Au séminaire, nous recevions l’ancien doyen de la faculté de
théologie. Il nous parlait de sa vie de prêtre. Le plus beau jour de ma vie,
nous dit-il, a été celui de… mon baptême.
Comment pouvait-il se rappeler son baptême ? Il avait
été plongé dans la mort et la résurrection de Jésus quelques jours après sa
naissance. Mais il disait vrai. Le moment le plus important de notre vie est le
jour de notre baptême, ce jour où a été prononcé sur nous l’incroyable :
nous sommes enfants du Père, aimés de Dieu lui-même et ainsi frères de tous.
Le propos est intempestif. Non seulement inactuel puisqu’il
défie le temps, mais à contre-courant, notamment de la mode des témoignages.
Combien de fois m’a-t-on demandé de parler de ma vocation ? Cela se fait
beaucoup. Outre le fait que l’intime n’a pas sa place dans la sphère publique, outre
la contamination des cathos par les reality-shows et la tyrannie de l’émotionnel,
outre le fait que le témoignage, le martyre, n’est pas de mots mais de vie et parle
de Jésus non de notre petite personne, on devient prêtre certes pour de bonnes
raisons, mais aussi pour de moins bonnes. Comme toute vie adulte, la vie des
prêtres est loin de la pureté édifiante ; s’y mêle le péché.
Et c’est une bonne nouvelle, puisque Jésus est venu appeler
les pécheurs. Il n’y a en toute rigueur évangélique pas de vocation pour les
justes. D’ailleurs, l’exercice du ministère, comme la vie de famille, se charge
de vous rappeler, et ce n’est pas souvent facile à accepter, que vous n’avez
pas grand-chose d’exemplaire, que vous vous trompez, que parfois vous faites
mal. A raconter sa vie, on ne dit guère les vilenies ou alors celles du passé. Quand,
dans le meilleur des cas, la vie se fait chemin de sanctification, elle demeure
l’histoire de pécheurs.
Les prêtres comme tous les baptisés consentent, plus ou
moins, à la conversion. Tout disciple est appelé à se dépouiller, à se décentrer,
à se quitter plus qu’à tout quitter, pour suivre Jésus et se laisser conformer
en témoin. La vie chrétienne est un nomadisme qui exige une tenue adaptée à la
route, pas même une chemise de rechange dit l’évangile hyperboliquement. Une communauté
pour un temps, pas même de famille ; ainsi les seuls frères et sœurs sont
l’humanité qu’il s’agit de recevoir et de transformer en fraternité.
Ce n’est ni pour se plaindre, ni pour se flageller que je
dis les chrétiens, et les prêtres, rétifs à la conversion, à la sainteté. C’est
seulement le fait de l’observation. Toute sacralisation, toute héroïsation est dès
lors autant menteuse qu’hypocrite. Serait-ce pour rien que les premiers
disciples ont tous été décrits comme des pécheurs, des traitres, Judas, Pierre
et tous, qui abandonnent Jésus ? Serait-ce pour rien que l’évangile décrit
avec tant de soin l’hypocrisie des pharisiens ? Il ne s’agit pas d’antisémitisme
puisque tous les écrivains du Nouveau Testament et une grande partie de leurs
destinataires sont Juifs ; mais le pharisaïsme est une plaie terrible que
l’Eglise naissante connaît en son sein. Celle d’aujourd’hui encore ; le Pape
ne cesse de le répéter.
Ainsi donc de pauvres types essayent de répondre à un appel,
ce que l’on appelle une vocation. Dans un monde sans Dieu – je le dis une
fois encore, un monde où même les disciples vivent sans Dieu, qu’ils ne
croisent pas à chaque coin de rue ! – l’appel n’est pas ce qu’en dit
une mythologie, un cœur à cœur avec Dieu, une voix ou une force qui pousse à s’engager.
Laissons les ventriloques du divin à
leurs illusions trompeuses !
Penser que Dieu nous appelle est doublement fautif. D’une
part, comme ce n’est pas vrai, seuls les tarés entrent dans les ordres. C’est
terrible pour l’Eglise même si pour les familles chrétiennes, c’est un
soulagement. Ouf, voilà nos enfants, à qui nous nous sommes appliqués d’inculquer
le réalisme et le bon sens, écartés d’une pareille folie. La mythologie de l’appel
est la stratégie pour qu’aucun chrétien ne perde sa vie. Mais ceux qui la
sauvent la perdront !
D’autre part, imaginer que Dieu nous appelle, c’est penser
la vocation en dehors de la mission, en dehors des hommes et des femmes
auxquels l’évangile et l’Eglise envoient. On n’est pas prêtre tout seul. Si le
mot de vocation a un sens, c’est comme con-vocation. Un appel avec les autres,
grâce aux autres. Personne n’est appelé autrement que par les frères ;
personne n’est appelé sans les frères. C’est en Eglise que la vocation fait
sens.
Et si le mot de vocation doit encore faire sens, c’est qu’il
dit que nous ne faisons que répondre. Chaque engagement chrétien est une
réponse à l’appel du Seigneur. Parler de vocation ne dit qu’une chose : le
service de la fraternité est réponse à un appel, à la convocation baptismale. « Nous,
nous aimons, parce que lui, le premier, nous a aimés. » (1 Jn 4,
19)
Cher Parrick:
RépondreSupprimerComment opérer ce changement de perspective de la vocation sacerdotale outre qu'un appel intime, et tout ce propos si l'estructure le discours ecclesiaux et la mentalité des catholiques entretiennent la mythologie et la hyper sacralisation des ministres ordonnés.
Ici se jouent deux variables, à mon avis: l'impasse du prêtre qui doit se battre entre l'hypocrisie et la fidélité à son engagement; la pression du poid de l'image de l'institution qu'il represente, ce qui, loin d'être rassurant, le pousse des fois, soit à dissimuler en excès, soit à subir le scandale de ses propres chutes lorsque elles sont visibles. A moins qu'il veuille se détacher des ecclesiastiques "officiels" et devenir tellement original, tellement unique, tellement autre, qu'il serait irréconosible, un prêtre à sa manière, sous-peine de risquer la solitude et la confusion les plus absolues dont les fidèles seraient les premiers affectés.
Dans tous les cas, il doit payer un prix malheureux: celui de sa duplicité qui discrédite l'évangile, celui de sa sotisse qui discrédite le sacrement.
Y a-t-il une solution à cette double équation?
Merci.
Tu y vas un peu fort. Entre double vie et distance qui marginalise, il y a heureusement de nombreux positionnements. Il me semble que tu oublies que c'est (le service de) les autres qui rend heureux.
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