ne vient pas forcément d’où l’on pense. Nous pourrions avoir plus à craindre de nous-mêmes que de ceux qui nous envahiraient, de surcroît musulmans, puisque c’est un des sous-entendus de l’affaire.
Je comprends fondamentalement, quoique de façon non exclusive, le phénomène migratoire auquel nous assistons comme la revanche des pauvres. Nous profitons et sommes solidaires donc responsables, que nous le voulions ou non, d’un déséquilibre économique et géopolitique. Or, dans une société mondialisée, tout est en interaction ; le protectionnisme économique et la fermeture des frontières est un mensonge de plus du nationalisme. Nous ne pouvons exiger, pour maintenir notre mode de vie, que les injustices continuent, que les pauvres demeurent pauvres. Oui, nous changeons de civilisation. S’opposer à l’accueil de ceux que nous avions jusque là maintenus sur les marges de notre prospérité et de nos libertés est non seulement un meurtre mais aussi un suicide.
Puisque nous ne sommes pas prêts à partager, à diminuer les inégalités, les gens viennent ici d’autant que ce n’est pas vivable chez eux, pour partie par notre faute. Ils viennent, dans l’immense majorité des cas, sans violence, sans armes. (C’est assez rare dans l’histoire des migrations massives pour être souligné. Les migrations européennes aux Amériques, par exemple, ont été violentes !) Ils demandent à vivre dignement, en sécurité. Ils vont changer notre culture. C’est cela aussi la revanche des pauvres. Eux aussi seront changés.
Nous sommes en pleine contradiction. Il y a quinze ans, on refusait de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe. Aujourd’hui, beaucoup revendiquent le christianisme comme racines ou comme valeurs (la crèche de Béziers est typique). Mais ce n’est pas de la foi qu’il s’agit ‑ qui est préoccupé par la Trinité, le salut, le partage et le service ? ; on cherche une identité. Or c’est un fait, nos pays ne sont plus chrétiens (si jamais cela a un sens de parler de pays chrétien) ; c’est un fantasme. Ils ne se définissent plus univoquement. Avant de le regretter, il faudrait mesurer la richesse et la liberté que cela représente !
D’autres revendiquent la laïcité. Loin de ce que le mot désignait en 1905 (la neutralité de l’Etat qui permet de faire cohabiter pacifiquement des opinions différentes, notamment quant au religieux), elle s’entend aujourd’hui comme la revendication de vivre en société en toute liberté, c’est-à-dire sans devoir rencontrer la différence de ceux qui ne pensent ou ne vivent pas comme moi (l’avis des maires de France sur les crèches est typique). Mais comment tenir ensemble la liberté de chacun (de mener sa vie comme il l’entend) et le refus de voir pratiquer, dans l’espace public, des modes de vie différents ? Même contradiction !
Notre peur devant l’arrivée massive de migrants met en évidence, plus qu’un problème économique ou de sécurité intérieure, notre incapacité à la différence. La liberté signifie la diversité, ou alors quelques uns seulement sont libres, ceux qui imposent leurs règles à tous. Nous revendiquons d’être une société libre et ouverte, mais, c’est selon, les pauvres, les réfugiés, les musulmans, les chrétiens, bref, toutes les minorités (qu’elles soient numériques ou économiques) n’ont pas droit de cité (ou d’être visibles) au nom de… la liberté.
Cette contradiction, nôtre, est notre mort. Nous n’avons pas le choix. Accueillir ceux qui se réfugient chez nous est une obligation au nom même de la culture ou des valeurs que nous voulons défendre, qu’elles soient chrétiennes ou laïques. C’est nous aussi que nous sauvons à les accueillir. C’est nous aussi que nous tuons à laisser la mer, les guerres, la pauvreté ou les brigands les emporter.
Qu’est-ce qui prime ? L’identité, les valeurs et la culture (européennes, françaises, judéo-chrétiennes ou laïques) ou l’égalité et la fraternité de la devise républicaine ? S’il est vrai que le plus court chemin de soi à soi passe par autrui, qu’on ne sauve sa vie qu’à la perdre, qu’aurions-nous à craindre pour l’identité de nos pays ? Pire, qui garde sa vie la perdra.
Fermer la porte à ceux qui appellent au secours c’est laisser le Christ en-dehors de nos vies ; c’est ne plus être disciples ! Dieu ne se rencontre jamais autant que sous la figure de l’autre si différent, si proche, sans toit ni patrie, souvent pauvre mais toujours appelé à être reconnu comme un frère.
Oui, notre société est en danger. Notre foi elle-même. Mais le danger ne vient pas forcément d’où l’on pense. Nous pourrions avoir plus à craindre de nous-mêmes que de ceux qui nous envahiraient, de surcroît musulmans, puisque c’est un des sous-entendus de l’affaire.
Je comprends fondamentalement, quoique de façon non exclusive, le phénomène migratoire auquel nous assistons comme la revanche des pauvres. Nous profitons et sommes solidaires donc responsables, que nous le voulions ou non, d’un déséquilibre économique et géopolitique. Or, dans une société mondialisée, tout est en interaction ; le protectionnisme économique et la fermeture des frontières est un mensonge de plus du nationalisme. Nous ne pouvons exiger, pour maintenir notre mode de vie, que les injustices continuent, que les pauvres demeurent pauvres. Oui, nous changeons de civilisation. S’opposer à l’accueil de ceux que nous avions jusque là maintenus sur les marges de notre prospérité et de nos libertés est non seulement un meurtre mais aussi un suicide.
Puisque nous ne sommes pas prêts à partager, à diminuer les inégalités, les gens viennent ici d’autant que ce n’est pas vivable chez eux, pour partie par notre faute. Ils viennent, dans l’immense majorité des cas, sans violence, sans armes. (C’est assez rare dans l’histoire des migrations massives pour être souligné. Les migrations européennes aux Amériques, par exemple, ont été violentes !) Ils demandent à vivre dignement, en sécurité. Ils vont changer notre culture. C’est cela aussi la revanche des pauvres. Eux aussi seront changés.
Nous sommes en pleine contradiction. Il y a quinze ans, on refusait de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe. Aujourd’hui, beaucoup revendiquent le christianisme comme racines ou comme valeurs (la crèche de Béziers est typique). Mais ce n’est pas de la foi qu’il s’agit ‑ qui est préoccupé par la Trinité, le salut, le partage et le service ? ; on cherche une identité. Or c’est un fait, nos pays ne sont plus chrétiens (si jamais cela a un sens de parler de pays chrétien) ; c’est un fantasme. Ils ne se définissent plus univoquement. Avant de le regretter, il faudrait mesurer la richesse et la liberté que cela représente !
D’autres revendiquent la laïcité. Loin de ce que le mot désignait en 1905 (la neutralité de l’Etat qui permet de faire cohabiter pacifiquement des opinions différentes, notamment quant au religieux), elle s’entend aujourd’hui comme la revendication de vivre en société en toute liberté, c’est-à-dire sans devoir rencontrer la différence de ceux qui ne pensent ou ne vivent pas comme moi (l’avis des maires de France sur les crèches est typique). Mais comment tenir ensemble la liberté de chacun (de mener sa vie comme il l’entend) et le refus de voir pratiquer, dans l’espace public, des modes de vie différents ? Même contradiction !
Notre peur devant l’arrivée massive de migrants met en évidence, plus qu’un problème économique ou de sécurité intérieure, notre incapacité à la différence. La liberté signifie la diversité, ou alors quelques uns seulement sont libres, ceux qui imposent leurs règles à tous. Nous revendiquons d’être une société libre et ouverte, mais, c’est selon, les pauvres, les réfugiés, les musulmans, les chrétiens, bref, toutes les minorités (qu’elles soient numériques ou économiques) n’ont pas droit de cité (ou d’être visibles) au nom de… la liberté.
Cette contradiction, nôtre, est notre mort. Nous n’avons pas le choix. Accueillir ceux qui se réfugient chez nous est une obligation au nom même de la culture ou des valeurs que nous voulons défendre, qu’elles soient chrétiennes ou laïques. C’est nous aussi que nous sauvons à les accueillir. C’est nous aussi que nous tuons à laisser la mer, les guerres, la pauvreté ou les brigands les emporter.
Qu’est-ce qui prime ? L’identité, les valeurs et la culture (européennes, françaises, judéo-chrétiennes ou laïques) ou l’égalité et la fraternité de la devise républicaine ? S’il est vrai que le plus court chemin de soi à soi passe par autrui, qu’on ne sauve sa vie qu’à la perdre, qu’aurions-nous à craindre pour l’identité de nos pays ? Pire, qui garde sa vie la perdra.
Fermer la porte à ceux qui appellent au secours c’est laisser le Christ en-dehors de nos vies ; c’est ne plus être disciples ! Dieu ne se rencontre jamais autant que sous la figure de l’autre si différent, si proche, sans toit ni patrie, souvent pauvre mais toujours appelé à être reconnu comme un frère.
Paru dans une version antérieure dans La Croix du 16 janvier 2016
"La revanche des pauvres dîtes-vous"
RépondreSupprimerJe suis pour l'accueil des réfugiés,cependant il faut ,me semble-t-il, ne pas oublier sue ceux qui arrivent en Europe au péril de leur vie ne sont pas les plus pauvres de leur pays d'origine,car pour entreprendre ce voyage ils ont été obligé de payer des sommes considérables.Ce n'est pas la révolte des "damnés de la terre"
Bien entendu il est parfaitement exact cependant de souligner le fait que chacun d'entre nous est complice de l'immense injustice régnant dans le commerce mondial;injustice dont nous profitons largement
Cet argument de la "richesse" et du statut de privilégiés des migrants qui nous arrivent me met devant un abyme vertigineux. La première fois que je l'ai entendu, c'était de la part d'un prêtre qui ainsi me justifia que sa paroisse n'organisait rien de particulier pour accueillir des migrants.
RépondreSupprimerJe ne me rappelle pas que cette clause de la "richesse" précédente d'un individu ait été mis en avant dans la pratique morale ou pastorale du courant ecclésial auquel il appartient. Je ne me rappelle pas qu'il mette une sorte d'option privilégié pour les pauvres quand il s'agit d'organiser la catéchèse, qu'il organise le temps des célébrations en fonction des rythmes de vie précarisés des plus pauvres de notre société...
Mais surtout, quand serait-il pour nous-même si par malheur nous serions jetés sur les routes à fuir des violences dont notre propre société est tout autant capable que de l'autre côté de la Méditerranée. Car le commentateur anonyme se pense-t-il appartenir aux pauvres de notre propre société? Sinon, c'est de la même mesure qu'il devrait s'attendre à être traité sur les chemins de l'exil qui pourrait avoir à emprunter... Sera-t-il prêt à payer pour la famille voisine dans le besoin, et n'accepter d'embarquer et de faire embarquer les siens qu'une fois les plus pauvres de son entourage à l'abri?
...
je ne faisais que répondre à P ROYANNAIS et je précisais bien que je suis favorable à l'accueil de ces réfugiés;il est bien évident que je n'aimerais pas être à leur place .Je ne leur reproche pas leur richesse,loin de là ,mais pour moi ce n'est pas "la revanche des pauvres"
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