Avec ces versets de la première lettre aux Corinthiens (3,
16-23), nous retrouvons l’argumentation développée par Paul quelques pages plus
haut. Il s’agit d’opposer la sagesse humaine à celle de Dieu, tellement dissymétriques
ou disproportionnées l’une par rapport à l’autre que la sagesse de l’homme est
folie pour la sagesse divine et inversement.
S’agit-il de condamner la sagesse humaine, toujours trop
étroite et finalement stupide ? Cet anti-intellectuelle ou anti-humaniste a
pu avoir cours, a encore cours. Je n’en crois pas un mot. Paul s’emploie à
écrire sur des dizaines de pages la folie de la croix avec un discours de
sagesse, le discours (logos) de la croix, compréhensible, intelligent.
Même ceux qui dans l’histoire on condamné la sagesse
humaine, trop humaine, y compris de l’Eglise, ceux qui ont vécu comme des fous,
à la façon de Diogène ou des fols-en-Christ, prétendent au sens, prétendent
faire sens. Par la contestation radicale et non verbale, ils dénoncent la folie
de ce monde avec le miroir qu’ils lui tendent. Le miroir renvoie par la folie
assumée de quelques uns, pas si fous, pas fous du tout, l’image de la folie du
monde.
Non, la condamnation de la sagesse humaine n’est pas un
anti-humanisme ou un mépris des tentatives humaines pour comprendre. Elle n’est
pas anti-intellectualiste, cette posture prétentieuse qui dispense, sous
couvert de modestie, de se casser la tête à réfléchir. Elle dénonce le
raisonnable quand il se réduit à être mondainement compatible.
Pas plus l’on méprisera la sagesse humaine, pas davantage,
on en fera le dernier mot, notamment dans la vie avec Dieu, c’est-à-dire la vie
avec les frères. La sagesse humaine, la plus élaborée, la plus subtile, est
celle qui inscrit en elle son impossibilité, inachevée, qui s’ouvre à ce
qu’elle n’est pas. Et il est de nombreux discours religieux qui n’ont pas cette
sagesse ! Il est de nombreux discours qui ont raison quoi qu’il arrive,
d’autant plus qu’ils s’autorisent de Dieu ou de ses ventriloques. Voilà
l’hubris, voilà la démesure, voilà la folie.
Le péché contre l’Esprit Saint dont parle mystérieusement
l’évangile pourrait bien être cela, se revendiquer de Dieu pour confisquer la
vérité, pour revendiquer la suprématie de sa boutique ‑ Paul, Apollos ou
Pierre ‑, pour prétendre détenir la sagesse. Mais enfin, Paul, Apollos ou
Pierre ne prêchent pas des évangiles opposés, seulement différents. Folie de la
sagesse humaine qui s’évertue à théoriser que l’on a raison alors qu’il
pourrait suffire de reconnaître ce qu’il y a de vrai dans le propos et
l’attitude de l’autre. Paul, Apollos et Pierre ne sont-ils pas au Christ ?
Ce que l’on appelle sagesse humaine n’est parfois que le
discours de justification de notre parti. Nous avons raison, et nous l’allons
démontrer. Misérable rapt de la sagesse. Ainsi de nos sociétés qui
institutionnalisent juridiquement les déséquilibres et les inégalités dans la
société et entre les sociétés. Un exemple parmi d’autres, ces dernières
semaines, avec la Roumanie et la corruption, d’autant plus faciles à dénoncer certes
qu’on a la part belle et ne craint rien à stigmatiser son gouvernement.
Plus radicalement encore, s’il est possible, que la lutte
contre l’hubris et le sectarisme, contre les lois ou théories scélérates, le
paradoxe d’une sagesse qui est folie dicte la hiérarchie de nos affirmations,
convictions, engagements, professions de foi. La sagesse de l’homme aussi sage
soit-elle ne peut expliquer, ne peut rendre compte, ne peut justifier la
sagesse divine. C’est la sagesse divine qui rend juste et non elle qu’il s’agit
de justifier ou de défendre.
La vie, même pour les athées, passe par la reconnaissance
qu’autre chose que l’homme et sa sagesse rend juste, par exemple, le respect
inconditionnel du frère (plus fort que les avantages que l’on peut en tirer).
Pour les disciples de Jésus, la sagesse qui justifie et libère se nomme Père. « Car
tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la
mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au
Christ, et le Christ est à Dieu. »
Actuellement, une "sagesse" humaine consiste à croire, et faire admettre, que punir (faire violence légalement) est la bonne solution pour régler les différents. Qui dira qu'il y a là mensonge, et qu'aucune violence -fût-elle légale et portée par des gens en uniforme- n'est admissible.
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