Tout petit bout d’évangile de Jean, comme dimanche dernier,
et encore, charcuté (Jn 13, 31-33a.34-35). On ne peut pas dire que ceux qui ont
préparé le lectionnaire aient eu un grand souci du texte. Ils ont pensé en
termes de message. Comme si l’évangile contenait des articles de foi, les
numéros d’un catéchisme. Le mouvement du texte est sacrifié au profit d’un déjà
connu, trop connu, que plus personne n’écoute ; et c’est grave puisqu’il s’agit
du commandement de l’amour.
Le chapitre 13 de Jean commence par un prologue qui ouvre la
seconde partie de l’évangile. Les douze premiers chapitres, avec des signes et
des discours de Jésus ont annoncé l’heure. L’heure est venue. C’est maintenant.
Nous l’avons entendu : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et
Dieu est glorifié en lui. »
Vient le lavement des pieds, nouveau signe qu’il faut lire
de façon aussi stupéfiée que le changement de l’eau en vin, la multiplication
des paix, les guérisons et la résurrection de Lazare. Le maître se fait
serviteur. Dieu se révèle en Jésus serviteur de l’humanité. Renversement total.
Dieu n’est plus à servir puisqu’il est au milieu de nous celui qui sert.
Suit l’annonce de la trahison de Judas et le bouleversement
intérieur de Jésus. Ce n’est que la conséquence de la conversion du divin. Qui
peut consentir à un Dieu esclave alors qu’il rêve de toute-puissance ? Qui
peut se dévouer à un Dieu faible alors qu’il espère une force qui lui évite l’adversité ?
Qui peut, adorant le Dieu esclave, consentir, comme lui, à servir ?
Jésus dévoile alors son testament. Il remet tout ce qu’il a
puisqu’il va mourir. Il n’a pas de bourse, d’argent, puisque c’est Judas qui s’en
charge et qu’il est sorti. Reste sa vie, le sens de sa vie, si l’on veut, ce
qui l’a fait vivre. Et catastrophe, Simon-Pierre, disciple zélé, comme nous,
qui se pense capable de suivre Jésus, est un traitre lui aussi.
Voilà le parcours du chapitre 13 où Dieu en Jésus se révèle
le serviteur, pour que l’amour soit possible, et deux des disciples, tous si
Pierre les représente, passent à côté de l’incandescence de l’amour, lui tournent
le dos et trahissent.
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de
vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous
les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes
disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
L’amour est le seul témoignage qui puisse être rendu par les
disciples à leur maître et Seigneur. L’amour entre nous est le seul chemin de la
mission. La mission est pratique de commandement de l’amour. Toute communauté
divisée, toute Eglise divisée est Judas, trahison. Même Simon-Pierre est
trahison ; l’Eglise romaine si fière de son propre édifice a fini par l’oublier.
Comment l’évangile n’en est pas mort, cela relève du miracle.
Je ne rêve pas ; l’angélisme est coupable ; les
oppositions dans nos communautés sont inévitables. Elles sont même salutaires,
qui interdisent la tyrannie, la manipulation sectaire. On peut, on doit
parfois, s’opposer à ses amis, à ceux qu’on aime. Cela peut n’entamer en rien l’amour,
voire le purifier, le faire croître. Les oppositions sont légitimes pour peux
que demeure l’amour, signe de ce que nous sommes ses disciples, indice de ce que
Jésus est le Seigneur.
Les rumeurs, les ragots, les manœuvres, les médisances, les
désertions, et parfois pire, voilà Judas. On n’en est pas étonné,
malheureusement, dans l’Eglise, puisque c’est aussi Simon-Pierre. Le voyage de
François à Lesbos a suscité chez certains qui sont des nôtres les plus vives haines
à l’encontre du Pape. Notre communauté doit s’interroger sur sa pratique de la
mission : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes
disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Toutes nos sociétés, nos civilisations, sont déstabilisées
par la mondialisation. Dans l’Eglise aussi. L’évangile pourtant conserve une
force inouïe, bien que difficile à entendre si nous ne voulons rien changer.
Pour construire la civilisation de l’amour, il n’y a qu’une solution, se faire
l’esclave, le serviteur. L’annonce d’un Dieu esclave qui renverse les dieux
tyrans relève de notre responsabilité. Pas de mot dans cette annonce, pas de
parole dans ce récit, mais le geste de Jésus qui est aussi son testament, pas de plus grand amour que de donner sa vie
pour ceux qu’on aime. Nous le désignons, le confessons Seigneur à l’amour
que nous avons les uns pour les autres.
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