La parabole de ce jour (Lc 16, 19-31) semble reposer sur une
théologie de la rétribution. Tu as été injuste durant ta vie, tu seras puni et
connaîtras le sort que tu as réservé à ton prochain. Tu as été méprisé durant
ta vie, tu seras rétabli dans ta dignité et prendras place comme un roi au
festin messianique, au banquet des noces de l’agneau.
Ne convient-il pas qu’il y ait une sanction à l’arrogance, à
l’oppression des frères, au mépris de l’humanité ? Ne faut-il pas que ceux
qui ont participé à l’injustice pour davantage de pouvoir et d’argent, qui attisent
les haines racistes pour mieux capter les voix, comme certains de ceux qui nous
gouvernent ou y prétendent, que ce soit en France, en Italie, en Espagne, avec la
corruption, la violation des règles électorales, la mainmise sur les media, les
tentatives de corruption de magistrats, plusieurs mises en examen, reçoivent le
salaire de leurs basses œuvres ? S’il n’y a pas de justice, ce monde
a-t-il un sens ?
La théologie de la rétribution permet de nommer le bien et
le mal. Si l’on peut impunément écraser le frère, ce monde ne peut être celui
que Dieu a voulu. Ou plutôt, ce monde est la preuve qu’il n’y a pas de Dieu ;
c’est un enfer pour la grande majorité. Nous savons que 70% de la population
mondiale vivent avec 3% des richesses mondiales !
Mais la théologie de la rétribution a de sérieuses limites. J’en
vois trois. Premièrement, ne tourne-t-elle pas à la revanche, au ressentiment ?
Si c’est par haine des riches que l’on se retrouve à la table du festin messianique,
que devient la sainteté des élus ? Si la revanche est le moteur de la
foi et de la vie, comment la mort du Christ aura-t-elle vaincu la haine ?
Et que dire de ceux qui, sans être riches et puissants, la majorité d’entre
nous, ne sont pas pauvres au point que les chiens viennent lécher leurs plaies ?
De quel côté sommes-nous ? Il se pourrait que par notre silence et notre
inaction, nous soyons complices de l’oppression de tant d’hommes, de femmes, d’enfants
en ce monde. Nous payerons très cher d’avoir soutenu l’idée d’une justice sur
laquelle, de fait, nous nous asseyons. Qui d’entre nous est engagé au service
des pauvres, pour réduire les inégalités, pour que les peuples opprimés aient
la liberté de manger à leur faim et de vivre dignement et en paix dans leurs
pays sans être obligés de fuir ? Qui d’entre nous refusera de voter pour
les discours populistes et racistes, quand bien même, l’idéologie des autres
candidats nous répugnerait ?
Deuxièmement, peut-on se contenter d’un « ils ne l’emporteront
pas au paradis » et ne pas vouloir ici et maintenant un changement ?
La théologie de la rétribution est souvent démobilisatrice, surtout si l’on n’en
est pas à ce que les chiens viennent lécher nos plaies. Elle peut même inciter
à ne rien changer, puisque la justice se fera plus tard, et ainsi à profiter de
la situation. D’autant que rien ne garantit qu’il y a effectivement quelque
chose de l’autre côté. Mais Jésus n’a pas prêché la justice pour après la mort,
mais pour que cette vie-là, la nôtre, soit divine. Que nous importe un paradis,
si nous ne faisons pas, avec le Christ, reculer l’enfer sur cette terre ? Dieu
ne s’est jamais remis de ce que notre terre ne soit pas le jardin des délices de
la Genèse. Le paradis n’est pas ailleurs, il est l’exigence autant que le sens ou
la vocation de la vie des hommes. Le reléguer post-mortem, c’est ne pas y
croire, c’est se moquer de Dieu, puisque l’on opprime les frères.
Troisièmement, si la parabole trouve son sens dans une
théologie de la rétribution, quel sens a la remarque d’Abraham à la fin du
texte : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les prophètes, quelqu’un
pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus. »
Car Jésus a ressuscité d’entre les morts, et mêmes ceux qui y croient, nous, ne
sommes que timidement engagés pour un peu plus de justice…
Voilà le drame, les disciples du Ressuscité sont aussi du
côté de l’injustice, nous sommes aussi du côté de l’injustice. Des hommes, des
femmes, des enfants meurent, et nous parlons d’identité française, de racines
chrétiennes de l’Europe, de baisse d’impôts et de hausse de notre pouvoir d’achat.
Le Christ est ressuscité d’entre les morts. Qu’est-ce que
cela change à notre regard sur les pauvres, qui paraît-ils tirent partie du
système, savent récupérer les aides et allocations, et même trichent pour voler
l’Etat ? Le Christ est ressuscité et les injustices, le mensonge et le
mépris demeurent.
Je ne vois que deux solutions. Soit la résurrection du
Christ est un mensonge (c’est d’ailleurs pour cela qu’on la rejette
post-mortem, parce que rien n’est alors vérifiable) et que nous réunissons-nous
encore dans les églises ? Soit c’est nous qui mentons, à nous dire chrétiens
et à continuer à mépriser les pauvres. Terrible alternative. Une nouvelle fois,
l’évangile ne nous laisse pas vivre tranquilles.
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